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Angarius, le principal apôtre des peuples du Nord, établit des écoles dans lesquelles la jeunesse devoit être formée à la religion et aux lettres. Cyrille et Methodius rendirent le même service aux Bulgares, aux Moraves, aux Bohémiens. En Russie, les missionnaires introduisirent la science des lois et des beaux arts. « Le dôme » et les peintures de la cathédrale de Sainte-Sophie, à » Constantinople, furent copiés, dit Gibbon, dans les » églises russes. Les écrits des pères furent traduits en » langue esclavone; et trois cents nobles jeunes gens >> furent invités ou contraints à assister aux leçons qui se » donnoient dans l'église de Jérislau. »

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Non-seulement le christianisme a civilisé les peuples de l'Europe moderne, il leur a donné, en outre, cette stabilité sans laquelle le bienfait de la civilisation eût été perdu pour eux. Les anciens empires d'Assyrie, de Perse et de Macédoine n'ont duré que peu de temps; et depuis Néron jusqu'à Constantin, c'est-à-dire, dans l'espace de moins de trois siècles, on compte dix-sept familles différentes qui ont régné dans Rome. Depuis César jusqu'à l'établissement du christianisme, environ quarante empereurs ont occupé le trône du monde qu'il eût été si facile de défendre, si la religion s'y étoit assise à côté des monarques; tandis que l'Europe chrétienne offre, en Allemagne, trois familles alliées qui se succèdent paisiblement, pendant trois siècles, sur le trône de l'empire; en Angleterre, familles qui règnent pendant sept cents ans ; en France, trois dynasties qui occupent un intervalle de plus de treize siècles. Les descendans de Borivorius, en Bohême, et ceux de Geysas, en Hongrie, régnèrent plus de trois cents ans. Celle de Miceslas fut maintenue pendant plus de quatre cents ans sur le trône de Pologne. Eric, le premier prince chrétien qui ait régné en Dannemarck, laissa sur le trône

une postérité qui étoit encore florissante cinq cents ans après lui. Avant le règne de Charlemagne, les Germains furent conquis plus de vingt fois par des nations étrangères: devenus chrétiens, ils conservèrent leur indépendance pendant plus de dix siècles. Enfin, la religion chrétienne avoit besoin, pour être appréciée par les princes, de leur offrir encore un bel exemple de la stabilité des empires qui sont placés sous sa protection, elle pourroit citer l'heureuse famille de Recharède, qui régna en Espagne pendant onze cents ans.

De toutes les monarchies européennes, celle qui a offert dans la suite des siècles l'exemple le plus déplorable de l'effet des passions humaines sur le sort des empires, celle qui a été tant de fois agitée, et qui se trouve aujourd'hui encore environnée de troubles, de révoltes, de soldats indisciplinés, de gouverneurs indociles qui se font payer au poids de l'or l'apparence seule de la soumission; celle, en un mot, qui ne cesse de voir ses monarques détrônés, ses princes captifs ou égorgés, ses soldats réglant les destinées du monarque et de l'empire; en un mot, la monarchie ottomane semble avoir été placée par la Providence auprès des monarchies chrétiennes, pour apprendre à celles-ci que le bonheur et la durée des Etats ne peuvent être mieux assurés, que par la morale et la croyance du christia

nisme.

Concluons, par le témoignage éclatant que rendit au christianime le général Washington qui, en 1796, lorsqu'il résignoit la place de président des États-Unis d'Amérique, s'exprimoit ainsi : « La religion et la mo»rale sont les bases nécessaires de toutes les disposi>>tions et habitudes qui procurent le bonheur poli»tique. Ce seroit en vain que les éloges dus au patrio>> tisme seroient réclamés par celui qui essaieroit de

» renverser ces deux grands appuis de la félicité hu» maine, ces guides de l'homme et du citoyen. Celui » qui n'est que politique doit les respecter et les chérir, » de même que celui qui n'est que pieux. Un volume ne >> suffiroit pas pour retracer tous les liens par lesquels » la religion et la morale tiennent au bonheur public » et au bonheur privé. Demandons simplement quelle » seroit la sûreté pour la propriété, la réputation, la » vie, si ce sentiment de l'obligation religieuse n'étoit plus joint aux sermens qui sont une des bases des dé>>cisions dans les tribunaux? N'admettons qu'avec res>>triction la supposition qu'on peut conserver la morale » sans religion. Quelque confiance qu'on puisse accorder » à l'influence d'une éducation soignée sur les esprits » d'une certaine trempe, la raison et l'expérience nous » défendent toutes deux de nous flatter que la morale >> puisse avoir de la force en excluant les principes re>> ligieux. >>

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Si l'auteur de cet ouvrage eût appartenu à la religion catholique, le tableau qu'il nous donne des bienfaits du christianisme, eût été encore plus riche de détails et plus varié.

C....

HISTOIRE, VOYAGES, POLITIQUE,

MOEURS, ÉDUCATION.

X V.

Détails sur les mœurs des Grecs, des Arabes et ́des Turcs, par M. DE CHATEAUBRIAND (1).

E

Je m'embarquai à Trieste le 1er août 1806. Nous sortimes rapidement de la mer Adriatique. Le 8, nous découvrîmes Skérie ( Corfou ) et Buthrotum, qui rappellent deux des plus belles scènes de l'Odyssée et de l'Eneide. Nous reconnûmes le rocher d'Ithaque. J'aurais bien voulu y descendre, pour visiter le jardin de Laërte, la cabane d'Eumée, et même le lieu où le chien d'Ulysse mourut de joie en revoyant son maître.

Nous dépassâmes les îles de Lanthes et Céphalonie ; et le 10 au matin, les montagnes de l'Élide se formerent dans l'horizon du Nord. Le 11, nous jetâmes l'ancre devant Modon, l'ancienne Mothone, près de Pylos. Je saluai les rivages de la Grèce, et la chaloupe du bâtiment me porta aux pieds des murs de Modon. J'entrai dans cette ville délabrée. Lorsque j'aperçus les Turcs armés et assis sous des espèces de tentes au milieu des rues, je me rappelai la belle expression de mon noble ami M. de Bonald, les Turcs sont campés en Europe. Cette expression est vraie sous tous les rapports, et dans toutes les acceptions.

(1) On sait que M. de Châteaubriand, occupé d'un ouvrage qui doit servir comme de preuve au Génie du christianisme, a voulu reconnoître par lui-même les lieux où il place ses personnages :tel a été l'objet du voyage auquel on doit les détails qu'on va lire.

Je continuai mon voyage par terre.

Je ne vis dans le Péloponèse qu'un pays en proie à ces Tartares débauchés qui se plaisent à détruire à la fois les monumens de la civilisation et des arts, les moissons mêmes, les arbres et les générations entières. Pourroit-on croire qu'il y ait au monde des tyrans assez absurdes et assez sauvages pour s'opposer à toute amélioration dans les choses de première nécessité? Un pont s'écroule, on ne le relève pas ; un homme répare sa maison; on lui fait une avanie. J'ai vu des capitaines Grecs s'exposer au naufrage avec des voiles déchirées, plutôt que de raccommoder ces voiles: tant ils craignoient de faire soupçonner leur aisance et leur industrie!

De Modon, je me rendis à Coron, sur le golfe de Messénie. Je traversai ce golfe, je remontai le long du Pamissus. J'entrai dans l'Arcadie par un des Hermæum du mont Lycée, je passai à Mégalopolis, ouvrage d'Épaminondas, et patrie de Philopomen; j'arrivai à Tripolizza, cité nouvelle dans le vallon de Tégée, au pied du Ménale. Je revins sur mes pas pour visiter Sparte, le Taigète, et la vallée de la Laconie. De là, je pris le chemin d'Argos par les montagnes : je contemplai tout ce qui reste de la ville du roi des rois; je m'arrêtai à Mycènes et à Corinthe. En passant l'isthme par les monts Géraniens, je vis un aga blesser un Grec d'un coup de carabine, et lui faire donner cinquante coups de bâton pour le guérir (1).

(1) Nous rapporterons ici quelques traits semblables tirés d'un autre article du même écrivain, qui feront mieux connoître le despotisme turc, ou plutôt l'affreuse anarchie qui fait un despote de chaque musulman. En vain, dans le Péloponèse, on veut se livrer aux illusions des Muses : la triste vérité vous poursuit. Des loges de boue desséchée, plus propres à servir de retraite à des animaux Tome V.

7.

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