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ceptre et verge royale, et en la senestre portoit une pomme d'or. Et gisoit en ung lit sur ledit chariot, le visaige vers le ciel. Duquel lit, le couvertoir estoit de drap de soie vermeil batu à or. Et avec ce, portoit-on en hault, en passant parmy les bonnes villes, par dessus le chariot, ung moult riche drap de soye, en la manière qu'on l'a acoustumé de porter sur le corps de Jhésucrist au jour du Saint Sacrement. Et ainsi alant moult grandement acompaigné de ses princes et de la chevalerie de son hostel, fut mené le droit chemin de Rouen à Abbeville et jusques en l'église Sain Eufren1. Et si avoit moult de gens d'église à la dextre et senestre partie du corps du Roy trespassé, qui nuit et jour, les uns après les autres, en chevauchant, cheminant ou arrestant, chantoient sans cesse l'office des mors, et célébroient tous les jours pour lui depuis le point du jour, ès églises où ilz logoient, jusques à Nonne. Et après vindrent de Abbeville à Hesdin, et de là à Monsterueil, et puis, par Boulongne alèrent à Calais. Et tousjours sur ledit chemin y avoit autour dudit chariot plusieurs hommes vestus de blanc qui portoient en leurs mains torches alumées, et derrière estoient vestus de noir ceulx de la famille dudit roy, et après suivoient ceulx de sa lignée, vestus de vestemens de pleurs. Et suivant après aloit la royne, à grant compaignie, environ demie lieue loing, après sondit seigneur et mary, lequel, comme dit est, fut mené à Calaix. Et de là, nagèrent par mer à Douvres en Angleterre, et puis, par Cantorbie et Rocestre alèrent en la cité de Londres, où ilz arrivèrent la nuit saint Martin

1. Saint-Vulfran d'Abbeville.

d'iver'. A l'encontre duquel Roy yssirent de ladicte ville de Londres quinze évesques, vestus de chasubles pontificaulx, et plusieurs abbez mictrez, et autres hommes d'église en grant nombre, avec grant multitude de bourgeois et autres communes. Lesquelz gens d'église, tous ensemble, mirent ledit roy défunt dedens ladicte ville, en chantant l'office des mors, et le menèrent par le pont de Londres et la rue des Lombards, jusques à l'église cathédrale de Saint-Pol. Et au plus près du chariot estoient, pleurans et lamentans, les princes de son lignage. Et avec ce, le premier cheval des quatre qui menoient son dit chariot ouquel leroy estoit, avoit un colier où estoient paintes les anciennes armes d'Angleterre. Au colier du second cheval estoient paintes les armes de France et d'Angleterre escartelées de liépars, lesquelles lui mesmes portoit en son vivant. Au colier du tiers cheval estoient paintes pleinement, sans différence nulle, les armes de France, que portoit, quant il vivoit en ce monde, ce noble et très puissant roy Artus, que nul ne povoit vaincre, lesquelles armes estoient ung escu d'azur à trois couronnes d'or. Et après que le service eut esté fait réalement, ilz le portèrent enterrer en l'église de Vasmonstier', emprès ses prédécesseurs roys d'Angleterre. Auquel enterrement fut fait en toutes choses généralement plus grant estat et bobant que depuis deux cens ans a paravant n'avoit esté fait de nul des autres roys d'Angleterre, et mesmement, lui mort, comme dit est, et mis en sa sépulture, lui ont fait et

1. La nuit du 10 au 11 novembre.

2. L'abbaye de Westminster.

font chascun jour aussi grant honneur et révérence, comme s'ilz feussent acertenez qu'il feust ou soit, sainct en Paradis.

Ainsi et par ceste manière fina icellui roy Henry en la fleur de son aage. Car quant il ala de vie à trespas, il povoit avoir environ quarante ans. Et estoit moult sage et expert en toutes besongnes dont il se vouloit entremetre. Et si estoit de très haultain vouloir. Et avoit, en sept ou huit ans que son règne dura en France, fait de très grandes besongnes et conquestes, plus que nulz de ses prédécesseurs n'avoient fait long temps par avant. Et pour vérité, il estoit si craint et doubté de ses princes et capitaines, qu'il n'en y avoit nul, tant lui feust prouchain et bien de lui, qui osast transgresser ses ordonnances, par espécial ceulx de son royaume d'Angleterre, de quelque estat qu'ilz feussent soubz son obéissance et dominacion. Et la cause principale estoit pour se que ceulx qui faisoient le contraire et enfraingnoient ses dictes ordonnances, il les faisoit punir très criminellement, sans en avoir quelque miséricorde.

En après toutes les besongnes dessusdictes acomplies, s'assemblèrent les trois estas du royaume d'Angleterre en très grant nombre, pour avoir advis qu'il estoit à faire sur le régime et gouvernement dudit royaume. Et enfin se conclurent, et eslevèrent à roy le seul filz d'icellui Henry défunct, lequel n'avoit que seize moys d'aage ou environ, et se submirent du tout à son obéissance, non obstant sa jeunesse. Et prestement lui baillèrent estat royal, et commirent à le gouverner et conduire, le conte de Varvich et autres.

Durant lequel temps y eut ung notable chevalier

de Picardie qui dist à son poursuivant une joieuseté par manière de galerie touchant la mort du roy d'Angleterre. Et fut nommé messire Sarasin d'Ailli, oncle du vidame d'Amiens. Lequel pour lors povoit bien avoir soixante dix ans d'aage, et demouroit en ung sien chastel qu'il avoit de par sa femme, seur au seigneur d'Offemont, nommé Acheu, assez près de Pas en Artois. Et là estoit tout malade de goutes. Néantmoins, moult voulentiers enquéroit et oroit racompter des nouvelles. Si retourna en ses jours sondit poursuivant nommé Havrenas, qu'il avoit envoyé dehors. Et estoit environ de l'aage de son maistre, et l'avoit longtemps servi. Et après sa venue l'examina; si lui demanda, messire Sarrasin, s'il sçavoit riens de la mort du roy d'Angleterre. Et il respondi que oyl, et que il l'avoit veu en la ville d'Abbeville en l'église SaintEffren. Et lui racompta tout l'estat, et comment il estoit appareillé, assez selon qu'il est déclairé en ce présent livre. Et adonc messire Sarrasin lui demanda par sa foy s'il avoit veu ledit roy mort et se il l'avoit bien advisé. Et il respondi que oyl. « Or, me dy par ton serement, dist messire Sarrasin, avoit-il point ses houseaulx chaussez?» « Ha! monseigneur, dist cellui, nennil par ma foy. ? » Lors lui dist le chevalier : « Havrenas, beaux amis! ne me croy jamais s'il ne les a laissez en France. » Et à ce mot, tous ceulx qui là estoient présens commencèrent à rire, et puis après ce, parlèrent d'autre matière.

CHAPITRE CCLXVIII.

Comment la duchesse de Bourgongne, Michele, ala de vie à trespas. Du duc de Bethfort qui fut fait régent de France. Et de plusieurs fortresses qui furent abatues.

Item, durans les assemblées qui se firent pour le voyage de Cosne, comme dit est dessus, s'acoucha malade en la ville de Gand la duchesse de Bourgongne, Michele, fille du roy de France et seur au duc de Touraine, Daulphin. En laquelle maladie tant continua qu'elle ala de vie à trespas. Pour la mort de laquelle tous ses serviteurs et universellement tous ceulx de Gand et de la conté de Flandres, n'entendirent à joye, mais à pleurs et parfons gémissemens. Car elle estoit moult aymée de tous, mesmement des pays du duc Phelippe son mary, et bien y avoit raison, pour ce principalment qu'elle estoit de haulte extraction, belle et bien formée, aornée de toute bonne condicion et bien moriginée selon la condicion de ceulx qui d'elle avoient congnoissance. Si fut son corps mis en terre en l'église du monastère Saint Bavon emprès Gand. Toutesfois il fut lors assez commune renommée en celle ville de Gand que sa mort avoit esté avancée. Et de fait, en fut souspeçonnée une sienne demoiselle nommée Ourse, femme à Copin de la Viefville, natifve d'Alemaigne, laquelle estoit à ladicte duchesse moult famillere, portant son séel. Et durant sa maladie l'avoit mise hors de son hostel, et se estoit icelle retraite en la ville de Aire. Auquel lieu envoièrent les Gantois jusques à six vints hommes de leurs gens pour aler qué

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