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jus de betterave. On sent combien ces inventions et ces méthodes sont admirables pour certains docteurs qui logent la pensée dans le bas-ventre; et leur opinion paroîtra incontestable, pour peu qu'on veuille leur accorder que l'homme est composé de matière; car c'est là tout à-la-fois la supposition d'où ils partent, et la conclusion où ils veulent arriver; en sorte que leur méthode philosophique consiste à prendre pour fondement un point qu'ils commencent par supposer avant de l'avoir découvert. N'est-ce pas là une logique merveilleuse?

L'auteur des articles combattus par M. Deluc ne forme pas d'autre raisonnement. Tont son système se réduit à avancer hardiment, en attendant qu'il le prouve, que la matière qu'on avoit cru jusqu'ici indifférente, conçoit, au contraire, de vastes désirs de perfection ces désirs font qu'elle aspire sans cesse à s'élever de l'état minéral à l'état végétal, et de l'état végétal à l'état animal. Ainsi, une pierre tend à devenir une rose, une rose tend à devenir une huître, et une huître fait tout ce qu'elle peut pour devenir un homme, afin de manger des huîtres à son tour; et ce qu'on peut assurer de plus clair à cet égard, c'est que l'auteur d'un pareil système est un homme qui raisonne comme une huître. La conclusion de ce grand philosophe est que l'homme est une pierre perfectionnée par un accroissement progressif dans la force vitale. Il se fonde apparemment sur l'histoire de Deucalion et de Pyrrha, qui firent, comme on sait, des hommes avec des cailloux, et c'est pour cela qu'ils sont si durs: Inde homines nati, durum genus.

Mais enfin qu'on n'imagine pas que je tire du principe de l'auteur des conclusions bizarres et forcées, je rapporterai ses propres expressions: << Les êtres

» les plus imparfaits, dit-il, aspirent à une nature plus » parfaite...... Le polype tend à la nature du ver; celui-ci tend à l'organisation de l'insecte ; l'insecte

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aspire à la conformation du mollusque; celui-ci » tend à se rendre poisson, et ainsi de suite jusqu'à » l'homme..... Il paroît donc certain que les êtres » les plus parfaits sortent des moins parfaits. Les ani>> maux tendent tous à l'homme; les végétaux aspirent » tous à l'animalité; les minéraux cherchent à se rap»procher du végétal. »

Le premier principe de toute bonne physique étant de ne rien avancer sans l'avoir vu, il semble qu'on seroit en droit de demander à cet auteur où il a vu ce qu'il avance. Où a-t-il vu des minéraux passer à l'état de végétaux, et des plantes se transformer en animaux ? Cela se passoit, s'il faut l'en croire, il y a plusieurs milliers de siècles, dans un temps qu'il appelle la jeunesse de la nature; car il est bon de remarquer que, selon ce physicien, la nature est aujourd'hui dans un état de décrépitude et d'épuisement: ce qui fait bien peu d'honneur à la philosophie. Mais, quoiqu'il en soit, comme il ne peut pas être mieux informé que nous de ce qui s'opéroit à une époque si reculée au-delà des temps connus, on voit tout de suite quelle peut être la force de son témoignage.

M. Deluc prouve aisément que cette prétendue décrépitude de la nature n'est qu'une imagination ridicule, et de plus une contradiction de l'auteur; mais j'ajouterai une remarque qui semble découvrir ses vues secrètes; c'est qu'en même temps qu'il lui plaît d'attribuer à la matière des désirs de perfection qu'on ne lui a jamais connus, il étouffe ou méconnoît ces mêmes désirs dans les êtres de son espèce; et, par une bizarrerie inexplicable, il veut que la pierre insensible puisse as

pirer à un état plus élevé, tandis que l'homme, qui seul dans l'univers espère l'immortalité, n'est destiné, selon lui, qu'à se précipiter à jamais dans les abimes. Quel renversement de toutes les idées! Quelle ignorance profonde de la nature, ou plutôt quelle mauvaise foi évidente !

Il sembleroit qu'un système aussi absurde dût être dépourvu de tout moyen de faire illusion. Mais comme la plupart de ceux qui s'adonnent à l'étude des sciences physiques ne parlent pas très-bien leur langue, l'impropriété des expressions leur tend à eux mêmes des piéges, ou bien ils s'en servent à dessein pour égarer les jeunes gens qu'ils endoctrinent. C'est ainsi que, l'auteur dont nous parlons, pour établir le passage d'un règne à l'autre ose donner aux substances filamenteuses qu'on remarque entre les fossiles, le nom de pierres fibreuses quoique le mot fibre soit exclusivement réservé à l'organisation animale. C'est par de tels rapprochemens qu'un professeur parvient à étourdir des écoliers, et qu'il se déshonore auprès des gens instruits.

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Dans cette bizarre doctrine, l'homme se trouve, comme on le dit populairement, plus malheureux que les pierres, car tandis que la pierre tend à se perfectionner en passant à l'état végétal, l'homme n'a d'autre perspective que de retourner à l'écume et à la crasse de la terre dont nous sommes formés expressions abjectes et dégoûtantes, dans lesquelles il semble que l'auteur ait voulu concentrer, s'il m'est permis d'employer cette expression chimique, toute la bassesse de ses idées et de son style.

Cette physique grossière, qui s'acharne à avilir

nous

l'espèce humaine, semble nous ramener à l'enfance par la puérilité et la turpitude de ses conceptions. Dans ses idées générales sur la nature, l'auteur a découvert que ce monde est une espèce de polypier dont sommes les animalcules. Nous sommes des espèces de parasites, des cirons, de même que nous voyons une foule de pucerons qui vivent aux dépens des arbres. Nous sommes formés de l'écume et de la crasse de la

terre.

Voilà comme ces misérables travaillent à flétrir dans le cœur de l'homme tout sentiment d'honneur et de dignité morale. Et c'est chez le premier peuple de l'univers, qu'on ose débiter ces sottises énormes ! On ose les recueillir dans un livre destiné à l'enseignement, et publiés avec appareil par des savans de l'Institut de France. Quel opprobre pour la physique ! Quelle honte pour notre siècle! Tandis que la fleur de la nation brave 'tous les périls pour écarter de son sein le fléau de la guerre, des physiciens ignorans oseront ne voir, dans l'homme qui neurt pour son pays, qu'un puceron formé de la crasse de la terre! Un souverain, à la tête de son armée, ne sera qu'un ciron un peu plus remuant que les autres ! Et cependant, on verra ces philosophes, aussi vils dans leurs actions que dans leurs pensées, ramper devant ceux qu'ils osent traiter de cirons et de parasites, et mendier des récompenses, comme le prix des efforts qu'ils ont faits pour dépraver la jeunesse !

C'est avec raison que M. Deluc oppose des considérations morales à ces dangereux systèmes de la physique moderne. Il ne craint pas de dire que ceux qui les publient se rendent très-coupables, et il laisse suffisamment entendre à quels dangers s'expose un état qui souffre que l'on corrompe impunément la morale publique.

En attendant que les magistrats soient plus éclairés sur cette matière, et qu'ils comprennent que la tolérance de l'erreur est la persécution de la vérité, il est au pouvoir des honnêtes gens de punir ces écrivains pernicieux, par le côté le plus sensible, par leur cupidité, en rejetant leur ouvrage avec la juste indignation qu'il doit inspirer. Z.

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Les symptômes de la décadence se manifestent, les applaudissemens deviennent moins vifs, l'ennui gagne, le professeur s'épuise et s'affoiblit; on devoit s'y attendre, il eût dû le prévoir; mais son zèle philosophique lui a fait illusion: il s'est trompé sur la valeur de la mine qu'il se proposoit d'exploiter; il commence à se répéter: ce sont toujours les mêmes lazzis; encore une leçon, le dégoût succédera à l'ennui. Dans les ouvrages des Troubadours, on trouve des facéties anti-religieuses; les Fabliaux reproduisent les mêmes facéties: comment jeter de la variété sur un sujet aussi uniforme? Le professeur n'avoit pas pressenti cet écueil de la monotonie plein d'un aveugle enthousiasme, étourdi par l'idée de l'effet qu'il alloit produire, il n'a pas vu que tout son succès se borneroit à une première impression; et qu'en se proposant de faire de ses leçons de littéra

Tome V.

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