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Les Romains, du temps de saint Augustin, avoient sous les yeux tous les chefs-d'oeuvre des beaux siècles de la Grèce et de l'Italie, ils avoient de brillantes écoles, et ils étoient barbares, parce qu'ils avoient les mœurs corrompues, l'esprit faux, l'ame énervée par le luxe; parce qu'une éducation foible et molle étouffoit tous les talents dans leur germe. Saint Augustin eût été si éloquent que Cicéron, s'il eût vécu vers la fin de la république : au troisième siècle, il n'a été qu'un mauvais écrivain et un bel esprit (1).

Une autre plaie de l'éducation, c'est la multitude des objets qu'on fait passer en revue sous les yeux des jeunes gens, et qu'ils effleurent à peine. C'est la danse, le violon, la musique, le dessin, qui font du temps destiné aux études solides, une dissipation continuelle: cette manie des maîtres d'agrément ne rend pas les jeunes gens plus agréables; elle n'en fait que des ignorants. Savoir danser pour un jeune homme, n'est trop souvent qu'une occasion de libertinage; lui apprendre à jouer du violon, c'est en faire, pour le reste de sa vie, un impitoyable racleur, dont l'amusement sera le supplice de ceux qui seront condamnés à l'entendre. La perfection même à laquelle tous ces arts sont arrivés, devroit avertir les parents qu'il faut laisser cette étude à ceux qui veulent en faire leur profession. C'est une folie d'appliquer indistinctement tous les enfants à des arts qu'ils

(1) Noas observerons que cette critique ne sauroit tomber que sur le style de Saint Augustin (où l'on trouve effectivement le mauvais goût de son siècle), et nullement sur la sublimité de ses pensées qui ont fait l'admiration de tous les siècles. Le critique rend, en effet le plus bel hommage au génie d'un des plus illustres pères de l'Eglise, puisqu'il le compare au père de l'éloquence latine; et l'on sent que les épithètes de mauvais écrivain et de bei-esprit, qu'il donne à l'évêque d'Hippone, ne sont que l'expression d'un goût aussi pur que sévère, et n'ont rien de choquant dès qu'on fait la distinction que nous venons d'établir.

ne pourront jamais savoir assez bien pour s'amuser euxmêmes, ou amuser les autres. Dès qu'il faut danser comme Henri et Duport, jouer du violon comme Kreutzer et Rode, dessiner comme David et Regnaud, chanter comme Elleviou et Martin pour avoir et donner quelque plaisir, ce n'est pas la peine de dépenser tant d'argent pour se rendre ridicule : il vaut bien mieux orner son esprit et former son coeur, que d'exercer ses pieds, ses mains et son gosier.

X X X.

G.

Distribution générale des prix à la maison d'éduducation dirigée par mademoiselle L***

Оха Na beaucoup disserté sur l'éducation des filles; Fénélon a traité ce sujet intéressant dans un ouvrage qu'on estime beaucoup, et qu'on ne lit guère, sort commun à tous les écrits où il ne règne qu'une morale austère, et où la vérité n'est pas cachée sous les fleurs brillantes de l'imagination. Fénélon avoit la bonhomie de croire que l'émulation, si nécessaire dans l'instruction des hommes, devient fatale quand il s'agit de celle des femmes; il regardoit les mères comme les institutrices naturelles de leurs filles, et l'éducation domestique lui paroissoit la seule convenable à cette précieuse moitié de la société. Mais les progrès des lumières, et les résultats de la civilisation, nous ont fait renoncer à ces vieux préjugés; l'ouvrage du vertueux archevêque de Cambrai est resté dans les bibliothèques, et la capitale s'est couverte d'établissements fastueux, vulgairement nommés Pensionnats de jeunes demoiselles.

Il n'est presque point de faubourg, de rue, de bou

levard, qui n'ait vu s'élever un de ces temples à la danse, la musique, et à tous les arts frivoles. De brillants succès ont couronné ces entreprises. Il en est sorti depuis dix ans une foule de musiciennes et de danseuses qui pourroient le disputer en gráce et en vigueur aux plus célèbres virtuoses de l'opéra. Mais ces pensionnats nous ont-ils donné de bonnes épouses, de bonnes mères de famille? Voilà ce que demandent des censeurs chagrins, partisans de tout ce qui est ancien, et frondeurs de tout ce qui est nouveau. Une cadence perlée, un entrechat exécuté avec grâce, une gavotte bien phrasée, ne sont pas, disent-ils, une dot bien précieuse pour un mari. La complaisance, la douceur, l'économie, les soins du ménage, voilà les trésors qu'ils estiment, qu'ils désirent le plus; et ces choses - là ne sont pas de la compétence du maître de piano et du professeur de danse.

Que les censeurs se rassurent : cette éducation frivole et légère n'existe plus; elle a fait place à une instruction plus grave, à des études plus sérieuses. La danse, le chant, la comédie, ne sont aujourd'hui que des arts d'agrément qui embellissent les loisirs des jeunes élèves; grâce à un système nouveau, elles acquièrent des connoissances plus approfondies; elles partagent leur temps entre l'éloquence, l'histoire, la grammaire et l'étude des langues. Ce ne sont plus ces Nymphes légères volant sur la trace des Ris et des Jeux ; ce n'est plus cette troupe folâtre qui ne moisonnoit que des fleurs ce sont de graves étudiants en robe de gaze; c'est une pépinière d'historiens, de savants et d'orateurs, qui apprennent dans leurs dortoirs à composer un discours, et qui jetteut pêle-mêle sur une table les chiffons de la marchande de modes et les oeuvres de Rollin et de Cicéron.

Si quelque incrédule doute de l'amélioration de cette

branche de l'instruction publique, qu'il se procure le programme de la distribution des prix faite chez mademoiselle L **, à la fin de l'année scolastique, comme cela se pratiquoit jadis à l'université de Paris, et comme cela se fait aujourd'hui dans tous les lycées de l'empire. A l'aspect de ce programme, on est d'abord frappé de l'énorme quantité de prix qui ont été décernés. Jamais on ne fit une plus ample moisson de lauriers: il y a eu, dans ce jour solennel, deux cent trente-huit têtes couronnées. Mais toutes les élèves, dira-t-on, ont donc obtenu des prix ? Pourquoi pas? cela prouve l'excellence de l'institution. Tous les parents sont satisfaits; cela prouve l'esprit de l'institutrice.

Dix prix ont été décernés pour l'histoire de France quinze pour l'histoire romaine, huit pour l'histoire grecque, dix-huit pour l'histoire sacrée, neuf pour la rhétorique, neuf pour le discours, et douze pour la narration. Quelques ennemis de la science pourroient dire que l'art du discours et de la narration ne doit pas s'apprendre aux femmes; qu'il est inutile et peut-être dangereux d'ajouter à leurs dispositions; qu'il faut tout au plus à cet égard laisser agir la nature. ·

A la suite des arts utiles viennent le piano, le solfége, la langue anglaise, et le dessin d'après nature. J'ignore ce qu'on veut dire par cette dernière expression; il est probable que ces demoiselles ne dessinent que des fleurs; mais on auroit dû le dire dans le programme, car beaucoup de parents, qui n'aiment pas le dessin d'après nature, pourroient, par une delicatesse mal entendue, être scandalisés d'un mot fort innocent. Cela ◄ prouve qu'il est certains cas où il ne faut pas généraliser les choses.

Mais il me semble entendre encore les maudits censeurs dont j'ai parlé éclater en murmures; les sciences

Tome V.

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et l'histoire n'ont pas à leurs yeux plus de prix que la musique et la danse. Une femme légère les effraie moins encore qu'une femme savante. Ils pensent qu'on ne rend point un époux heureux avec des figures de rhétorique, et qu'on peut fort bien connoître tous les peuples anciens et modernes, et ignorer les détails les plus simples du ménage et de la vie domestique. Eh quoi! disent-ils, n'existe-t'il donc pas un milieu entre une éducation si grave et une instruction si frivole ? Est༄ il impossible de substituer à ces études trop profondes ou trop superficielles des connoissances vraiment utiles? Ne pouvons-nous avoir que des pédantes ou des coquettes, et ne formera-t-on jamais de bonnes mères de famille?

Nous nous hâtons de repousser une accusation si peu méritée; qu'on prenne la peine de consulter le programme, on y verra un prix de broderie entre quatorze prix de dessin et quarante-neuf de musique : il est vrai que ce prix est tout seul, qu'il n'a pas le moindre petit accessit, et qu'il semble s'être glissé là un peu honteusement; mais une remarque vraiment curieuse, c'est que le nom de l'infortunée qui l'a obtenu ne figure pas une seule fois dans la liste des soixante-sept qui ont été couronnées, soit pour l'histoire grecque pu romaine, soit pour la rhétorique, le discours et la narration: tant il est vrai que les mains profanes qui manient l'aiguille ne sont faites pour pour cueillir les nobles lauriers de l'éloquence. Et on pense bien qu'on n'a pas fait la moindre mention de la couture et du tricot. Ce sont de petits talents bourgeois trop indignes des palmes réservées à la science et au génie.

pas

Au reste,

il est vrai de dire que dans cette immense distribution de couronnes, la faveur n'en a pas décerné une seule. Des comités d'hommes de lettres célèbres ont

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