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Raymond, et le bruit de ses pas dans le château, et le son de sa voix, et le plaisir de songer qu'il venait auprès d'elle; aussi lorsqne toutes ces voluptés innocentes se furent évanouies, l'infortunée jeune fille se trouva comme dans un désert et elle se prit à pleurer.

L'étonnement de Raymond de Cubières fut grand lorsqu'il chercha Berthe dans tout le château, le lendemain de son départ. Il avait coutume de venir la saluer au jardin, lorsqu'il avait donné ses ordres pour la journée. Il entra donc dans le jardin, il écouta pour l'entendre chanter; rien; Berthe n'avait point paru. Ceux auxquels il demandait de ses nouvelles, répondaient vaguement à ses questions. Raymond de Cubières était saisi d'une tristesse involontaire. Alors il se dirigea vers la chapelle, pensant que sa cousine avait prolongé ses prières un peu plus longtemps que d'ordinaire. Il entre et regarde autour de lui, la chapelle était déserte, la place de Berthe vide, et rien ne disait qu'elle fut venue dans ce lieu. Ray-❘ mond observa que les vases où elle venait tous les matins déposer un nouveau bouquet de fleurs, qu'elle choisissait elle-même, il observa que ces vases contenaient encore les fleurs de la veille; Berthe n'était donc pas sortie de sa chambre, et Raymond pensa qu'une maladie soudaine la retenait dans son lit.

Cette pensée l'épouvanta: il courut vers la chambre de Berthe. Il écouta vainement à la porte, il n'entendit rien. Alors, il entra sans hésiter: car il ne pouvait dompter son impatience, il voulait satisfaire aux doutes, aux incertitudes, aux pressentiments qui envahissaient son âme. Quelle ne fut pas sa tristesse lorsqu'il vit déserte la chambre que Berthe habitait, et sa couche si pure et si élégante dans le même état que la veille. Berthe n'avait pas dormi dans le château. Raymond se souvint du bruit qu'il avait entendu pendant la nuit, il se souvint que Berthe avait fui en pleurant lorsqu'il l'avait embrassée; un frisson involontaire parcourut ses membres et il pålit. Immobile, incertain, il regardait autour de lui sans savoir où reposer ses yeux, où diriger ses pas. Il y avait dans la chambre de Berthe quelque chose de chaste qui la fesait ressembler à un sanctuaire; quelques sièges, une armoire aux boiseries élégamment sculptées, un prie-dieu, un lit simple, quelques ajustements cachés derrière une draperie, tel était l'ameublement de la chambre que Berthe avait occupée; mais rien ne portait les traces les plus légères, ni le moindre vertige de l'usage qu'elle en avait fait; aucune de ces choses n'avaient été gâtées par ses mains; elle avait au contraire répandu sur tout ce qui l'entourait, dans ses heures de repos et de solitude, quelque chose de l'harmonie qui régnait dans son ame. On pressentait le calme et la pureté de son cœur, à l'ordre et à la disposition heureuse des objets qui servaient à son usage de tous les jours. Il y avait dans cette chambre un reflet d'eНe même, et les souvenirs qu'elle y avait laissés s'exhalaient de toutes parts comme des parfums.

temps et suivait tous ses pas depuis qu'il était sorti de l'appartement, Marguerite l'aborda pour lui annoncer le départ de sa cousine. Raymond sortit alors de sa profonde rêverie et tous deux se regardèrent long-temps sans se parler. Le jeune seigneur de Cubières fut le premier à rompre le silence.

Raymond. - Madame, que veut dire ceci ? Je cherche ma cousine aux jardins, à la chapelle, dans sa chambre, et c'est en vain. Où pourrai-je la trouver ? j'ai besoin de la voir.

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Marguerite. Elle est partie à mon insçu. Croyezvous que j'aurais consenti à me séparer de ma fille. Raymond. — Qui donc a favorisé sa fuite? Je suis seul maître de ce château, les portes n'obéissent qu'à moi. Je saurais qui a fait violence à mes sentinelles, et alors, j'atteste Dieu, que j'userais largement des pouvoirs qui m'ont été donnés pour punir ceux qui ont usurpé ces pouvoirs,

Raymond transporté de colère fit appeler aussitôt tous les hommes d'armes qui gardaient le château, les écuyers, les pages et jusqu'au dernier valet. Il se plaignit, il menaça; mais l'homme qui avait été gagné par Ferrières et la comtesse de Gourdon, répondit comme les autres qu'il n'avait rien entendu pendant la nuit. Le jeune-homme alors retomba sans espoir dans sa douleur et sa tristesse aussi impuissante que sa fureur.

Combien furent sombres les jours qui suivirent le départ de Berthe, et plus sombres les nuits, pour Raymond de Cubières. Il fuyait tout les entretiens, il se défiait de tous ceux qui l'entouraient; toutes ses pensées, toutes ses démarches n'avaient qu'un but qu'il poursuivait sans relâche. C'était de découvrir la retraite où sa chère Berthe s'était retirée; et lorsque tant de peines étaient inutiles, lorsqu'il se voyait aussi impuissant dans tous ses efforts, une douleur profonde, un chagrin sauvage s'emparait de son âme et il s'isolait de tout pour pleurer. Son seul plaisir était de venir rêver dans la chambre que Berthe avait occupée dans le château.

Marguerite de Beaufort était jalouse des souvenirs qu'il donnait à sa fille. Pour faire supporter sa présence à Raymond qui l'évitait, cette malheureuse femme était obligée de lui parler de sa fille et de pleurer avec lui. Elle donna de si grandes marques

. Raymond de Cubières fut long-temps immobile sans pouvoir se rendre compte du sentiment pénible qui l'accablait; Marguerite qui l'observait depuis long-de tristesse que le jeune homme se reprocha les soup

MOS VIQUE DU MIDI.

Ile Année.

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çons qu'il avait d'abord formés coutre elle, et qu'il l'accepta pour l'unique confidente de son amour et de ses espérances. Marguerite proposait sans cesse à Raymond de nouvelles tentatives pour découvrir la retraite de Berthe. Elle se conciliait ainsi son affection, en même temps qu'elle rendait ses tentatives infructueuses. Tous les ravages que fesait en elle l'amour et la jalousie, Raymond de Cubières les attribuait à la douleur, et souvent il consolait Marguerite de la perte de sa fille, ce qui redoublait son désespoir,

Que fesait Berthe alors? tandis que son amant et sa mère étaient livrés aux plus violents transports de la jalousie et du désespoir, elle offrait à Dieu ses prières et ses larmes, elle supportait sans murmure la vie lourde et désenchantée que lui avait imposée son dévouement. Ferrières vit avec chagrin que cette frèle organisation ne résisterait pas longtemps aux ennuis et aux souffrances qu'on lui fesait subir. Il songea dès lors à donner un prompt dénouement aux intrigues qu'il avait tramées.

Des hommes qui lui était dévoués apportèrent à Gourdon de fâcheuses nouvelles touchant la croisade du roi de France; heureusement pour lui l'événement vint bientôt après réaliser ces mensonges, et alors il lui fut facile de faire accepter une dernière nouvelle qui devait tout changer. Le bruit courut dans le pays et dans la ville, que le seigneur Aimeric était mort dans le combat de la Massoure. Un homme qui se disait croisé vint au chateau de Gourdon; il raconta comment le comte avait péri de la main des Sarrazins, et chacun fut tellement convaiucu de la vérité de ses paroles, que l'on fit des prières publiques pour honorer la mémoire du comte et assurer le repos de son ame.

Le seigneur Fortuné tenait le château de Gourdon et tous les droits attachés à cette terre, d'un puissant baron du pays qui lui en avait fait la cession en stipulant que la seigneurie reviendrait à lui ou à sa famille si Fortuné mourait sans laisser d'enfant mâle habile à lui succéder. Berthe était la fille unique d'Aimeric et Raymond de Cubières n'avait plus à veiller sur Berthe et sur Gourdon qui revenait de droit à son ancien maitre. Il se prépara donc à revenir auprès de sa famille, après avoir donné les clefs du château aux jurats de la ville et au viguier.

Marguerite de Beaufort vit arriver avec effroi le moment qui devait la séparer à jamais de celui qu'elle aimait avec tant de passion. La mort de son époux venait de redoubler son amour, en lui donnant des espérances. Elle forma la résolution de tout découvrir à Raymond et de le retenir auprès d'elle par tous les moyens possibles.

Elle avait rompu les derniers liens qui l'attachaient à la prudence, et dans la fièvre qui lui brûlait le sang, elle se sentait capable de tout oser pour arriver au but de ses désirs.

Aussitôt qu'elle eut pris la résolution extrême de ne garder aucune retenue, elle chercha le jeune seigneur de Cubières pour lui découvrir son cœur. Raymond était allé faire ses derniers adieux à la chambre que Berthe occupait avant que de quitter à jamais le

château. Il y avait pour lui comme une vertu secrète d'affliction et de douleur, comme une puissance de tristesse dans cette chambre depuis si longtemps abandonnée. Lorsque Marguerite de Beaufort aborda le jeune homme, elle le trouva morne et silencieux, assis dans un coin obscur de l'appartement, les yeux fixés sur un crucifix d'ivoire qu'il arrosait de ses larmes. Il s'assit pour lui parler.

Marguerite. Toujours les mêmes regrets, Raymond; votre douleur renouvelle la mienne; au lieu de s'affliger ensemble, les malheureux ne devraient-ils pas se consoler. Quel est ce crucifix que vous tenez dans la main ?

Raymond. C'est le même que j'eus le malheur de briser sous mon pied lorsque j'osai embrasser Berthe pour la dernière fois. Avec lui furent brisées mes espérances. Voyez maintenant; un habile ouvrier de Toulouse est parvenu à rejoindre toutes ses parties, et à le rétablir dans son premier état. Plut-à-Dieu, que mon amour et tous mes rêves de bonheur me fussent ainsi rendus. Mais non, jamais; et voilà tout ce qui me reste d'elle.

Marguerite. Oui Raymond, enfermez ce crucifix dans votre cœur, et abandonnez un espoir qui ne se réalisera jamais.

Raymond. Je le sais bien, madame. Mais comment distraire ma pensée de Berthe, et mes regards de ce crucifix qui reposa sur son noble cœur; mais non, il ne me quittera plus, et soit qu'il élève à Dieu mon ame affligée, soit qu'il me rapelle tout ce que j'éprouvais de bonheur auprès de Berthe, il sera toujours pour moi un symbole d'amour et de douleur. Laissezmoi donc pleurer; car il faut que je m'éloigne des lieux qu'elle habitait.

Marguerite.-Raymond; vous ne songez qu'aux peines que vous souffrez. Vous ne faites pas attention, qu'auprès de vous, il est des infortunes plus grandes que la vôtre; qu'auprès de vous on pleure aussi, qu'auprès de vous on soupire après un avenir qu'on ne peut atteindre, qu'auprès de vous on passe des jours sombres et des nuits inquiètes. Ah! Raymond, je ne suis pas oublieuse comme vous, et souvent je me suis affligée de vos chagrins; maintenant qu'il faut quitter cette demeure où nous avons souffert ensemble, c'est moi qui vous cherche pour vous consoler, moi qui m'inquiète pour savoir quel va être votre avenir.

Raymond.-Ah! c'est que j'aime tant votre fille, madame!... C'est justice que vous songiez à moi, que vous soyez sensible à mon chagrin.

Marguerite. Non vous ne pouvez pas comprendre à quel point je vous suis dévouée; je me suis dit aujourd'hui quel malheur pour Raymond que mon noble époux soit mort en Palestine. Berthe, en apprenant son retour, serait venue se jetter dans ses bras, nous l'aurions unie à Raymond, et le noble Aimeric aurait assuré à ses enfants la possession du château de Gourdon. Maintenant plus d'espoir, et ce noble chevalier ne sera qu'un simple homme d'armes, sans bannière, sans château fort, sans seigneurie. Cette injus¬ tice du sort me révoltait, et je cherchais en moi-même

un moyen de la réparer. Je connais, mieux que vous, les intentions bienveillantes du seigneur Fortuné à votre égard, et je me suis engagée quelques jours avant son départ à seconder ses vues. C'est donc pour être fidèle à ma promesse, autant que pour vous exprimer ma reconnaissance pour le zèle et la fidélité que vous avez fait éclater pendant son absence, que j'ai songé sérieusement à m'occuper de votre avenir. Vous savez quelle est ma famille, Raymond, vous connaissez les nombreux vassaux qui obéissent à mon père : il entretient garnison dans trois forteresses; il possède des moulins sur plusieurs rivières, des droits de justice sur plusieurs villes; mon père est un puissant seigneur et je suis l'unique héritière de ses grands biens. Ces biens, je vous les offre; il faut se résigner à accepter ma main et vous posséderez demain, tout ce que mon père possède. Je sais bien que je n'ai aucun droit à votre amour, je ne le réclame pas, et l'union que je vous propose n'est pour moi qu'un plus sûr moyen de vous témoigner ma reconnaissance.

Raymond. C'est trop de dévouement, madame; Vous êtes encore jeune et vous serez toujours belle; vous méritez l'amour de celui qui aura l'honneur d'être votre époux; vous même, pourquoi pousser la reconnaissance jusqu'à vous donner sans ressentir de l'amour pour celui qui deviendrait votre maître. Je n'accepterai pas vos bienfaits, je ferais votre condition trop mauvaise; encore si vous aviez ressenti pour moi quelque penchant, j'aurais pu souscrire à votre projet mais....

de Berthe et la résolution qu'elle prit de me quitter. Laissez-moi vous dis-je, et rendez grâce au ciel, si je ne vous maudis pas et si je ne vous fais pas expier tout ce que Berthe eut à souffrir. Adieu, je partirai demain; demain vous ne me reverrez plus. Vous demandez mon amour, madame; recevez mon mépris et ma haine; jamais nous ne serons unis.

Il la quitta brusquement.et se retira dans sa chambre résolu qu'il était à s'éloigner d'elle et de Gourdon aussitôt que paraîtrait le jour. Marguerite resta longtemps à genoux à la même place où Raymond l'avait laissée. Que fera-t-elle ? Elle s'est humiliée vainement; vainement, elle a violé les saintes lois de la pudeur; ces cruels sacrifices qu'elle s' imposés seront-ils perdus? Pourra-t-elle viv re accablée de mépris et de haine par celui qu'elle a tant aimé? Après tant et de si longues souffrances, après des années pleines de tristesse, d'inquiétudes, d'agitations nocturnes et de remords elle n'a plus devant elle que le désespoir. Elle pressera sa mort. Raymond n'a pas eu pitié d'elle, elle sera sans pitié pour lui; elle ne sait pas ce qu'elle doit entreprendre; mais elle se sent pleine de courage et de résolution, elle se sent capable d'un effort terrible qui la fera sortir dignement de l'état d'avilissement où elle est tombée. Elle se relève, appelle un des valets du château et lui ordonne d'aller avertir le viguier de Gourdon qu'il ait à se rendre au plutôt auprès d'elle.

dre aux désirs de Marguerite.

Ferrières, en apprenant cet ordre, comprit que la nouvelle de la mort du comte avait produit des résultats, Marguerite. Et bien! je t'aime, Raymond. Ehet, feignant une extrême surprise, il se hâta de se renbien... connais tout ce que l'amour m'a fait souffrir de tortures depuis le premier moment où je t'ai vu. Non jamais je n'avais ressenti de tels transports: faible et timide lorsqu'on m'unit au seigneur Aimeric, j'entrais dans son lit comme une victime qu'on mène à la mort, et, depuis cet instant, j'ai vécu comme une esclave auprès de celui que je devais aimer; mais quand tu m'es apparu, que te dirais-je ? — Mon âme s'est élancée vers toi avec toute la puissance de son instinct. Ce pouvoir d'aimer, qui dans mon cœur était démeuré impuissant et stérile; ce pouvoir s'est réveillé pour toi tout entier; rien n'a pu me faire obstacle, et dans les combats intérieurs que j'ai eu à supporter, mon amour a triomphé de tout; juge donc maintenant, juge de ma tendresse, aujourd'hui que le hasard à levé tous les obstacles qui m'éloignaient de toi. Oh! Raymond, par tout ce que j'ai souffert en t'aimant, par tout ce que tu te dois à toi-même, ne rejette pas une malheureuse femme qui pleure à tes genoux.

Marguerite en effet s'était laissé tomber aux genoux du jeune homme : celui-ci, étonné de ce qu'il venait d'entendre, réfléchit long-temps et revint sur luimême; il s'éfforçait d'expliquer un passé mystérieux par cet amour qu'il ne connaissait pas, et l'infortune de Berthe, et son absence, et les paroles de Marguerite, tout cela devenait clair à ses yeux.

La colère monta bientôt à son front. Il se leva et repoussant Marguerite loin de lui: laissez-moi, madame, s'écria-t-il ; je comprends maintenant le départ

Lorsque Ferrières arriva près de Marguerite, il la trouva se promenant à grands pas dans la grande salle du château. Une faible lampe éclairait l'appartement | Marguerite lui sembla plus grande qu'à l'ordinaire; son front pâle et résolu se dressait dans l'ombre, et ses yeux brûlants étaient comine armés d'un regard qu'il ne pouvait supporter. Que vous plait-il, madame; lui dit-il humblement, que voulez-vous de moi? Marguerite ne répondit pas; elle alla fermer la porte de la chambre pour qu'ils ne fussent pas enten lus. Je me suis rendu à vos ordres, madame, ajouta Ferrières; vous me trouverez toujours prêt à vous obéir. Marguerite ne répondit rien encore aux paroles du viguier. Elle alla s'asseoir près du grand fauteuil et fit signe à Ferrières de venir se placer à son côté. Il obéit, dominé par l'ascendant qu'elle prenait sur lui; celle femme se disait-il, est étrangement préoccupée ou bien elle te dédaigne fort, puisqu'elle n'a pas daigné répondre à ton dévouement que tu lui manifestais par deux fois.

Enfin, Marguerite adressa la parole au viguier. It faut que le malheur m'ait bien éprouvée pour que je fasse l'aveu que vous allez entendre. Mais vous verrez aussi que la nature, Dieu ou basard en me condamnant à de grandes faiblesses, on (mis dans mon ame assez de force et de grandeur pour racheter man ignominie. Écoutez, et sans songer me juger ou à m'admirer, soyez prêt à me servir. Ferrières, j'aime

Raymond, je l'aime sans réserve, que vous dirai-je, | qu'elle venait d'adresser à sa fille, elle en écrivit å læ

sans pudeur. Je lui ai fait l'aveu de mon amour, il m'a repoussée, je vous fais appeler, et je vous découvre toute ma faute. Vous voyez que je suis une femme perdue. Madame, interrompit Ferrières, il n'y a là que du malheur. Il y a de la honte, viguier, s'écria Marguerite, et vous allez voir comment je saurai la repousser. Raymond de Cubières m'a menacée de me frapper, si j'osais me présenter encore devant lui. Eh! bien, je me présenterai devant lui, je lui parlerai de ma tendresse, et s'il me frappe, si je meurs sous ses coups je serai vengéc. Quoi! vous ne comprenez pas que je serai vengée! mais la coutume de Gourdon veut qu'on ensevelisse l'assassin sous sa victime. S'il me tue, vous ne l'épargnerez pas, et alors nous serons unis dans la tombe; et lui, qui repoussait le dévouement d'une femme, subira les embrassemens d'un cadavre; je serai sa fiancée dans la mort, je serai heureuse et vengée. Ce projet vous étonne, viguier! Hésiteriez-vous à me servir? Pour vous récompenser, je vous donne la main de ma fille et les biens qu'elle reçus de son père, je vais lui écrire pour lui imposer cette union. C'est une sainte fille qui respectera les dernières volontés de sa mère. Je vais lui écrire, vous dis-je, allez sans retard faire venir les jurats de Gourdon et les sergents de ville, vous irez ensemble vers la chambre de Raymond de Cubières, et là, vous me trouverez morte à ses pieds. — Il n'osera jamais se rendre coupable d'un assassinat! Je vous dis que je serai morte à ses pieds; que voulez-vous de plus pour Je condamner, allez.

-

Le viguier sortit: cette femme le dominait et il obéissait à sa voix; d'ailleurs, il entrait dans ses vues de perdre Raymond. Il se hâta donc de satisfaire aux désirs de Marguerite.

Pendant qu'il s'éloignait, Marguerite écrivit à sa fille une lettre; elle lui ordonnait de donner sa main à Ferrières après lui avoir fait l'éloge du viguier de Gourdon, et, pour l'éloigner de Raymond de Cubières, elle se plaignait à elle des mauvais traitements qu'il lui fesait subir. Ainsi, lorsqu'on viendrait lui apprendre que le jeune homme avait tué sa mère, elle ne douterait pas de son crime et croirait son honneur engagé à maudire la mémoire d'un assassin et à récompenser le zèle du vengeur de Marguerite. Après qu'elle eut terminé cette lettre, elle la déposa sur une table, comme il était convenu avec le vignier, pour qu'il put s'en saisir en rentrant au château et l'envoyer sur le champ à Berthe qui la recevrait rant la nouvelle de l'assassinat.

Marguerite réfléchit et prit courage. Elle allait se présenter à Raymond et tenter de le fléchir. Quoique cette malheureuse femme crut être sans retour l'objet de son mépris et de sa haine, elle se surprit à espérer qu'il pourrait peut-être se laisser attendrir. L'espoir ne nous quitte jamais, parce que nous croyons, malgré nousmêmes, à la puissance de Dieu qui peut à chaque instant nous arracher de l'abime, et changer notre sort. Marguerite espéra, et pour détruire l'effet de la lettre

hâte une seconde qu'elle cacha dans son sein. Si Raymond voulait avoir pitié de ses chagrins, elle enverrait aussitôt la seconde lettre à sa fille pour se justifier de la première et pour en détruire l'effet.

C'était alors un moment solemnel pour Marguerite: faible et tremblante elle se dirigea vers la chambre de Raymond. Tout était calme autour d'elle; la nuit profonde comme le silence. En elle seulement, l'amour, le désespoir, l'espérance, luttaient avec force et soulevaient sa poitrine fatiguée. Lorsqu'elle arriva près de cette porte et près du seuil qu'il fallait frauchir, un frisson mortel parcourut son corps; elle s'appuya contre le mur, et la malheureuse appella à son secours Dieu qu'elle outrageait. Elle se ranime, sa fièvre se reveille et lui donne des forces, elle marche d'un pas ferme, ouvre la porte de la chambre, la referme sur elle, se présente à Raymond de Cubières qui s'était endormi dans un grand fauteuil.

Une lampe prête à s'éteindre, éclairait cette chambre en désordre; les armes du jeune homme placées sur une table, rendaient quelques reflets; les meubles hors de leur place, les vêtemens de Raymond jettés au hasard, tout annonçait un départ prochain. Au ́ bruit que fit Marguerite en entrant, il s'éveilla, Ja reconnut et voulut s'éloigner; mais elle le retint avec force, elle s'était jetée à genoux, elle le pressait sur son cœur, elle sanglottait et pleurait en le regardant sans pouvoir parler. Le jeune homme en eut pitié. Il crut qu'elle cédait au repentir ; il s'assit et la pria de se relever. Vous pleurez vos fautes, madame. Je ne serai pas plus cruel que Dieu; je vous pardonnerai tout le mal que vous m'avez fait; mais rendez-moi Berthe. Si Berthe m'est rendue, si je deviens son époux, j'oublierai le passé, je serai pour vous un fils dévoué, j'ensevelirai dans un profond silence le souvenir de vos fautes : je perdrai ce souvenir.

Marguerite. Ainsi tu comprends enfin combien tu fus injuste pour moi; mais que demandes-tu à la femme qui t'aime, comment pourrais-je me repentir et revenir à Dieu, si tu n'as pas pitié de moi; de quoi, grand Dieu! faut-il que je me répente! Je n'ai obtenu que tes mépris, j'ai séché, j'ai langui dans les larmes, ta haine va bientôt me tuer, puis-je me repentir de mon malheur? Mais si tu avais pitié de tout ce que · j'ai souffert, si ton amour....

Raymond.-Madame, pourquoi reveillez-vous ma haine, pourquoi voulez-vous me contraindre à vous maudire.

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Marguerite. Oui, maudis-moi, parceque ce n'est pas assez d'avoir pleuré deux ans auprès de toi ; maudis-moi, parceque ce n'est pas assez d'avoir renfermé pendant deux ans un secret qui brûlait ma poitrine. Je me suis roulée sur les dalles de la chapelle, j'ai appelé Dieu à mon secours et Dieu ne m'a pas secourue : maudis-moi cruel, parceque j'ai beaucoup souffert.

Raymond. Berthe à souffert comme vous et elle ne le méritait pas.

Marguerite. Eh bien! écoute: je souffrirai plus

qu'elle, je me condamnerai à vivre dans une tombe,
j'irai prendre sa place et je la mettrai dans tes bras;
mais que je puisse emporter un doux souvenir dans
cet enfer où j'irai faire pénitence: elle passera près
de toi des jours, des années, sa vie; eh bien, moi
je ne te demande qu'une heure d'amour, et tu pourras
après me fouler à tes pieds, tu pourras m'oublier, tu
pourras me maudire, mais une heure d'amour, une
heure et puis la mort.
Raymond. Non, non madame ; j'aime mieux re-
noncer à Berthe et ne plus la revoir, que de me ren-
dre indigne d'elle éloignez-vous, sortez; vous me
faites horreur.

En prononçant ces dernières paroles, Raymond détourna ses regards de Marguerite qui rampait à ses pieds et joignait ses mains avec l'expression du désespoir; mais lorsqu'elle vit tout le mépris et le dédain profond que sa passion inspirait à Raymond de Cubières, elle se releva tout-à-coup et lui parla d'une voix assurée.

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Marguerite. Et vous ne craignez pas ma haine et ma vengeance.

Raymond. Non, et je les préfère à votre amour. Marguerite. Qu'il soit donc fait comme tu l'as voulu tu ne veux pas de moi maintenant; eh bien, tu seras obligé plus tard d'épouser mon cadavre.

En prononçant ces dernières paroles, Marguerite saisit le poignard de Raymond qui était placé sur une table, elle se mit à crier de toutes ses forces: à l'assassin! à l'assassin! Raymond de Cubières comprend le dessein infernal qu'elle a formé. Il veut la saisir pour étouffer ses cris, pour lui arracher le poignard, mais elle fuit autour de la table et le poignard levé au-dessus de sa tête, elle crie encore à l'assassin! à l'assassin!... Aussitôt qu'elle entend venir à grand bruit les écuyers du château et le viguier de Gourdon, elle se frappe et tombe dans son sang.

doutera pas qu'il ne soit l'assassin, lorsque la rumeur publique lui apprendra la mort de sa mère.

Ferrières, hâte l'exécution de ses coupables desseins. L'horreur que le peuple éprouve pour celui qu'il croit être le meurtrier de Marguerite, seconde ses mauvais désirs; il hâte la condamnation de Raymond et obtient un arrêt tel qu'il l'a souhaité. Le jour qui suivit la mort de Margnerite suffit aux jurats de Gourdon, présidés par le viguier, pour écouter les témoins qui déposèrent contre l'homme accusé: ils le condamnèrent sans presque l'entendre, tant ils étaient indignés, et l'exécution de la sentence fut fixée pour le lendemain.

Le viguier ordonna les apprêts. Il fit creuser une fosse profonde où l'assassin devait être enseveli vivant sous sa victime; au fond de la tombe des pieux garnis de cordes furent plantés en terre: il fallait pouvoir lier le patient et l'obliger à se tenir couché sur le dos les yeux tournés vers le ciel. Tous les préparatifs terminés, Ferrière se retira satisfait. Le lendemain verrait périr son rival; le lendemain il pourrait aborder Berthe en se disant le vengeur de sa mère; le lendemain verrait s'accomplir les projets qu'il avait si longtemps médités.

Cependant Raymond de Cubières veillait au fond de son cachot et frémissait dans l'attente de son supplice. Toutefois il espérait dans son innocence, sans savoir d'où pourrait lui venir des secours; il invoquait Dieu, Berthe, son bon ange. Il pressait sur ses lèvres le crucifix d'ivoire que Berthe avait porté sur son cœur. Il passait du sourire aux larmes, de l'espérance au désespoir.

De son côté Berthe pleurait dans sa celulle et succombait aux coups terribles qui venaient de la frapper. Sa mère morte, Raymond criminel, c'était pour elledeux malheurs sans remèdes qui empoisonnaient ses souvenirs et détruisaient ses espérances. Seule, à genoux sur la pierre, à genoux devant une image de la vierge, éclairée par une bougie, la noble fille pleurait Raymond consterné s'arrête comme dominé par sans jamais pouvoir se consoler. Lorsqu'on lui avait l'horreur de ce crime. La porte de la chambre s'ouvre; appris la mort de son père à la croisade, elle avait les jurats de Gourdon, le viguier, les écuyers du pu se dire au milieu de ses douleurs: Raymond vienchâteau entrent avec des flambeaux et voient Mar- dra ne secourir; il m'aime, j'espère en lui; mais auguerite étendue sanglante aux pieds du jeune de Cu-jourd'hui en qui peut-elle espérer, quel nom invoquer bières. Ils ont tous entendu les cris de la victime qui sur qui pouvoir reposer une espérance? Qui sera l'obles appelait au secours, ils ne doutent pas que Ray-jet de ses pensées? Alors elle eut recours à la prière mond ne soit l'assassin. Celui-ci ne se défend pas et se laisse saisir sans faire aucune résistance. On le conduit dans un cachot de la ville et les hommes d'armes du château, jugeant le jeune seigneur sur les apparences demeurent consternés sans chercher même à briser ses liens.

Au château, tout le monde est convaincu que Raymond de Cubières est l'assassin de Marguerite, et dans la ville, Ferrières fera courir ses agens pour indisposer Je peuple dès que le jour aura paru. Le viguier triomphe, rien ne s'oppose à ses désirs: il a fait parvenir à Berthe la lettre où sa mère se plaignait de Raymond et lui ordonnait d'épouser le viguier; maintenant qu'elle est ainsi prévenue contre son amant, elle ne

pour soutenir son âme défaillante; à la prière, ce beaume qui cicatrise toutes les blessures; à la prière, cette dernière consolation de l'innocence, ce remède suprême qui guérit des remords et calme les plus cruelles douleurs.

Pendant qu'elle priait et pleurait dans le silence, elle entendit marcher dans les couloirs du couvent. Les pas se rapprochèrent de sa celalle, on frappa légèrement à la porte. Berthe hésitait à ouvrir; mais la voix de la supérieure se fit entendre; elle fut rassurée et se hâta de l'introduire dans sa celulle. Ma sœur, ditelle à Berthe, je vous amène ce saint homme qui passe la nuit dans le couvent pour que vous puissiez lui demander des nouvelles de votre père; il vient

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