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XVI.

Suite du même sujet.-Description de Jérusalem.

VUE de la montagne des Oliviers, de l'autre côté de la vallée de Josaphat, Jérusalem présente un plan incliné sur un sol qui descend du couchant au levant. Une muraille crénelée, fortifiée par des tours et un château gothique, enferme la ville dans son entier laissant toutefois au dehors une partie de la montagne de Sion, qu'elle embrassoit autrefois.

Dans la région du couchant et au centre de la ville, vers le Calvaire, les maisons se serrent d'assez près; mais au levant, le long de la vallée de Cédron, on aperçoit des espaces vides, entre autres l'enceinte qui règne autour de la mosquée bâtie sur les débris du Temple, et le terrein presque abandonné où s'élevoit le château Antonia et le second palais d'Hérode.

Les maisons de Jérusalem sont de lourdes masses carrées fort basses, sans cheminées et sans fenêtres ; elles se terminent en terrasses aplaties ou en dômes, et elles ressemblent à des prisons ou à des sépulcres. Tout seroit à l'œil d'un niveau égal, si les clochers des égli

ses,

les minarets des mosquées, les cimes de quelques cyprès et les buissons des aloès et des nopals, ne rompoient l'uniformité du plan. A la vue de ces maisons de pierres, renfermées dans un paysage de pierres, on se demande si ce ne sont pas là les monumens confus d'un cimetière au milieu d'un désert?

Entrez dans la ville, rien ne vous consolera de la tristesse extérieure vous vous égarez dans de petites

rues non pavées qui montent et descendent sur un sol inégal, et vous marchez dans des flots de poussière ou parmi des cailloux roulans; des toiles jetées d'une maison à l'autre augmentent l'obscurité de ce labyrinthe; des bazars voûtés et infects achèvent d'ôter la lumière à la ville désolée ; quelques chétives boutiques n'étalent aux yeux que la misère ; et souvent ces boutiques même sont fermées dans la crainte du passage du Cadi ; personne dans les rues > personne aux portes de la ville; quelquefois seulement un paysan se glisse dans l'ombre, cachant sous ses habits les fruits de son labeur, dans la crainte d'être dépouillé par le soldat. Dans un coin à l'écart, le boucher arabe égorge quelque bête suspendue par les pieds à un mur en ruines à l'air hagard et féroce de cet homme, à ses bras ensanglantés, vous croiriez qu'il vient plutôt de tuer son semblable, que d'immoler un agneau. Pour tout bruit dans la cité déicide, on entend par intervalle le galop de la cavale du désert: c'est le janissaire qui apporte la tête du bédouin, ou qui va piller le Fellah.

.

Au milieu de cette désolation extraordinaire, il faut s'arrêter un moment pour contempler des choses plus extraordinaires encore. Parmi les ruines de Jérusalem, deux espèces de peuples indépendans trouvent dans leur foi de quoi surmonter tant d'horreurs et de misères. Là vivent les religieux chrétiens que rien ne peut forcer à abandonner le tombeau de Jésus-Christ, ni spoliations, ni mauvais traitemens, ni menaces de la mort. Leurs cantiques retentissent nuit et jour autour du saint sépulcre. Dépouillés le matin par un gouverneur turc, le soir les retrouve au pied du Calvaire, priant au lieu où Jésus-Christ souffrit pour le salut des hommes. Leur front est serein, leur bouche riante. Ils reçoivent l'étranger avec joie. Sans forces et sans soldats, ils protèr

gent des villages entiers contre l'iniquité. Pressés par le bâton et par le sabre, les femmes, les enfans, les troupeaux des campagnes se réfugient dans les cloîtres des solitaires. Qui empêche le méchant armé de poursuivre sa proie, et de renverser d'aussi foibles remparts ? la charité des moines : ils se privent des dernières ressources de la vie pour racheter leurs supplians. Turcs Arabes, Grecs, Chrétiens schismatiques, tous se jetent sous la protection de quelques pauvres religieux francs, qui ne peuvent se défendre eux-mêmes : c'est ici qu'il faut reconnoître avec Bossuet, « que des mains levées » vers le ciel, enfoncent plus de bataillons que des » mains armées de javelots. »

Tandis que la nouvelle Jérusalem sort ainsi du désert, brillante de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le temple; voyez cet autre petit peuple qui vit séparé du reste des habitans de la cité. Objet particulier de tous les mépris, il baisse la tête sans se plaindre; il souffre toutes les avanies sans demander justice; il se laisse accabler de coups sans soupirer; on lui demande sa tête, il la présente au cimetère. Si quelque membre de cette société proscrite vient à mourir son compagnon ira, pendant la nuit, l'enterrer furtivement dans la vallée de Josaphat, à l'ombre du temple de Salomon. Pénétrez dans la demeure de ce peuple, vous le trouverez dans une affreuse misère, faisant lire un livre mystérieux à des enfans qui le feront lire à leur tour à leurs enfans. Ce qu'il faisoit il y a cinq mille ans ce peuple le fait encore. Il a assisté six fois à la ruine de Jérusalem, et rien ne peut l'empêcher de tourner ses regards vers Sion. Quand on voit les Juifs dispersés sur la terre, selon la parole de Dieu, on est surpris, sans doute; mais, pour être frappé d'un étonnement surnaturel, il faut les retrouver à Jérusalem; il faut

voir ces légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur propre pays; il faut les voir attendant, sous toutes les oppressions, un roi qui doit les délivrer. Ecrasés par la croix qui les condamne, et qui est plantée sur leurs têtes, près du temple, dont il ne reste pas pierre sur pierre, ils demeurent dans leur déplorable aveuglement. Les Perses, les Grecs, les Romains, ont disparu de la terre; et un petit peuple, dont l'origine précéda celle de ces grands peuples, existe encore sans mélange dans les décombres de sa patrie. Si quelque chose, parmi les nations; porte le caractère du miracle, nous pensons qu'on doit le trouver ici. Et qu'y a-t-il de plus merveilleux, même aux yeux du philosophe, que cette rencontre de l'antique et de la nouvelle Jérusalem au pied du Calvaire ; la première s'affligeant à l'aspect du sépulcre de Jésus-Christ ressuscité; la seconde se consolant auprès du seul tombeau qui n'aura rien à rendre à la fin'des siècles? CH.

XVII.

Sur un ouvrages intitulé: Essai, sur l'esprit et l'influence de la réformation de Luther; par M. VILLERS.

L'OUVRAGE

'OUVRAGE de M. Villers a reçu du public un accueil bien différent de celui dont l'Institut l'a honoré. Mais je ne sais s'il est plus mortifiant pour cet écrivain de voir mépriser un discours que ses juges ont couronné, qu'il n'est injurieux pour la nation de voir couronner un livre qui insulte à sa croyance, et qui attaque jusqu'aux fon

demens de la société (1). Sont-ce les principes, est-ce le style de cet ouvrage que l'Institut revêt de son approbation? Il ne m'appartient pas de le décider, et il suffira de faire voir quelle sorte de prix il méritoit sous ce double rapport. Plusieurs estiment qu'un tel livre est au-dessous de la critique, comme le seroient aujourd'hui les déclamations d'un Luther, et les sophismes d'un Calvin. Il se peut qu'ils aient raison de penser ainsi, et qu'on n'ait pas tort cependant de le critiquer. Il faut accorder quelque chose à la foiblesse de ceux que leurs passions retiennent encore dans la barbarie du seizième siècle. On ne doit pas toujours mépriser les erreurs, même les plus méprisables. Il est utile, à bien des égards, qu'il existe un livre où la philosophie moderne se reconnoît elle-même ouvertement pour la fille des Hus, des Luther, des Zuingle, et l'héritière des principes de ces moines séditieux. Il est bon qu'on sache avec quel sang froid et qu'elle méthode on professe encore aujourd'hui ces principes qui ont porté dans le monde la haine de toute autorité religieuse et politique. Il faut qu'on sache que ces philosophes appellent maintenant la révolution un corollaire de leur doctrine; en sorte que pour agiter toute l'Europe, et ôter la vie à plusieurs milliers d'hommes, il n'a fallu que presser les conséquences de leurs principes, et mettre de la suite dans leurs idées. Flatteuse perspective pour toute nation qui seroit tentée de confier le pouvoir à ces terribles logiciens! Mais maintenant que les chefs des états, mieux inspirés, travaillent à resserrer le lien de l'obéissance, et que les peuples, fatigués d'une servitude licencieuse, implorent la vraie liberté et le repos de l'ordre, osons demander compte de leurs systèmes à

(1) Il est juste de faire observer aux lecteurs que ce n'est qu'une classe de l'Institut qui a jugé l'ouvrage de M. Villers.

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