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etc.,

glais; mais si cela explique les défauts de son style, cela ne les excuse pas, parce qu'il est très-possible de bien parler et de bien écrire les deux langues.... On peut aussi reprocher à l'auteur des répétitions de choses qui valoient tout au plus la peine d'être dites une fois. C'est ainsi (et ce n'est pas le seul exemple que je pourrois en rapporter), qu'il répète dans deux volumes différents les circonstances d'une chasse où l'on tua dix-huit mille trois cent quarante-trois lièvres, dix-neuf mille cinq cent quarante-cinq perdrix, neuf mille quatre cent quatre-vingtdix-neuf faisans. Je fais grâce des cailles, des alouettes et je me borne à dire qu'il fut tiré en tout cent seize mille deux cent neuf coups de fusils, dont neuf mille dix par la princesse Charlotte. M. Dutens aime ces énumérations. Il nous apprend ailleurs que le comte Brulh avoit 800 paires de souliers, 600 paires de bottes, une chambre pleine de perruques, etc. etc. Ses Mémoires sont donc remplis de trop de minuties sans ntérêt, d'anecdotes qu'on trouve par-tout, ou qu'on devroit ne trouver nulle part; tel est ce mot de Beaumarchais, qui, revenant d'Angleterre, disoit « qu'il avoit observé une petite différence entre » Paris et Londres, qui cependant avoit de grands » effets : c'étoit que là on avoit la liberté de la » presse, au lieu qu'a Paris la liberté étoit en » presse. » Quel misérable calembourg!

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Heureusement il y a des mots plus heureux, des anecdotes plus intérésantes dans ces Mémoires Les philosophes que M. Dutens paroît avoir bien connus, bien appréciés; leurs intrigues, leur orgueil, leur morgue, leur despotisme, lui fournis sent quelques chapitres assez curieux (1). On y voit

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(1) M. Datens voyoit souvent les philosophes chez madame Geoffrin, chez le baron d'Holbach et chez d'Alembert: « C'étoit là, Tome V

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que Condorcet, aidé de son ami d'Alembert, avoit voulu s'aproprier une bonne partie des revenus de l'Academie des Sciences; et je laisse cette petite manœuvre a commenter par ce grand philosophe, qui, dernièrement encore, nous assuroit que toutes les fois qu'on pouvoit citer un trait généréux et honorable, il ́appartenoit à un philosophe, et que toutes les fois qu'on avoit à parler d'un procédé vil et odieux, c'étoit un de leurs adversaires, un dévot qui en étoit coupable. Les hommes de tous les états, de toutes les conditions, de toutes les nations, les Anglais surtout, fournissent aussi à M. Dutens des traits de caractère fort singuliers. Tel est celui-ci, par lequel je terminerai cet extrait, déjà fort long. M. Pitt, père du dernier mort, et le duc de Newcastle, étoient d'un avis opposé sur la sortie d'une flotte. « M. Pitt, dit M. Du» tens, étant retenu au lit par la goutte, se trouvoit » obligé de recevoir ceux qui avoient à lui parler dans » une chambre à deux lits où il ne pouvoit souffrir de » feu. Le duc de Newcastle, qui étoit fort frileux, vint » le trouver.... A peine fut-il entré, qu'il s'écria tout » grelottant de froid: Comment vous n'avez point de » feu? Non, répondit M. Pitt, je ne puis te souffrir >> quand j'ai lá goutte. Le duc de Newcastle, obligé

>> dit-il, que l'on tramoit sourdement la destruction de la reli»gion, du clergé, de la noblesse, du gouvernement. Dès l'année » 1766, je disois aux évêques liés avec eux: ils vous détestent ; aux >> grands seigneurs qui les protégeoient : ils ne peuvent soutenir » l'éclat de votre rang qui les éblouit; aux financiers qui les prô» noient ils envient vos richesses; on continuoit à les admirer, » les flatter, à les prôner. »

Le lecteur remarquera que ce témoignage est sorti de la bouche d'un protestant qui avoit fait sa fortune à la cour de Londres, et qui par conséquent, quoique français, ne sauroit, sous aucun rapport, être soupçonné de partialité en faveur du gouvernement et du clergé de France, contre ceux qui en tramoient la destruction.

» d'en passer par là, s'assit à côté du malade, enveloppé » dans son manteau, et commença à entrer en matière; » mais ne pouvant résister long-temps à la rigueur de >> la saison : permettez, dit-il, que je me mette à l'abri » du froid dans le lit qui est à côté de vous; et sans quit» ter son manteau, il s'enfonce dans le lit de lady Es>>ther Pitt, et continue la conversation au sujet de cette » flotte qu'il répugnoit d'envoyer en mer..... Tous deux >> s'agitoient avec chaleur. Je veux absolument que la >> flotte parte, disoit M. Pitt, en accompagnant ses paroles >> des gesticulations les plus vives. Cela est impossible; » elle périra, répliquoit le duc en faisant mille con>> torsions. Le chevalier Charles-Frédéric arrivant là-des» sus, les trouva dans cette posture ridicule, et il eut >> toutes les peines du monde à garder son sérieux en >> voyant les deux ministres d'état délibérer sur un objet >> aussi important dans une situation si nouvelle et si >> singulière. >>

XXIV.

Coup-d'œil Historique sur le 18e siècle.

EN sortant des mains de Louis XIV, la France

tomba dans celles d'un roi mineur et d'un régent corrompu. La forte constitution de la France, n'avoit rien à craindre de la minorité de son chef; mais les mœurs, déjà affoiblies par les doctrines licencieuses qui commençoient à se répandre, ne purent résister à l'influence des vils exemples et des mesures désastreuses du prince qui gouvernoit sous le nom du roi, et qui commença son administration par rendre la France la fable de

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l'Europe, dont elle avoit été la gloire et quelquefois la

terreur.

L'Europe vit avec mépris et pitié, le gouvernement français, méconnoissant les ressources que lui offroient le sol le plus fertile et le peuple le plus industrieux, hasarder à un jeu périlleux la fortune publique et particulière, et changer, sur la foi d'un aventurier étranger, en un signe fictif, les signes réels de toutes les propriétés. La crédulité fut appelée au secours de l'extravagance : la nation la plus éclairée fut dupe du vain appât des trésors mensongers du Mississipi; et chez le peuple le plus désintéressé s'alluma tout-à-coup la cupidité la plus effrénée, par le dangereux spectacle des fortunes subites, de chances de gain inespérées, et d'une circulation désordonnée de toutes les valeurs. « Si la régence, dit Duclos, est une des époques de la » dépravation des mœurs, le système en est encore une » plus marquée de la dépravation des ames. » Le succès du système de Law eût été un crime : sa chute fut une calamité; et toutes les idées que fit naître cette opération fatale, et tous les désordres qu'elle entraîna, firent aux mœurs publiques une plaie que la conduite personnelle du régent n'étoit pas propre à guérir. Les moeurs de Louis XIV n'avoient pas été pures: mais telle étoit, jusque dans ses foiblesses, la dignité de son caractère, que ses favorites, toutes d'un grand nom, la plupart distinguées par leur esprit autant que par leur beauté, quelques-unes même célèbres par leur repentir, paroissoient moins servir aux passions de l'homme qu'au faste du monarque, et qu'on s'étoit accoutumé à les regarder, ou peu s'en faut, comme un officier de la maison. Les maîtresses du régent furent de viles prostituées, sans honneur et sans décence : funeste exemple que son royal pupille imita depuis, et

meine surpassa! Le régent, avili dans l'opinion, s'arma de l'effronterie contre le mépris. Il érigea le libertinage en système ; et bientôt, à son exemple, on raisonna la corruption, on philosopha sur la débauche, l'esprit se joua de tout, même de l'infamie; et comme il faut de nouveaux mots pour exprimer de nouvelles idées, et des mots honteux pour exprimer des idées infâmes, le nom de roués désigua des hommes que le prince initioit à ses plaisirs, et que leur naissance et leur rang offroient à la nation comme ses modèles. La nation, jusque là si grande et si grave, tomboit dans le petit esprit : symptôme le plus assuré de décadence. Elle y tomboit, et par la légéreté avec laquelle elle traitoit les choses les plus sérieuses, et par l'importance et l'engouement qu'elle mettoit aux choses frivoles et même puériles, à commencer par les pantins. Ce double caractère, qui a reparu à toutes les époques de désordre, n'a pas, depuis la régence, quitté la nation française, même à ses derniers moments.

Mais ce qui contribua le plus efficacement à avilir insensiblement la nation aux yeux de l'Europe, ce fut la philosophie sophistique de ce siècle : cette philosophie, qu'une secte d'écrivains, ou plutôt une compagnie de spéculateurs, tiroit de l'étranger comme une matière première, et qu'elle colportoit dans toute l'Europe, manufacturée en France avec un si déplorable succès, et mise dans des ouvrages de tous les genres, à la portée de tous les esprits.

Il ne faut pas croire, sur la foi de quelques étrangers, russes, polonais, anglais, italiens, avec qui Voltaire étoit en commerce réglé de célébrité, et dont il a eu soin de nous transmettre les lettres de félicitation et d'éloges, pas même sur la foi de quelques souverains du Nord, dont les vertus, aujourd'hui mieux, connues,

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