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emprunté à ces anciennes poésies. D'ailleurs, si ces Fabliaux ne sont que des traductions des Contes arabes, pourquoi le professeur en tire-t-il des conséquences si favorables à leurs auteurs, qui annonçoient, ditil, le siècle des lumières ? Il ne suffit pas d'avoir tant d'érudition, il faudroit encore avoir un peu de logique. Mais si le professeur ne veut point que La Fontaine et Boccace aient imité les Fabliaux, en récompense, il voit dans Paméla et dans Nanine une imitation du conte de Grisélidis, avec lequel Nanine et Paméla ont, il faut l'avouer, bien peu de rapport. Ce conte lui a fourni l'occasion d'une apostrophe pathétique, où il a développé toute la sensibilité de son cœur, et qu'il a prononcée du ton le plus larmoyant; mais ce que j'ai surtout remarqué, c'est une phrase dans laquelle il a représenté Grisélidis ne promettant que l'obéissance, et tenant toutes les vertus: on ne peut guère mieux se rapprocher du style de Cotin. Dans tout ce fatras de citations, d'érudition et de rapprochemens, le professeur a fait observer très-justement qu'une des histoires de Zadig est imitée d'un Fabliau; mais une phrase qu'il a ajoutée à cette remarque a fait un peu murmurer l'assemblée. Voltaire, a-t-il dit, a marqué ses pas sur toutes les routes; métaphore grotesque, qui a paru empruntée du bureau des diligences. Une autre phrase m'a frappée ; j'avoue que ma mémoire ne me représente pas bien la manière dont elle étoit amenée. La vérité, a dit le professeur d'un ton très-enflé, la vérité doit aujourd'hui triompher, du moins en littérature, mais sans tirer à conséquence. Je ne me souviens point, dis-je, à quel propos M. Chénier a prononcé cette sentence. Au reste, sous quelque rapport qu'on veuille considérer cette phrase, il faut convenir qu'elle paroît totalement dénuée de sens. Le sens et le jugement ne

sont pas les premières qualités de notre professeur. Je ne sais trop si je continuerai à rendre un compte suivi et régulier de ses leçons : je,suis averti, par l'ennui de cette séance, du peu d'intérêt que le public y attachera par la suite (1). Si le professeur vient à bout de fournir sa carrière, s'il se corrige, s'il se hâte d'arriver à des époques littéraires plus dignes d'attention, je pourrai bien encore m'occuper de son Cours; sinon je le livre, pour toute critique, à l'ennui et à l'oubli. Y.

IV.

Même Sujet. DISCOURS prononcé à l'Athénée de Paris, le 14 décembre 1806, par M. Chénier, de l'Institut National.

DEPUIS quelques années, le monstre hideux de l'im

piété paroissoit endormi. Confondu d'abord des mauvais succès de ses dernières campagnes, il se tapissoit dans sa caverne, et n'en sortoit, pour ainsi dire, que la nuit, pour sonder le terrain et aller à la découverte. Et voici qu'aujourd'hui il se réveille et se montre au grand jour. Il est vrai qu'il n'est plus aussi altier, et qu'il ne le prend plus sur un si haut ton. Il ne s'habille plus en Brutus, ainsi qu'on le voyoit aux beaux jours de sa gloire; ni en arlequin, comme Voltaire ; ni en arménien, comme Rousseau; ni en sycophante, comme Diderot il prend un costume plus simple et une couleur moins tranchante, et il est mis à peu près comine tout le monde. Mais, ne pouvant plus faire des décrets,

(1) On sait que la prédiction du critique n'a pas été fausse.

il veut au moins faire des thèmes et des amplifications : ne pouvant plus vociférer dans les clubs, il veut au moins professer dans les athénées, et en serpent habile, n'osant pas encore siffler trop haut, se glisser doucement sous les fleurs de sa rhétorique.

Nous n'appliquons pas sans doute à M. Chénier ce portrait dans sa généralité; mais on ne peut disconvenir qu'il n'y ressemble en bien des endroits, et son discours d'introduction en est la preuve irréfragable. Il n'y dit pas tout ce qu'il voudroit dire; mais il nous fait entrevoir tout ce qu'il dira, si on le laisse dire. Ce n'est point un manifeste en règle, ni une vraie déclaration de guerre ; mais il est impossible de n'y pas reconnoître ses intentions hostiles, et le dessein formé de prouver à ses auditeurs que les événemens ne l'ont point corrigé; qu'il est toujours à la hauteur, en dépit de l'expérience; qu'il est tout prêt encore à donner un démenti formel à la nature, en démontrant, à qui voudra l'entendre, que la philosophie est un véritable trésor, la religion un véritable abus, l'art social un mystère toujours sujet à révision, et le genre humain un ouvrage manqué qui a besoin encore d'être refait par l'analyse.

Nous ne relèverons point ici toutes les opinions hasardées, tous les faux jugemens, toutes les bévues littéraires dont ce discours est rempli. Nous nous contenterons d'en extraire quelques passages qui nous ont paru les plus propres à faire naître des réflexions utiles; car notre but est bien plus d'instruire nos lecteurs que de critiquer M. Chénier.

« Le quatrième siècle est une époque mémorable » dans l'histoire du monde. L'étonnante révolution » commencée par Constantin et consommée par Théo»> dose, donna une nouvelle direction à l'esprit hu« main..... En quittant Rome pour Bysance, Constantin

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» prépara la division de l'empire et la chute de Rome. » L'empereur Julien régna trop peu de temps pour >> combler l'abîme dont il avoit mesuré la profondeur; >> mais il ranima l'amour des lettres..... Les successeurs » du grand Julien suivirent une route toute différente. » On sait avec combien de zèle, ils adoptèrent ces >> nouvelles croyances..... Soit par piété, soit par pru» dence, Théodose ordonna de penser comme lui, et » la philosophie resta muette devant la dialectique des >> inquisiteurs : je dis des inquisiteurs, car c'est à lui » que cette institution commence..... Des querelles >> presque toujours sanglantes sur des hérésies déjà » nombreuses, succédèrent aux paisibles discussions » de l'académie et du portique. L'autel de la Victoire, » abattu par Constantin, avoit été relevé par Julien. » Théodose le renversa pour toujours. On répondit au » signal du prince. Dans une foule de cités, la pieuse » adulation brisa les statues des dieux de l'empire, et >> des esclaves démolirent les temples qu'avaient consa» crés des héros».

Des esclaves! On voit bien que c'est ici un fier républicain qui parle. Mais par quels prodiges ces Romains étoient-ils devenus les esclaves de cette religion nouvelle, si ennemie des passions et des sens, et dont la sublimité n'avoit pas même été soupçonnée par leurs sages les plus vantés? Comment avoient-ils pu changer ainsi leur culte, leurs mœurs, leurs habitudes, leurs préjugés les plus enracinés, au point de briser ces statues qu'ils adoroient, et de renverser ces mêmes temples où tous leurs vices étoient divinisés ? Un tel changement est-il dans la nature? N'y a-t-il pas là quelque chose de plus qu'humain? et peut-on s'empêcher d'admirer, dans cette inouie révolution, la force de la vérité à laquelle tout a cédé, et le pouvoir de cet Évangile divin

qui a vaincu jusqu'aux Césars, et ne doit qu'à lui seul sa miraculeuse existence?

M. Chénier se moque visiblement de ses lecteurs, quand il nous parle de ces pieux adulateurs qui obéissent aveuglément aux ordres dn souverain, qui pensent suivant que Théodose leur ordonne de penser, et détruisent leurs temples et conspuent leurs dieux au signal du prince. Il ne s'en moque pas moins quand il nous dit que c'est de Théodose que commence l'institution des inquisiteurs, et que la philosophie resta muette devant la dialectique des inquisiteurs. Comme si les vrais et les premiers inquisiteurs n'étoient pas nés sous les empereurs philosophes et persécuteurs des chrétiens: comme si les premiers inquisiteurs n'étoient pas les tyrans qui faisoient les martyrs et les bourreaux qui étoient à leurs ordres comme si Théodose avoit fait quelques martyrs parmi les philosophes : comme s'il avoit rendu quelques décrets contre la liberté de la presse, ainsi qu'un certain Dramaturge, devenu souverain et inquisiteur, en a fait rendre, dans les années de la raison: comme s'il n'étoit pas tout simple que la philosophie restát muette, alors que les imposteurs ne parloient plus, que le règne des fables étoit passé; et qu'elle prit le parti de se taire, lorsque personne ne vouloit plus l'écouter. Certes, nous ne savons pas quelle étoit la dialectique des inquisiteurs, mais nous savons que si M. le professeur n'a pas d'autre dialectique à apprendre à ceux qui paient ses leçons, il vole à coup sûr leur argent.

M. Chénier peut regretter tant qu'il voudra l'autel de la Victoire, et s'attendrir sur la destruction des temples consacrés par des héros : il peut aussi pleurer, s'il le juge à propos, sur les débris de l'autel de la Peur, de l'autel de la Fièvre, de l'autel de Vénus,

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