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siècle, puisqu'il ne fut consommé que sous sou suc

cesseur.

La philosophie du dix-huitième siècle avoit ( elle l'avoue elle-même) (1), ébranlé toutes les idées positives; elle avoit affoibli la religion, égaré la politique, corrompu la morale, intimidé les rois, exaspéré les peuples, avili le clergé, porté atteinte à la juste considération de la magistrature, et même à l'honneur de la profession militaire, par ses éternelles et indiscrètes déclamations contre la guerre ; et pour nous consoler de tant de pertes, elle nous avoit donné la Pucelle, le Contrat Social, le Système de la Nature, le livre de l'Esprit, l'Encyclopédie, quelques académies de plus, et des théâtres par-tout.

A tant de succès, il manquoit le triomphe, et le chef du parti, vieilli dans une guerre de soixante ans contre le Christianisme, vint le recevoir dans la capitale, sous les yeux de l'autorité qui avoit flétri ses ouvrages! Il y fut accueilli avec des honneurs presque divins: fètes impies que Sully n'auroit pas plus permises que Richelieu. Je remarque cet événement, parce que ceux qui le répétèrent sur l'image de Voltaire, aux premiers jours de nos malheurs, nous révélèrent l'importance qu'ils y attachoient, qu'ils en firent comme l'inauguration de la révolution, dont Voltaire, suivant l'historien de sa vie, a été le premier auteur (1); et que l'adoration

(1) Voyez le feuilleton du Publiciste du 1er mai 1807.

(2) L'historien dont parle M. de Bonald est Condorcet, qui s'exprime ainsi: «Il me semble qu'il étoit impossible de développer » davantage les obligations éternelles que le genre humain doit avoir » à Voltaire. Les circonstances actuelles (la révolution) en fournis>> soient une belle occasion. Il n'a point vu tout ce qu'il a fait, mais » il a fait tout ce que nous voyons. Les observateurs éclairés, ceux qui sauront écrire l'histoire, prouveront à ceux qui savent réflé» chir, que le premier auteur de cette grande révolution qui étonne » l'Europe, et répand de tous côtés l'espérance chez les peuples, et

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du dieu du bel esprit se trouva ainsi liée au culte de la déesse de la raison.

Si jamais un poète entreprend de retracer l'histoire de nos calamités, et qu'usant du privilége de l'épopée, d'assister aux conseils de la Divinité, il représente, comme Homère, l'Éternel pesant dans des balances d'or les destinées de la France; il assignera à ce jour funeste le moment où un jugement sévère fut porté sur la France et sur ses maîtres, et où, au milieu de nos joies insensées une main invisible écrivit sur les murs de la demeure royale ces terribles paroles, qui disent à une nation que ces jours ont été comptés, ses crimes pesés, et que son pouvoir va être divisé.

Il n'y avoit plus de pouvoir en France, puisque la religion y étoit impunément outragée par ses ennemis. Il n'y avoit plus de pouvoir en Europe, puisque la chrétienté y étoit impunément mutilée par ses propres enfants. Dès ce moment la France et l'Europe furent en équilibre entre la monarchie et la démocratie, entre l'ordre et le désordre, entre la vie et la mort; et tout annonça aux esprits attentifs que ces royaumes divisés en eux-mêmes, suivant l'oracle de la divine sagesse > alloient être désolés.

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» l'inquiétude dans les cours, c'est sans contredit Voltaire. C'est lui » qui a fait tomber la première et la plus formidable barrière du despotisme, le pouvoir religieux et sacerdotal. S'il n'eût pas brisé » le joug des prêtres, jamais on n'eût brisé celui des tyrans. L'un et » l'autre pesoient ensemble sur nos têtes, et sc tenoient si étroite» ment que, le premier une fois secoué, le second devoit l'être « bientôt après. L'esprit humain ne s'arrête pas plus dans son indé» pendance que dans sa servitude; et c'est Voltaire qui l'a affranchi, >> en l'accoutumant à juger, sous tous les rapports, ceux qui l'asser» vissoient. C'est lui qui a rendu la raison populaire; et si le peuple » n'eût pas appris à penser, jamais il ne se seroit servi de sa force. C'est » la pensée des sages qui prépare les révolutions politiques; mais c'est » toujours le bras du peuple qui les exécute. »

Les jours de la désolation arrivèrent : hâtés par les uns, prévus par les autres, au point que l'annonce du bouleversement dont ces funestes doctrines menaçoient la société, étoit devenu, depuis quarante ans, un lieu commun des discours de la chaire, et même des réquisitoires du ministère public. Alors commença pour la France, pour l'Europe, peut-être pour le Monde, cette révolution que les rois et les peuples ne sauroient assez méditer; cette révolution qui a laissé, dans les esprits et dans les mœurs, des traces de désordres bien plus profondes que dans les fortunes; mais qui cependant, grâce à notre caractère, et même à nos vertus, sera bientôt oubliée, lorsque ceux qui l'ont faite l'auront pardonnée à ceux qui l'ont supportée.

B...d.

X X V.

Sur le duc de Choiseul.

M. de Choiseul a occupé dans le monde un poste trop pour n'avoir pas eu beaucoup d'ennemis. On

éclatant

lui a, comme de coutume, fait une multitude de reproches injustes ou exagérés. On a rendu assez de justice à son esprit, à ses talents, à ses qualités brillantes. Mais il avoit de plus de l'élévation dans l'ame, ce qui suppose de la probité, de la droiture, de la franchise, qualités si nécessaires à un particulier, et toujours recommandables dans un homme d'état. Il s'est peint d'une manière assez vraie dans ses mémoires. On lui a reproché d'excessives dépenses; comme si des réformes immenses et de grandes améliorations n'exigeoient pas des sacrifices extraordinaires: il n'y a qu'un homme médiocrequi puisse économiser dans uneplace éminente. Un

administrateur du premier ordre fait de grandes avances et crée de grandes ressources. Il ne paroît pas cependant que l'économie, quand elle étoit nécessaire, fût inconnue à M. de Choiseul. Il l'a prouvé par ses réformes dans le département des affaires étrangères. Ses opérations dans le ministère de la guerre ont été vues moins favorablement. Après les honteuses campagnes de la guerre de sept ans, une réforme paroissoit indispensable. Mais falloit-il, pour cela, forcer à la retraite un nombre prodigieux de vieux militaires qui perdirent par là toute espérance d'augmenter leur fortune et leur gloire? L'attachement aux anciennes institutions, le véritable esprit monarchique n'en fut-il pas altéré d'une manière fatale au gouvernement? Cette foule de jeunes officiers, avides de nouveautés, ne produisit-elle pas ensuite cette secte de faiseurs, d'instructionnaires, qui en vinrent ensuite à joindre à l'instruction tudesque la discipline des coups, si avilissante pour le soldat français? Toutes ces questions seront examinées lorsqu'on s'occupera à rechercher toutes les causes de la révolution. Elle n'étoit certainement point dans les desseins de M. de Choiseul. S'il fit alors une faute, il ne faut l'imputer qu'à son imprévoyance (1). Il vaut mieux parler de la considération, de la prépondérance politique qu'il rétablit chez l'étranger en faveur du cabinet de Versailles. Il vaut mieux rappeler l'influence qu'il s'étoit acquise sur le ministère de la marine, et la manière dont il en profita pour élever les colonies des Antilles, et Saint-Domingue sur-tout, à ce haut point de splendeur et de richesses qui en firent depuis, un sujet d'envie pour nos implacables rivaux.

(1) Il faut, sans doute, en dire autant de la faveur qu'il accordoit aux philosophes, et notamment à Voltaire. (Voy. la note de la page 213.)

M. de Choiseul a certainement des titres à la reconnoissance de la postérité. Il en eût obtenu davantage, s'il eût su mépriser ces petits dégoûts, ces honteuses cabales auxquels il crut devoir faire le sacrifice de son existence politique. Il est incontestable que Louis XV ne se fût jamais déterminé à l'éloigner. La confiance que lui inspiroient ses lumières administratives; l'agrément d'un travail facile et léger, même dans les choses les plus sérieuses; l'habitude, qui a tant d'empire sur les ames indolentes; l'espèce d'attrait qui attache de plus en plus à ceux qu'on a comblés de grâces, tout enchaînoit le monarque d'un lien presque indissoluble. Mais M. de Choiseul voulut provoquer une rupture éclatante, et il y parvint. La faveur naissante de Mme Dubarry au lieu d'exciter en lui un dédain généreux, provoqua tous ses ressentiments. Il voulut irriter son maître, insulter un vieillard épris dans ses affections les plus blâmables, à la vérité, mais les plus impérieuses. M. de Choiseul avoit cependant d'autres exemples à suivre. Il n'avoit qu'a choisir ou celui de Sully, qui, par l'ascendant de sa vertu, avoit conservé toute l'amitié d'Henri IV, malgré les intrigues de ses dangereuses maîtresses, ou celui de Richelieu qui, par des moyens plus violens, avoit triomphé de toutes les cabales sans cesse renaissantes des princes du sang, des grands et des favoris, M. de Choiseul est d'autant plus inexcusable, qu'il n'avoit affaire ici qu'à une courtisane qui avoit peu d'esprit, peu de méchanceté, point de manége, et qui se seroit trouvée flattée de la moindre demande, de la politesse la plus insignifiante. Cette conduite lui étoit déjà indiquée par un homme d'un beau nom' et d'une honnêteté reconnue. Cet homme étoit le marquis d'Escars. Il fut un des premiers courtisans que le roi mena avec lui, ou plutôt traîna chez Mme Dubarry. Le len

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