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124 CHRONIQUE D'ENGUERRAN DE MONSTRELET. [1423]

vie à Henry, par la grâce de Dieu roy de France et d'Angleterre, nostre souverain seigneur. » Lequel cry acompli, les sergens d'armes dessusdiz redrécèrent leurs maces, les fleurs de liz dessus, en criant tous à une voix, Vive le roy! Vive le roy! Vive le roy! Et toutes ces besongnes ainsi faictes, tous les seigneurs retournèrent dedens Paris. Ouquel lieu avoit esté ordonné pour la garde d'icelle, à tout foison de gens d'armes, messire Guy le Bouteiller et le bastard de Thien, chevaliers. Et avecques ce avoient commis plusieurs capitaines sur les champs, à tout leurs gens, pour garder les passages contre les Daulphinois, afin qu'ilz ne feissent nulles entreprinses et dommages.

En oultre, ledit duc de Bethford, seul et pour le tout, demoura régent et gouverneur dudit royaume de France, pour et ou nom de son nepveu, le jeune roy Henry, quant à ce qui estoit en son obéissance.

Ainsi et par ceste manière fina sa vie ce très noble roy Charles, ou quarante deuxiesme au de son règne, lequel, en grant partie d'icellui, eut de grandes tribulacions par les divisions que eurent l'un contre l'autre les plus prouchains de son sang. Dieu par sa doulce pitié et miséricorde vueille avoir mercy de son âme. Amen.

Cy fine le premier volume

de la Cronique de Enguerrand de Monstrelet.

LIVRE SECOND.

· 1422-1444.

PROLOGUE'.

Ung très renommé philosophe, nommé Végèce, récite en ung sien livre qu'il fist la vaillance et prudence de chevalerie que l'exercite des armes et la continuacion de batailler que eurent jadis les Rommains, furent cause que ilz subjuguèrent et dominèrent la plus grant partie du monde. Laquelle récitacion, et que ainsi ait esté, semble estre véritable, par ce que engin subtil, industrie et exercite d'armes font plus souvent obtenir victoire que grande assemblée, ne multitude de combatans. Et à dire la vérité, peu de chose eust esté le petit nombre d'iceulx Rommains en leur temps

1. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale, portant le n° 8346, que nous suivons pour le texte du second livre de Monstrelet, ainsi que nous l'avons dit dans notre préface, porte, en tête du premier feuillet, cette pieuse invocation: In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen. Vient ensuite cette rubrique Chest cy le second volume des histoires Engherant de Monstrelet, puis le texte, comme nous le donnons, mais sans le mot Prologue, que nous empruntons à l'édition Vérard.

au regard de toutes les autres nacions, se ilz n'eussent eu autre manière, subitillité et instruction de combatre, que n'avoyent leurs adversaires. Mais ilz estoient à ce du tout ordonnez, et de jour en jour continuoient en icelle exercite, par laquelle ilz acquirent durant leur règne grant renommée et inextimable louenge, qui au jour dhui demoure par escript en plusieurs livres, lesquelz, clercs sages et éloquens, philosophes et poëtes ont fait et composé, tant en mettres comme en prose, et qui souvent devant les princes et grans seigneurs sont alleguées et voulontiers veues et ouyes, pour les vertueuses entreprinses et hardiesses d'armes qui y sont escriptes et trouvées. Si peut-on considérer en ceste partie que le très puissant Dieu, créateur du ciel et de la terre, de sa grace donne à ung chascun entendement par soy séparé de tous autres, par lequel aulcunesfois se forment en aulcunes personnes diverses ymaginacions d'une mesme chose. Car nous véons manifestement que és livres de plusieurs sciences composés par les saiges anciens, ont esté et sont adjoustées aulcunes choses; qui est à supposer ycelles avoir esté précédentes à l'entendement d'yceulx, lesquelz n'en volrent pour lors mettre en escript, si non ce qu'il leur sembloit que la matière requéroit. Et ceulx qui ce ont quis et trouvé, soit par entendement naturel, escripture ou expérience, en tant que l'intencion soit utile et raisonnable, se doibvent bénignement et agréablement retenir, sans pour ce réprimer l'acteur. Et aussi nul ne se doibt par trop esmervillier se les hommes, ayans leurs engins appliquiés à la guerre, truèvent ou ymaginent, selon la qualité du temps, aucunes nouvelles manières qui leur semblent estre nécessaires et conve

nables a la conduicte d'ycelle, et quonques mais ilz ne virent ne sceurent les pareilles, qui leur vient de leur propre entendement et ymaginacion, par l'ardant dézir qu'ilz ont aux besongnes, comprenans et considérans en eulx mesmes les manières qu'ilz perçoivent estre pour eulx advantageuses d'envayer leurs ennemis et eulx deffendre d'eulx, tant par art et manière loable, comme par prouesse et vaiilance de corps. Dont tous hommes de noble coraige qui se mettent à fréquenter et poursuyvir ycelle guerre par ordonnance, contraincte ou nécessité convenable, se doibvent de leur povoir instruire et employer vaillamment et honnorablement au bien de la chose publique, et aussi, en particulier, pour leur honneur et corps garder et deffendre. Et en ce faisant povent acquérir grande recommandacion, et sans aucunement vouloir déroguer à la vaillance et prouesse des anciens preux en armes, ne diminuer leurs excellens et nobles faitz. Selon mon advis, on trouve aussi haultes et excellentes vaillances de plusieurs manières avoir esté faictes en temps dont ceste présente hystoire ou cronique fera mencion, que en celles que par avant on puet avoir veu et oy recorder. Car, par un usaige et continuacion ont esté mis en cours moult de cruelz et divers habillemens de guerre, desquelz par avant n'estoit aucune mémoire. Pour quoy, à l'occasion et ayde d'yceulx, avec aultres subtilités ont esté commises et sont advenues diverses manières de soy conduire en la dessusdicte guerre. Pour lesquelles ramener à mémoire et recordacion véritable, je Enguerran de Monstrelet, faisant ma résidence en la cité de Cambray, qui autreffois ay prins laborieux plaisir à faire mettre par escript, par manière

de cronique, les mervilleuses adventures et vaillances d'armes dignes de louenges et recordacion, advenues au très crestien royaulme de France, ès pays voisins, et és marches loingtaines, tant de la crestienté comme d'aultre loy, à mon petit entendement, sans polir les choses ne yssir hors de la matière, mais mettant le fait directement en ensuyvant les récitacions qui faictes en ont esté à moy par plusieurs hommes nobles et autres notables personnes, et aussy par roys-d'armes, héraulx et poursuyvans dignes de foy et de crédence, qui ont esté présens aux besongnes, me suis remis à continuer et poursuyvir ce que de long temps avoie et ay encommencée, et à entendre les besongnes pour compiler ces présentes hystoires; qui se comprennent comme on pourra veoir à les lyre et oyr, en batailles mortelles, désolacions de plusieurs églises, cités, villes et forteresses, dépopulacion de moult de pays et aultres merveilles piteuses à recorder, dont les vaillans et prudens hommes, tant nobles comme aultres, qui longuement y ont exposé corps et bien et y souffert en enduré paine et travail et périlz de leurs corps, et que grant partie y ont, par vaillance ou par pitoyable adventure, misérablement finé leurs jours, doibvent estre rémunerez et guerredonnez, en racomptant leurs vaillances, bonnes renomméés et nobles fais, quand pour eulx et leurs successeurs, est et doit estre dénoncé par les vivans, à durable mémoire. A laquelle oyr réciter, toutes nobles personnes de vaillance et de hardi courage se pevent et doivent à vouloir loyalment servir leur prince et seigneur droiturier, en gardant sa querelle et bon droit. Et pour ces raisons, ay voulu mettre et par exposer mon temps, comme dit est, en

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