à l'autre. En vain l'électeur de Brandebourg lui écrivit la lettre la plus soumise, l'appelant monseigneur, selon l'usage, le conjurant de lui laisser ce qu'il avait acquis, l'assurant de son zèle et de son service : ses soumissions furent aussi inutiles que sa résistance, et il fallut que le vainqueur des Suédois rendît toutes ses conquêtes. Alors les ambassadeurs de France prétendaient la main sur les électeurs. Celui de Brandebourg offrit tous les tempéraments pour traiter à Clèves avec le comte depuis maréchal d'Estrades, ambassadeur auprès des États Généraux. Le roi ne voulut jamais permettre qu'un homme qui le représentait cédât à un électeur, et le comte d'Estrades ne put traiter. Charles-Quint avait mis l'égalité entre les grands d'Espagne et les électeurs. Les pairs de France par conséquent la prétendaient. On voit aujourd'hui à quel point les choses sont changées, puisque aux diètes de l'empire les ambassadeurs des électeurs sont traités comme ceux des rois. Quant à la Lorraine, il offrait de rétablir de nouveau le duc Charles V: mais il voulait rester maître de Nancy et de tous les grands chemins. Ces conditions furent fixées avec la hauteur d'un conquérant; cependant elles n'étaient pas si outrées qu'elles dussent désespérer ses ennemis, et les obliger à se réunir contre lui par un dernier effort: il parlait à l'Europe en maître et agissait en même temps en politique. Il sut aux conférences de Nimègue semer la jalousie parmi les alliés. Les Hollandais s'empressèrent de signer, malgré le prince d'Orange, qui, à quelque prix que ce fût, voulait faire la guerre ; ils disaient que les Espagnols étaient trop faibles pour les secourir s'ils ne signaient pas. Les Espagnols, voyant que les Hollandais avaient accepté la paix, la recurent aussi, disant que l'empire ne faisait pas assez d'efforts pour la cause commune. Enfin les Allemands, abandonnés de la Hollande et de l'Espagne, signèrent les derniers en laissant Fribourg au roi et confirmant les traités de Westphalie. Rien ne fut changé aux conditions prescrites par Louis XIV. Ses ennemis eurent beau faire des propositions outrées pour colorer leur faiblesse, l'Europe reçut de lui des lois et la paix. Il n'y eut que le duc de Lorraine qui osât refuser l'acceptation d'un traité qui lui semblait trop odieux. Il aima mieux être un prince errant dans l'empire qu'un souverain sans pouvoir et sans considération dans ses Etats: il attendit sa fortune du temps et de son courage. (10 août 1678) Dans le temps des conférences de Nimegue, et quatre jours après que les plénipotentiaires de France et de Hollande avaient signé la paix, le prince d'Orange fit voir combien Louis XIV avait en lui un ennemi dangereux. Le maréchal de Luxembourg, qui bloquait Mons, venait de recevoir la nouvelle de la paix. Il était tranquille dans le village de Saint-Denis, et dînait chez l'intendant de l'armée. (14 août) Le prince d'Orange, avec toutes ses troupes, fond sur le quartier du maréchal, le force, et engage un combat sanglant, long et opiniâtre, dont il espérait avec raison une victoire signalée, car non-seulement il attaquait, ce qui est un avantage, mais il attaquait VOLTAIRE. VIII. 38 des troupes qui se reposaient sur la foi du traité. Le maréchal de Luxembourg eut beaucoup de peine à résister; et s'il y eut quelque avantage dans ce combat, il fut du côté du prince d'Orange, puisque son infanterie demeura maîtresse du terrain où elle avait combattu. Si les hommes ambitieux comptaient pour quelque chose le sang des autres hommes, le prince d'Orange n'eût point donné ce combat. Il savait certainement que la paix était signée; il savait que cette paix était avantageuse à son pays; cependant il prodiguait sa vie et celle de plusieurs milliers d'hommes pour prémices d'une paix générale qu'il n'aurait pu empêcher, même en battant les Français. Cette action, pleine d'inhumanité non moins que de grandeur, et plus admirée alors que blâmée, ne produisit pas un nouvel article de paix, et coûta, sans aucun fruit, la vie à deux mille Français et à autant d'ennemis. On vit dans cette paix combien les événements contredisent les projets. La Hollande, contre qui seule la guerre avait été entreprise, et qui aurait dû être détruite, n'y perdit rien; au contraire, elle y gagna une barrière: et toutes les autres puissances qui l'avaient garantie de la destruction y perdirent. Le roi fut en ce temps au comble de la grandeur. Victorieux depuis qu'il régnait, n'ayant assiégé aucune place qu'il n'eût prise, supérieur en tout genre à ses ennemis réunis, la terreur de l'Europe pendant six années de suite, enfin son arbitre et son pacificateur, ajoutant à ses Etats la Franche-Comté, Dunkerque, et la moitié de la Flandre; et, ce qu'il devait compter pour le plus grand de ses avantages, roi d'une nation alors heureuse, et alors le modèle des autres nations. L'hôtel de ville de Paris lui déféra quelque temps après le nom de grand avec solennité (1680), et ordonna que dorénavant ce titre seul serait employé dans tous les monuments publics. On avait, dès 1673, frappé quelques médailles chargées de ce surnom. L'Europe, quoique jalouse, ne réclama pas contre ces honneurs. Cependant le nom de Louis XIV a prévalu dans le public sur celui de grand. L'usage est le maître de tout. Henri, qui fut surnommé le grand à si juste titre, après sa mort, est appelé communément Henri IV; et ce nom seul en dit assez. M. le Prince est toujours appelé le grand Condé, non-seulement à cause de ses actions héroïques, mais par la facilité qui se trouve à le distinguer, par ce surnom, des autres princes de Condé. Si on l'avait nommé Condé le grand, ce titre ne lui fût pas demeuré. On dit le grand Corneille, pour le distinguer de son frère. On ne dit pas le grand Virgile, ni le grand Homère, ni le grand Tasse. Alexandre le Grand n'est plus connu que sous le nom d'Alexandre. On ne dit point César le grand. Charles-Quint, dont la fortune fut plus éclatante que celle de Louis XIV, n'a jamais eu le nom de grand : il n'est resté à Charlemagne que comme un nom propre. Les titres ne servent de rien pour la postérité; le nom d'un homme qui a fait de grandes choses impose plus de respect que toutes les épithètes. FIN DU HUITIÈME VOLUME. TABLE. ESSAI SUR LES MOEURS ET L'ESPRIT DES NATIONS. (SUITE.) CHAP. CXXVIII. De Luther. Des indulgences... - - De Zuingle et de la cause qui rendit la religion ro- - CHAP. CXXIX. CHAP. CXXX. Progrès du luthéranisme en Suède, en Danemark et en Allemagne... Pages. 10 - successeurs... CHAP. CXXXIII. De Genève et de Calvin.... CHAP. CXXXIV. CHAP. CXXXV: Angleterre... CHAP. CXXXVI. CHAP. CXXXVII. CHAP. CXXXVIII. - - CHAP. CXXXIX. Des ordres religieux. 15 - De Calvin et de Servet. 47 Du roi Henri VIII. De la révolution de la religion en 21 Suite de la religion d'Angleterre. 28 - De la religion en Écosse... 32 De la religion en France, sous François Ier et ses 33 39 De l'Inde en deçà et delà le Gange. Des espèces Vaines disputes. Comment l'Amérique a été peuplée. CHAP. CXLVII. - De Fernand Cortès... Du Paraguay. De la domination des jésuites dans cette - Des possessions des Français en Amérique. Pages. 108 partie de l'Amérique; de leurs querelles avec les Espagnols et les CHAP. CLV. État de l'Asie au temps des découvertes des Portu- - CHAP. CLVIII. gais.... CHAP. CLVI. 412 Des Tartares.... 416 447 -- De la Perse et de sa révolution au xvie siècle; de ses De l'empire ottoman au xvIe siècle ses usages, son CHAP. CLXII. - Du royaume de Fez et de Maroc. CHAP. CLXV. - - De Philippe I, roi d'Espagne... Fondation de la république des Provinces-Unies.... 140 Suite du règne de Philippe II. Malheur de don Sébas- tien, roi de Portugal...... - .... CHAP. CLXVI. De l'invasion de l'Angleterre, projetée par Philippe II. CHAP. CLXXIII. De la France sous Henri III. Sa transplantation en Pologne, sa fuite, son retour en France. Mœurs du temps, ligue, De la France, sous Louis XIII, jusqu'au ministère du cardinal de Richelieu. États généraux tenus en France. Adminis- tration malheureuse. Le maréchal d'Ancre assassiné sa femme condamnée à être brûlée. Ministère du duc de Luynes. Guerres civi- les. Comment le cardinal de Richelieu entre au conseil.... CHAP. CLXXVIII. Des Allemands sous Rodolphe II, Mathias et Fer- dinand II. Des malheurs de Frédéric, électeur palatin. Des conquêtes 488 498 223 237 262 268 278 285 296 302 - unitaires. - CHAP. CLXXXVI. au XVIe siècle.. - De la Pologne au xviie siècle, et des sociniens ou CHAP. CXC. De la Russie aux xvre et xvIIe siècles.. Faux messie.. CHAP. CXCII. CHAP. CXCIII. et de Thamas Kouli-kan, ou Sha-Nadir........ du xvre siècle. Du concile de Trente. De la réforme du calendrier, etc. 310 Du Danemarck, de la Suède et de la Pologne 333 336 339 De l'empire ottoman au xvIIe siècle. Siége de Candie. 343 352 De la Perse, de ses mœurs, de sa dernière révolution, 355 Du Japon au XVIIe siècle, et de l'extinction de la reli- LISTE RAISONNÉE des enfants de Louis XIV, des princes de la maison Des États de l'Europe avant Louis XIV.. Minorité de Louis XIV. Victoires des Français sous le 381 492 496 Suite de la guerre civile jusqu'à la fin de la rébellion, en 1653... 525 État de la France jusqu'à la mort du cardinal Mazarin, CHAP. IV.. Guerre civile..... CHAP. V. CHAP. VI. - en 1661. CHAP. VIII. Conquête de la Flandre.. 554 - Conquête de la Franche-Comté. Paix d'Aix-la-Chapelle... 557 |