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>> l'attachoient à la vie? Se plaira-t-il à vivre solitaire, au » milieu d'une génération nouvelle, à laquelle il semble >> entièrement étranger? La Providence et la nature » nous commandent de nous réunir à nos pères. La >> raison, en nous rappelant ceux qui nous ont précédés, » nous avertit que nous devons céder la place à ceux >> qui doivent nous suivre ; elle nous dit que leur tour est » venu de remplir la scène du monde de leurs peines, » de leurs plaisirs, de leurs vertus, de leurs {crimes; » elle nous assure qu'ils en' seront arrachés comme » nous, et qu'à leur tour ils augmenteront le nombre » de tant de générations oubliées, que la terre a vu » s'agiter à sa surface, et dont il ne reste plus qu'une » légère poussière, qui se confond avec celle des >> champs. >>

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Ecoutons Bossuet: « Quest-ce que ma substance, & grand Dieu ? J'entre dans la vie pour en sortir » biemôt je viens me montrer comme les autres; » après il faudra disparoître. Tout nous appelle à la » mort. La nature, comme si elle étoit presque envieuse » du bien qu'elle nous a fait, nous déclare souvent et » nous fait signifier qu'elle ne peut pas nous laisser » long-temps ce peut de matière qu'elle nous prête.... » Les enfans qui naissent, à mesure qu'ils croissent et qu'ils s'avancent, semblent nous pousser de l'épaule, >> et nous dire : Retirez-vous, c'est maintenant notre » tour. Ainsi, comme nous en voyons passer d'autres >> devant nous, d'autres nous verront passer, qui doi» vent à leurs successeurs le même spectacle. O Dieu ! encore une fois, qu'est-ce que de nous? Si je jette la » vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! » si je la retourne en arrière, quelle suite effroyable » où je ne suis plus ! Et que j'occupe peu de place » dans cet abyme immense du temps! Je ne suis rien;

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» un si petit intervalle n'est pas capable de me distin>>guer du néant on ne m'a envoyé que pour faire >> nombre; encore n'avoit-on que faire de moi, et la » pièce n'en auroit pas été moins jouée, quand je se>> rois demeuré derrière le théâtre..... Il n'y a qu'un "} moment qui nous sépare du néant. Maintenant nous en tenons un ; maintenant il périt, et avec lui nous péririons tous, si, promptement et sans perdre de » temps, nous n'en saisissions un autre semblable, jus» qu'à ce qu'enfin il en viendra un auquel nous ne pour» rons arriver, quelque effort que nous fassions pour >> nous y étendre ; et alors nous tomberons tout-à-coup » manque de soutien. O fragile appui de notre être ! » O fondement ruineux de notre substance! »

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Nous n'avons pu résister au plaisir de mettre un si beau morceau sous les yeux de nos lecteurs. Quelle vie! Quel coloris ! Quelle énergie ! Et où se montre-t-elle d'avantage, est-ce dans le style, est-ce dans la pensée ? Quel art profond d'étendre sa pensée, sans la déiayer! Quelle originalité d'expressions! Il n'y a pas jusqu'à celles qui paroissent dures ou négligées qui ne soient là pour faire effet, précisément par leur dureté et leur négligence même. Ce sont les noeuds de la massue de Bossuet, et il se garde bien de les polir. C'est ainsi qu'il s'est fait une langue à part, qui n'appartient qu'à lui, et hors de toute comparaison. Ce n'est pas ainsi que parle Blair; il a voulu dire tout ce que Bossuet a dit, mais qu'il est loin de sa manière grande et fière : çe n'est pas la pensée qui lui manque, c'est l'art de la rendre et de l'exprimer ; ce n'est pas le génie, c'est le génie oratoire.

On a dit que les sermons de Blair avoient excité en France de l'enthousiasme et même du fanatisme, et que dans l'espace de quelques mois on en avoit fait onze

éditions en France, après que l'on en avoit fait vingtdeux en Angleterre ; et sur cela on a reproché aux ;Français de négliger leurs chefs-d'oeuvres pour les ouvrages souvent médiocres de leurs rivaux. Nous ne trouvons pas que ces reproches soient fondés : nous ne voyons pas que les sermons de Blair, quoique très-estimables d'ailleurs, aient excité parmi nous ni enthousiasme ni fanatisme; et ils ne sont pas de nature à produire cette explosion. Nous ne croyons pas aux vingtdeux éditions anglaises; et nous croyons encore moins aux onze éditions françaises. Mais nous pensons que la traduction de M. l'abbé de Tressan, est bien supérieure à celle de M. Frossard, qui d'ailleurs n'a traduit que les premiers volumes des sermons de Blair. Outre que le nouveau traducteur nous les donne dans leur totalité, il l'emporte encore sur son concurrent par l'élégance, le naturel et la rapidité. Peut-être n'a-t-il pas toujours conservé à son original la physionomie qui lui est propre; peut-être, d'après le plan qu'il nous apprend s'être formé, de ne pas faire une simple version, a-t-il souvent plus imité que traduit; mais quels que soient les inconvénients attachés à une pareille entreprise, nous ne lui savons pas moins gré d'avoir cherché à naturaliser parmi nous cette production étrangère. X.

XLVI.

COURS de Morale religieuse, par M. NECKER.

M. NECKER est un des hommes qui a le mieux connu l'inconstance de l'opinion, et la vanité de la gloire. Cependant il ne les a pas recherchées avec moins d'empressement. Il semble s'être passionné pour elles,

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en raison de leurs injustices. On trouve, à la vérité, peu d'hommes d'état qui passent tranquillement de ce théâtre, où ils occupoient tous les yeux, dans la retraite, où les attend l'indifférence et l'oubli les inquiétudes de l'ambition, et les fantômes du pouvoir ne les abandonnent jamais. Vous les avez quelquefois entendus se plaindre des agitations de leur place, pendant les jours de leur faveur ne les croyez pas. Dès que leurs mains ne font plus mouvoir les ressorts des empires, le repos devient leur tourment, et l'ennui s'en empare à l'heure même où le vrai bonheur devroit commencer pour eux.

Les ennemis de M. Necker ont prétendu qu'il n'étoit point exempt de cette grande maladie qu'éprouve, dit-on, tout ministre disgracié. Leurs réflexions malignes redoublent aujourd'hui. M. Necker, s'écrientils, détourne trop les yeux vers le monde depuis qu'il s'est caché dans la solitude. Il a sans cesse publié son apologie pour le passé, et ses leçons pour l'avenir. Il a pris tour à tour le langage d'un homme d'état, d'un financier, d'un politique, d'un philosophe. Il se fait aujourd'hui docteur chrétien pour trouver un auditoire. Les avenues du sénat et le palais des rois lui sont fermés; il se réfugie dans les temples, il ne gouverne plus le trésor public, il veut gouverner les consciences; il n'a plus de tribune, il monte dans la chaire,

On entend ces propos de toutes parts, et ces propos sont affligeants pour ceux qui estiment l'auteur de cet ouvrage. Le talent des plus grands orateurs sacrés auroit peine à recommander aujourd'hui trois volumes de sermons. M. Necker aura-t-il su vaincre la difficulté?

Convenons d'abord que, si quelqu'un peut élever sa voix avec succès en faveur de la religion et de la

morale, c'est un homme d'état qui, retiré près de son tombeau, dans la solitude, connoît le néant des choses de la vie. Après avoir joué lui-même un rôle important sur la scène du monde, il a trouvé sans doute la religion remplissoit mieux le vide du cœur que la politique et la philosophie. Il a pensé comme Pascal et comme Bossuet; mais a-t-il, comme eux, fait aimer le christianisme? c'est ce qu'il faut examiner.

que

Le Cours de Morale religieuse est divisé en cinq sections,

La première traite des bases de la morale et de la religion naturelle; la seconde et la troisième parlent des devoirs des hommes; la quatrième examine nos sentiments et nos habitudes par rapport au bonheur ; la cinquième cherche à concilier la religion naturelle avec la religion révélée. Des sections se subdivisent en discours, et chaque discours est fondé sur un texte tiré de l'écriture.

Ce plan a deux graves inconvénients. Sa marche méthodique nuit aux mouvements de l'éloquence; et le style oratoire, prodigué par M. Necker dans ses dis- ! cours, nuit à la méthode et à la précision du raisonnement. On n'est donc ni entraîné par l'orateur, ni convaincu par le dialectitien.

D'ailleurs, il y a quelque danger, même pour M. Necker, à se jeter dans des formes qui rappellent Bossuet, Bourdaloue, Massillon et le dernier des grands orateurs chrétiens, l'abbé Poule (1).

Ces défauts de l'ensemble pourroient néanmoins s'excuser, s'ils étoient rachetés par les beautés de détails. Malheureusement, l'auteur de la Morale religieuse n'a

(1) Le critique ne veut sans doute parler que des morts, et oublie celui qui de nos jours nous retrace encore tant de beaux traits de cette ancienne éloquence.

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