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lui eussent fourni matière à des chapitres plus intéressans peut-être, et plus utiles que ceux qu'il a consacrés à l'examen de la doctrine de Pythagore.

Les deux philosophes qu'il met ensuite en regard sont Anaxagore et La Mettrie, tous deux connus par des idées folles sur l'origine des choses. Mais le moderne a sans doute encore ici la palme. Il n'est pas fort étonnant qu'un ancien, qui ne voyoit rien de satisfaisant dans les divers écrits des philosophes, et qui n'étoit point éclairé des lumières de la révélation, ait imaginé des théories très-bizarres, sans doute, mais auxquelles il étoit difficile d'en substituer alors de beaucoup plus solides. La Mettrie n'a point une pareille excuse; et celui qui, au dix-huitième siècle, a pu faire l'homme machine et l'homme plante; celui qui nous fait pousser comme des champignons; qui dit que la terre ne produit plus d'hommes par la méme raison qu'une vieille poule ne pond plus d'œufs; que les premiers hommes furent d'abord des plantes et des arbres dont l'organisation se perfectionna insensiblement, et que d'heureuses combinaisons leur donnèrent peu à peu des yeux et des oreilles; celui, dis-je, qui a rêvé ces absurdités et cent autres pareilles, est un fou, et un fou d'autant plus méprisable, que ses ouvrages respirent le libertinage et l'athéisme. Il avoit senti, comme plusieurs autres incrédules, que pour mieux séduire les esprits, il falloit corrompre les coeurs, et que pour extirper la croyance d'un Dieu, il étoit bon d'étouffer la pudeur et de justifier les vices; tactique profonde, qui ne leur a que trop réussi, et qui, flattant toutes les passions à la fois, se servoit de l'orgueil pour nourrir des penchans déréglés, et de ces penchans même pour accroître et fortifier une orgueilleuse doctrine. M. Berthre dit que l'on croit généralement que La Mettrie, à

la mort, revint à la religion de ses pères, et rétracta sincèrement ses erreurs. Je souhaite de tout mon cœur que ce fait soit vrai; mais je ne sais si l'on en a des preuves suffisantes, et j'aurois voulu que M. Berthre eût cité ses autorités. Ce qui est incontestable, c'est que La Mettrie étoit un fou, comme l'avoue Voltaire, et qu'après avoir proscrit la vertu et les remords,fait l'éloge des vices, invité ses lecteurs à tous les désor dres, il a laissé une mémoire exécrable (1).

M. Berthre termine son livre par le parallèle d'Epicure et de Rousseau. La partie qui concerne ce dernier est fort étendue. L'auteur donne d'abord quelques détails sur la vie de Jean-Jacques. On sait combien elle fut remplie de traverses dues à son humeur inconstante et bizarre. L'histoire des divers emplois qu'il exerça est vraiment curieuse, scribe chez un greffier, apprenti chez un graveur, laquais dans deux maisons différentes, étudiant en latin, puis en musique, commis chez un intendant, précepteur, secrétaire d'un ambassadeur, employé de finances, auteur enfin, et commencant à quarante ans à se faire connoître. C'est de cette époque que datent ses plus grandes disgrâces; c'est alors qu'il montra ce caractère sombre et farouche, ces caprices, ces soupçons, cet orgueil intraitable, ces vertiges qui firent le tourment de sa vie. Partout il fatigua ceux qui avoient recherché son amitié, et dégoûta ceux qui lui vouloient du bien. Enfin, il est reconnu qu'il étoit sujet à des accès de folie, qui ont abouti à une mort violente; car cette dernière circonstance n'est plus douteuse (2).

(1) Lettres du 6 novembre 1750, du 27 janvier 1752, t. 71 de ses

œuvres.

(2) On peut consulter à cet égard la relation qu'a donné M. Corancez sur la mort de Rousseau.

Pour nous résumer sur l'ouvrage de M. Berthre, nous pensons qu'il n'étoit pas trop nécessaire de dévoiler le charlatanisme de Pythagore où de Chrysippe. Ces gens-là ont aujourd'hui peu de partisans; et s'ils ont été dangereux autrefois, ils ont cessé de l'être. Les charlatans modernes méritent une toute autre attention, parce qu'il ont eu une toute autre influence; et si l'auteur veut conserver le plan de son ouvrage, et exposer les rêveries et les systèmes des anciens, il faut du moins qu'il étende et qu'il perfectionne la partie de son livre qui traite des modernes. Nous applaudissons à son zèle et à la justesse de plusieurs de ses réflexions; mais nous croyons qu'il eût pu rendre son travail plus précieux. Il étoit possible de présenter plus de faits, de réunir plus de preuves, de peindre avec plus de force, de mettre plus de vigueur dans la discussion, plus de chaleur dans le style, plus d'intérêt dans tout l'ensemble. Il y a des longueurs qu'il faudroit faire disparoître, des raisonnemens qu'il faudroit resserrer. Enfin, s'il faut le dire, l'auteur n'a point tiré de son sujet tout le parti qu'on en devoit attendre : il n'a point justifié pleinement son titre; et si le plan est vaste, l'exécution en est foible. P....t.

XIV

Sur les bienfaits de la Religion chrétienne; ouvra ge traduit de l'Anglais, d'EDOUARD RYAN.

Il étoit impossible à un écrivain de choisir un sujet plus susceptible d'offrir des tableaux magnifiques, des récits

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intéressans, des idées grandes et utiles. L'histoire des bienfaits de la religion n'est autre chose que l'histoire du christianisme lui-même, soit qu'on l'envisage dans ces temps antiques où, sous l'empire des ombres et des figures, on pouvoit entrevoir l'image auguste des biens et du bonheur qu'il devoit apporter au monde; soit que, nous rapprochant davantage des temps où nous avons vécu, nous voulions rappeler comment cette institution admirable a surpassé, pour des milliers de générations, l'excellence et la beauté de ses anciennes promesses, et réalisé, pour les génies les plus vastes, pour les ames les plus ardentes, le charme des plus douces et des plus pompeuses espérances. Si, au récit des bienfaits que la religion chrétienne a répandus sur la terre, on pouvoit joindre encore l'énumération de tous ceux que les hommes avoient le droit d'en attendre, et dont leurs passions, leurs préventions, leur injustice, leur ignorance les ont privés, quel vaste sujet se présenteroit aux méditations du sage, et à l'admiration des véritables amis de l'humanité !

On ne songe guères aujourd'hui aux avantages inappréciables que le christianisme assure aux hommes. L'un, livré journellement à des méditations profondes sur les moyens d'augmenter la prospérité des nations, est enfin parvenu à n'en oublier aucun, excepté celui qui l'emporte sur tous les autres, et dont l'efficacité est démontrée par l'expérience des âges et par le suffrage de tant de peuples. Un autre, voulant former son enfant à l'amour du travail et à la vertu, approfondit l'analyse de l'homme, étudie le caractère de son élève; il épie avec un soin vraiment louable, toutes les belles circonstances qui peuvent faire impression sur son ame, toutes les institutions qu'il doit connoître et admirer, tous les beaux préceptes, tous les grands exemples qu'il doit sui

vre; et il néglige précisément la source la plus féconde en maximes utiles, en traits admirables et héroïques, parce qu'il ne songe plus qu'il a existé et qu'il existe encore un christianisme dans le monde. Celui-là parle au peuple de vertu, et il cite Epictète et Marc-Aurèle, comme s'il n'avoit pas existé pour le peuple d'autres modèles plus instructifs et plus rapprochés de lui. Celui-ci propose des moyens d'encouragement, et il se garde bien de recourir à cette belle institution qui fournit les motifs les plus puissans et la sanction la plus parfaite. En un mot, la plupart des écrivains moralistes ressemblent, selon l'expression du grand Bossuet, à ces Egyptiens chez lesquels tout étoit Dieu, excepté Dieu luimême.

La cause de cette indifférence est le préjugé généralement trop répandu, que le christianisme est contraire aux développemens de la raison, et à l'énergie de l'ame, sans laquelle on ne peut espérer de ces conceptions heureuses qui honorent le génie. Seroit-il nécessaire de combattre une opinion aussi absurde? tant de savans, que nous ont conservé les monastères, tant d'admirables auteurs que la religion a inspirés, tant de grands hommes qui, dans des siècles barbares, se trouvoient, grâ– ces au christianisme, placés à une si grande distance de leurs contemporains; ce sont là des personnages dont la gloire et les succès font taire tous les préjugés, tous les mensonges, toutes les imputations fausses. Ubi pietati, ubi musis locus, disoit-on autrefois. La plupart des sauvages de l'Europe moderne ont été civilisés et instruits par leurs évêques, par leurs prêtres et leurs théologiens. Ulphilas, évêque goth, inventa les lettres pour ses compatriotes illettrés, et composa pour eux la Bible en langue vulgaire. Sunnia et Tretila, deux théologiens goths, correspondoient avec le savant saint Jérôme.

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