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nulle femme ne pensera à ces enfans qui ne connaissent point les jeux de leur âge; qui sait même s'ils ne pareront point la tête de quelque mère oublieuse, qui, au milieu de l'ivresse du bal, palpitante de bonheur, ne se souviendra pas que son fils écrouelleux l'attend à l'hôpital!

Le local consacré à ces innocens est bien divisé; mais je le voudrais moins ombragé, car aux enfans, voyez-vous, il faut de l'espace et du soleil; du soleil surtout, sous peine de les voir chétifs, s'étioler comme ces plantes qui, languissantes à l'ombre, végètent rigoureuses sous l'influence de la lumière. Formés de bonne heure à la lecture et à l'écriture, ils passent ensuite dans un des ateliers élevés dans la maison. Ainsi, rien ne leur manquera en quittant l'hospice, que la santé forte et robuste du prolétaire.

La vieillesse, en tous lieux respectable, le parait ici davantage; car le malheur ajoute encore à tout l'intérêt que l'âge inspire. La plupart des vieillards que l'hospice renferme ont été des hommes de peine, dont le corps courbé vers la terre porte l'empreinte ineffaçable du travail de toute une vie si péniblement passée: les callosités de leurs mains n'ont pas eu le temps de se ramollir depuis que, plus pressant de jour en jour, le besoin les porta à solliciter longtemps une place dans cette retraite où leur existence est assurée, mais où ils ne retrouvent ni les affections de la famille ni la liberté de l'homme isolé. Les solliciteurs sont nombreux, me fit observer mon guide, comme pour faire ressortir la vérité de ces vers d'un des meilleurs poètes de notre époque:

Hélas! dans ce siècle fatal,

On trouve encor la concurrence A la porte de l'hôpital.

En quittant les vastes salles, bien propres, bien aérées, occupées par les vieillards valides, nous visitâmes leurs infirmeries, où quelques-uns attendaient l'heure de leur délivrance.

Nous vimes ensuite, sans y entrer, un quartier qui me rappela la Grave d'autrefois : des vociférations multipliées, et, mieux encore, une chanson grivoise chantée par une seule voix, mais dont le refrain était repris en chœur, me fit deviner sans peine que nous passions sous les fenêtres des salles destinées aux filles que la police arrache pour quelque temps à la prostitution, pour les livrer aux soins des médecins. A travers les grilles où elles grimpaient, en collant contre les barreaux de fer leur visage décoloré, nous remarquâmes plusieurs de ces malheureuses revêtues d'une houppelande grise, la tête couverte d'un petit bonnet de toile grossière, sans garniture, costume obligé qu'elles échangent en entrant contre la toilette, souvent élégante mais caractéristique, de leur honteux métier. Nous nous étions éloignés, qu'elles fesaient éclater encore des rires bruyans, provoqués, sans doute, par les ciniques lazzis que la vue de deux hommes venait de leur inspirer.

Nous visitâmes rapidement les épileptiques. Peut

être cûmes-nous à nous reprocher d'avoir provoqué, par notre apparition dans ces lieux, l'attaque subite dont l'un d'eux fut atteint peu après notre arrivée; nous détournames de lui nos regards, parce qu'il fait peine de voir ainsi un homme aux prises avec ce mal cruel, et pour ne pas braver d'ailleurs un préjugé honorable. Lorsque, nous retirant, nous passâmes devant le lieu que sa bave avait sali pendant qu'il se tordait en hurlant, étendu sur le carreau, son regard était vague et indécis, ses membres fléchis sans vigueur, comme ceux d'un ouvrier qui, ployant sous un faix, vient de s'asseoir sur une borne.

Nous allons passer aux fous, me dit le jeune étudiant en médecine qui m'accompagnait, en me désignant de la main un petit bâtiment isolé, flanqué de deux pavillons carrés recouverts d'ardoise: on dirait une de ces maisons charmantes qui entourent les grandes villes. L'aspect agréable de ce monument, autant que ce que je venais d'observer d'améliorations, me fit bien augurer du système mis en usage dans la direction de cette partie importante de l'établissement. Nous étions arrivés chez les fous. Si vous voulez vous occuper des personnages, me dit le jeune médecin, je pourrai vous fournir des détails curieux sur chacun des aliénés que nous rencontrerons; mais ces renseignemens vous parattront peu intéressans si vous avez déja visité quelqu'autre établissement de ce genre; car, voyezvous, toutes les maisons de fous se ressemblent: partout ce sont des infortunés que les mêmes passions ont conduits à cette affreuse position; aussi trouverezvous ici, comme ailleurs, des dieux, des rois, des généraux d'armée, des grands seigneurs, des savans, et puis des femmes qui rêvent d'amour, qui répètent les sermens reçus et donnés; qui, sous la bure grossière dont elles sont revêtues, viendront vous entretenir de leurs riches parures; car, comme on l'a dit, les hommes perdent le plus souvent l'esprit par ambition; les femmes par jalousie, et les filles par amour.

Déja plusieurs aliénés nous entouraient, tandis que d'autres, tristes, abattus, se retiraient à l'écart : celui-ci nous offrait la démonstration d'un problème de géométrie, et se baissait pour tracer des figures sur la poussière ; un autre nous présentait les armes, sans interrompre sa promenade en ligne droite, qu'il fait ainsi tous les jours depuis longues années : un bâton, voilà son fusil; un shako, voilà tout son uniforme; n'importe, il est soldat, il a mission de veiller à la défense de tous. Si vous le désarmiez, il en mourrait de chagrin.

« Des arbres dont le feuillage réjouit le cœur ; des >> oiseaux dont les douces habitudes polissent le ca>> ractère; oh! surtout, point de fers pour des hommes >> qui ne dirigent plus leur volonté, » ont dit les médecins; et des ombrages ont été préparés aux fous, et les cachots infects, homicides, ont été abandonnés; et des fers n'ont plus été rivés sur ces mains non coupables. Oh! certes, vous pouvez aujourd'hui aller visiter les fous sans craindre d'avoir le cœur brisé en présence d'un malheureux qui se roule, pieds et mains liés, dans un peu de paille fétide, véritable

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fumier. Sans doute, là, des cris de douleur, de désespoir, se font encore entendre; mais la dure compassion des hommes ne les provoque point: ils sont moins affreux, moins amers à celui qui souffre; et puis, si quelques lueurs de raison viennent éclairer quelquesuns d'entre eux sur leur, infortune, ils n'ont point à redouter ici l'œil de ces oisifs, curieux importuns, qui venaient autrefois insulter de leurs ris et de leurs cruelles agaceries tant de malheur. Un philosophe, un médecin, un homme, comprit enfin tout l'intérêt que les aliénés étaient dignes de nous inspirer: Pinel refit la thérapeutique de l'aliénation mentale. Rejetant bien loin les moyens empiriques, souvent barbares, que ses devanciers avaient adoptés, il rendit le traitement de la folie doux et rationel à la fois. Honneur à Pinel! son nom brillera à jamais d'un bel éclat parmi ceux des bienfaiteurs de l'humanité.

gés, l'égoïsme on l'ignorance, en faveur des infortunés celles-ci, du moins, n'ont jamais coûté que des larmes excitées par la reconnaissance.

Déja une étroite sympathie avait uni mon ame à celle du médecin qui dirigeait mes investigations : devenus l'un et l'autre plus confians, notre conversation avait pris un ton plus expansif. Nous visitâmes dans leurs moindres détails les quartiers destinés aux fous des deux sexes, admirant partout le bon discernement qui a présidé à la distribution de ces vastes locaux. Plus d'une fois nous eûmes l'occasion de faire la remarque que l'architecte avait sagement obéi aux prévoyans calculs du médecin. De grandes salles consacrées à des dortoirs ou à des réfectoires reçoivent les fous tranquilles, sur lesquels il n'est pas nécessaire d'exercer une surveillance trop sévère. Ainsi réunie, cette collection d'hommes est surtout remarquable sous le rapport des contraires qu'elle présente : il y a des larmes, des cris de joie, des paroles douces, et qui semblent affectueuses, et l'expression de la dernière violence. N'y cherchez pas des traces de la

Entraîné par mon enthousiasme pour la mémoire de ce grand homme, je me laissai aller au besoin de rendre hommage à ses généreuses inspirations: il m'était doux de payer à ce médecin si justement re-société ; les liens qui, au-dehors, unissent les hommes nommé, la dette de mon cœur, entouré de ceux-là même dont il a amélioré le sort. Elles sont douces les conquêtes que l'homme de bien obtient sur les préju

entre eux, sont ici brisés; chaque fou vit pour lui seul: tous sont effrayans d'égoïsme, depuis celui qui, dans ses rêves, croit diriger l'univers ou gouverner

des peuples, jusqu'à l'imbécile et l'idiot difforme qui | pression vraie quoique exagérée des mœurs de chavégètent seulement.

L'idiot! oh! sa vue est pénible, affreuse; elle fait murmurer le cœur contre la nature qui l'a jeté à la vie avec une organisation incomplète lui seul, dans le cadre immense des êtres, ne représente rien; il est là sur la terre comme une épreuve manquée, imparfaite, que le mouleur rejette sans prendre la peine de l'écraser du pied. Incapable de prendre soin de lui, l'idiot est au-dessous du dernier des animaux. Le Polype, attaché à son rocher, vit de sa vie resserrée; mais il en jouit dans toute sa plénitude, c'est un être achevé, lui; tandis que l'homme qu'une modification organique a privé en naissant de l'intelligence, ne pourrait vivre au-delà de quelques jours saus la sollicitude de la société. L'idiotisme, celte affreuse condition de quelques êtres, n'inspire que le dégoût et la plus grande répugnance aux gens du monde; le philosophe gémit de la dégradation originelle de l'individu, le médecin regrette de ne pouvoir réformer les aberrations du physique qui l'ont produite : l'idiotie est incurable.

Des loges bien propres, bien aérées, munies d'un petit mobilier solide et commode à la fois, reçoivent les aliénés furieux, que leurs habitudes ou leurs crises passagères et violentes peuvent rendre dangereux. Rendus à une existence plus tranquille, ils jouissent de nouveau des droits de chacun : c'est la geôle du quartier des fous; mais la prison sans barbarie.

Au milieu de toutes les scènes si horriblement tristes dont j'étais témoin depuis que je parcourais ces lieux, croirez-vous qu'une idée consolante vint alléger mon cœur? C'est que, parmi les fous, on ne voit nul enfant, pas de tête d'ange qui roule ses longs cheveux blonds et bouclés dans la poussière ou la fange. Exempte des passions violentes qui nous enlèvent la raison, qui pervertissent nos sentimens, l'enfance est étrangère à la folie; la jeunesse y est moins sujette que l'âge mûr. Ne nous étonnons point du fatal privilége qui pèse à cette époque sur la desti. née de l'homme n'est-ce pas alors que nous prenons rang tout de bon dans le monde? que le positif vient remplacer les illusions de la période qui s'achève ? que les froids calculs de l'intérêt dominent entièrement notre ame ? Le vieillard, près de quitter la vie, blasé, redevenu insouciant comme l'en ant qui la commence, échappe aussi facilement à la folie.

On a fait la remarque que le nombre des femmes atteintes d'aliénation mentale est plus grand que celui des hommes: l'extrême sensibilité de celles-ci, leur facilité à se laisser impressionner, leurs passions si vives, dirigées presque toujours vers un seul objet, rendent raison de cette différence. Thomas a eu raison de dire que le délire des femmes est religieux ou érotique. On a aussi constaté par des observations suivies que chaque époque a son genre particulier de folie qui la caractérise; sans doute, car la folie n'est elle pas aussi un retentissement du corps social qui s'émeut, un cri lugubre, si vous voulez, mais ex

que temps? D'ailleurs, comment en serait-il autrement, lorsqu'une idée domine une génération entière d'hommes, que toutes les passions empruntent d'elle quelques-uns de ses reflets? Il faut bien que les agitations du dehors se retrouvent dans la maison des fous: quoique séparés de la société, ils ne la continuent pas moins, loin de son sein. Ceux-ci, du moins, ne varient point. Toujours attachés aux opinions religieuses, morales ou politiques, qui heurtèrent trop fortement leur intelligence, ou aux affections trop actives pour leur ame, ils leur restent fidèles; ils en caressent le souvenir comme une réalité, alors que, vingt fois peut-être, la société a remplacé une extravagance par une nouvelle extravagance : car l'idée ou le sentiment dominant du fou, c'est son culte à lui, tout ce qui résume sa vie morale.

Sans contredit, l'aliénation mentale présente divers degrés, comme autant de types distincts, depuis le mélancolique taciturne, le morose maniaque, jusqu'au furieux, qui ne voit que des ennemis dans tous ceux qui l'approchent, et l'imbécile qui reste indifférent à tout ce qui se passe autour de lui. Quelquefois le même infortuné passe par tous ces états, par tous ces périodes de la dégradation intellectuelle et affective, On ne peut nier que des causes physiques n'occasionent souvent le délire, mais il faut convenir que les passions doivent être mises au premier rang: les médecins sont, je crois, aujourd'hui d'accord sur ce point. Cette manière toute philosophique d'envisager les élémens de la folie a été heureusement appliquée à son traitement on a renoncé aujourd'hui à ces méthodes exclusives, qui, par cela même, ne pouvaient mériter aucune confiance. Celui-ci administrait à haute dose l'ellébore recommandé par les anciens, sans penser que souvent il aigrissait la maladie; celui qui plaçait le siége du mal dans les voies de la digestion, purgeait; ceux qui voyaient le sang se porter trop impétueusement vers la tête, saignaient ou fesaient usage des douches glacées ; tandis qu'un autre recommandait les calmans, parce qu'il voyait l'essence de la maladie dans une affection nerveuse.

En accordant une valeur réelle à chacune de ces médications judicieusement mises en usage, les médecins modernes ont surtout recours aux passions comme remèdes à la folie. Ainsi, ces crises qui ont si souvent occasioné l'aliénation mentale servent à la combattre et à la vaincre. « C'est donc à manier habilement l'intelligence, les passions de l'aliéné, à user convenablement des moyens physiques, que se réduit tout le traitement des fous, »> a dit notre savant compatriote. M. Esquirol, dont la douce philanthropie et les rares talens continuent l'œuvre commencée par l'illustre Pinel. Tout le traitement de la folie est là; quant à l'application de ces principes généraux, elle ne peut appartenir qu'à l'homme instruit, qui consacre sa vie entière au soulagement de cette infirmité. C'est en habitant avec les fous, en les étudiant sans cesse,

en caressant quelquefois leurs caprices, que le médecin parvient à saisir le véritable caractère du délire. Dès-lors on peut espérer de voir les passions heureusement mises en jeu opérer ces révolutions salutaires qui ont si souvent rendu l'aliéné à lui-même et à la société.

Ces idées générales sur la folie, émises par le jeune homme qui venait de m'accompagner, revinrent à mon esprit, lorsque, rentré chez moi, je voulus, le soir, me rendre compte de l'emploi de ma journée. La Grave d'autrefois a disparu entièrement; à la place de ces masures infectes où étaient entassés des misérables, s'élèvent aujourd'hui d'élégans corps de bâtimens, ayant chacun, comme je l'ai dit, leur destination particulière. Cet établissement remplit enfin le but honorable que ses premiers fondateurs se proposèrent. Dirigé par des hommes consciencieux, servi par de savans médecins, chaque jour y apporte de nouvelles améliorations. Dernier refuge de tant de malheureux, la Grave mérite toute la sollicitude des magistrats et des hommes de bien. Ah! rendons aux habitans de cet asile son séjour doux et facile; n'oublions pas que les portes n'en sont ouvertes qu'à des infortunés que la vieillesse accable, que la misère poursuit, ou que la maladie, au-dessus des ressources de l'art, dévore. Pour le misérable, la Grave est placée entre la société qui le rejette, et la tombe qui l'attend.

Si l'on en croit des recherches bien faites, les anciens ne connurent point ces sortes d'établissemens. Le christianisme, en naissant, les répandit avec pro

fusion partout où il étendit ses conquêtes; telle était la mission de cette sublime religion, où le dogme de la charité marche presque à l'égal de celui de la reconnaissance de l'homme envers Dieu. Les évêques eurent d'abord la gestion de ces pieuses fondations; plus tard, les conciles les firent passer entre les mains des laïques. Leur origine toute chrétienne leur at-elle mérité les injustes sarcasmes des encyclopédistes? Je n'oserais le croire. Fournissez du travail au pauvre, semblent nous dire ces philosophes, et vous ne serez point dans la nécessité d'élever des hôpitaux. A merveille! Et que deviendra l'ouvrier actif que le mal arrête, et l'enfant exposé en naissant, et le vieillard à qui l'àge a ravi une à une toutes ses forces? Que ferez-vous de la folie qui détruit la liberté morale de l'individu qui en est atteint? Voudrez-vous le laisser vaguer dans les rues, sur la place publique, inspirant la pitié ou la terreur?

Ces quelques pages, rédigées sous l'inspiration du moment, ont perdu peut-être déja leur principal mérite, celui de signaler les améliorations immenses apportées au sort de la population que renferme l'hospice général de notre département : car, depuis que j'écrivais ces lignes, d'autres améliorations ont été exécutées; d'autres s'accomplissent en ce moment ou sont projetées pour l'avenir, de façon à nous faire espérer que le temps n'est pas éloigné où la Grave pourra rivaliser avec les établissemens de ce genre les plus renommés de la province.

N ALBERT.

FASTES MILITAIRES DU MIDI DE LA FRANCE.

JOACHIM MURAT, ROI DE NAPLES.

A certains temps marqués par la providence, la scène du monde change tout-à-coup d'aspect ; de nouveaux acteurs apparaissent pour jouer chacun leurs rôles dans le nouvel ordre de choses, et coopérer plus ou moins puissamment aux changemers politiques qu'on appelle les révolutions. Pour dissiper l'orage de 1789, pour compléter la régénération sociale et purifier l'Europe, il fallait le glaive d'un guerrier, un second Alexandre, pour porter le fer et la flamme dans une autre Persépolis.

Jetons nos yeux vers les montagnes de la Corse, un météore s'élève dans les airs; autour de lui gravitent déja ses nombreux satellites, attendant le jour de l'embrasement général.

Napoléon Bonaparte est né à Ajaccio; des femmes du peuple portent déja dans leur sein les enfans qui

se grouperont bientôt autour du soldat empereur dans les jours de victoire. Tout va changer; les hauts emplois, les dignités militaires seront désormais la récompense de la valeur, et non l'apanage du privilége. Chaque bourg de la France aura ses héros, chaque ville un général. Les uns seront grands par le génie, les autres par la gloire. Quelques-uns même, enfans chéris du destin, jetteront leur casque de guerre pour ceindre le diadème.

De tous ces rois improvisés, celui dont l'histoire brillante d'une majesté grandiose étonnera le plus nos descendans, est, sans contredit, Joachim Murat.

Maréchal de l'empire, prince, grand-amiral, grand duc de Berg, enfin roi de Naples, Joachim Murat naquit, le 25 mars 1771, à La Bastide, près de Cahors. Son père exerçait l'humble état d'aubergiste, et Joa

chim passa les premières années de son enfance au milieu de sa famille qui était bien loin de prévoir la brillante destinée qui lui était réservée. Admis à l'école du village, il se fit bientôt remarquer par la pétulance de son caractère, et ses camarades euren souvent à souffrir de son humeur belliqueuse.

La famille Murat était avantageusement connue, et jouissait des bonnes graces d'une puissante famille du Périgord. A l'aide de sa protection, elle obtint pour le jeune Joachim une bourse au collége de Cahors; il n'y resta pas long-temps: destiné à l'état ecclésiastique, il partit pour Toulouse, où il termina ses études. L'abbé Murat étudia à contre-cœur la philosophie et la théologie; les belles-lettres étaient sans attraits pour son imagination romanesque : porté à la dissipation, rêvant les aventures d'amour, il parvint à s'introduire dans une maison, sortit du séminaire, se battit pour une demoiselle qu'il aimait, et revint à l'auberge de son père qui, pour le punir, le força à servir les voyageurs avec les domestiques: néanmoins Joachim ne témoigna aucun regret d'avoir renoncé au sacerdoce; l'étole et même la mitre étaient de trop pales ornemens pour ce jeune homme fougueux à qui le ciel réservait un glaive de bataille et un diadème de roi.

Pour se soustraire aux réprimandes paternelles, il reprit le chemin de Toulouse, et s'engagea dans le 12e régiment des chasseurs qui était en garnison dans la capitale du Languedoc. Brave, doué de tous les prestiges de la beauté physique, il fut bientôt remarqué de ses chefs, et obtint le grade de maréchal-delogis-chef. Mais son caractère emporté lui suscita de nombreuses inimitiés parmi ses camarades: chaque jour c'étaient de nouveaux duels qui étaient pour l'intrépide querelleur autant d'occasions de signaler son adresse et son courage. Enfin, il commit une grosse infraction à la discipline militaire; effrayé de la sévérité de la punition qui lui était réservée, il déserta et revint encore une fois à la maison paternelle. Mal vu de ses parens, forcé de remplir des fonctions humiliantes pour sa fierté, il maudissait sa mauvaise destinée et s'abandonnait à des rêves d'avenir qui plongeaient son ame ardente dans des extases ineffables. Fatigué de lutter contre la mauvaise fortune, cédant à un élan qui l'emportait vers un monde inconnu, il partit pour Paris, sans autre ressource que cette audace téméraire qui l'accompagna dans les diverses phases de sa vie aventureuse. Quelques jours après son arrivée, il fut réduit, dit-on, à servir à table chez un restaurateur; mais il ne perdit pas courage au milieu de sa détresse, et on eût dit qu'il prévoyait déja l'étonnante prospérité qui devait lui sourire pendant plusieurs années. Son père se détermina enfin à lui envoyer quelques secours, et lorsque les divers départemens furent appelés à nommer la garde constitutionnelle de Louis XVI, Joachim Murat revint à Cahors : il fut choisi par les autorités du Lot, avec Bessières, qui devint plus tard duc d'Istrie; et les deux soldats de fortune partirent ensemble pour la capitale.

Cependant la tempête révolutionnaire grondait avec plus de force que jamais; Joachim Murat se livra avec ardeur aux nouvelles opinions politiques, et son exaltation républicaine lui suscita plusieurs querelles d'où il sortait toujours vainqueur. Enfin, les principaux officiers, voyant avec déplaisir le jeune démagogue prêcher l'insurrection dans tous les corps-de-garde, le menacèrent de le congédier. Il devança leur résolution, quitta la garde constitutionnelle quelques mois avant son licenciement, et s'enrôla pour la seconde fois dans un régiment de chasseurs où il obtint le grade de sous-lieutenant.

Le premier pas est fait, se dit le jeune officier; tâchons d'arriver. Le seul moyen d'obtenir alors un avancement rapide, était de professer ouvertement les opinions du jour: Joachim Murat, par conviction et par adresse, se conduisit en révolutionnaire exalté ; il parvint ainsi en peu de temps au grade de lieutenant-colonel. Murat était l'homme du moment: on pouvait tout attendre de son influence politique. Le nouveau lieutenant-colonel du 11o régiment de dragons s'empressa de faire parade de sa profonde admiration pour le tribun qu'il appelait le sauveur de la patrie. De la garnison d'Abbeville, il écrivit au club des Jacobins, pour lui faire connaître son intention de changer son nom en celui de Marat. Cette demande fut sans doute favorablement accueillie; mais le pétitionnaire n'en retira pas tout le profit qu'il en avait d'abord espéré. En effet, le règne de la terreur eut enfin son terme, et les fervens apôtres du Jacobinisme subirent l'influence de cette subite réaction.

Le lieutenant-colonel Murat, dénoncé pour avoir manifesté des opinions dangereuses, signalé comme terroriste après le 9 termidor de l'an II de la république française, eût été destitué sans le puissant intermédiaire de Cavagnac, ancien président du directoire au département du Lot. Maintenu dans son grade, il n'en attendait pas avec moins d'anxiété une révolution qui pouvait seule réaliser ses rêves d'ambition. Les événemens le rassurèrent bientôt; réintégré définitivement, le 5 octobre 1798, il offrit ses services au général Bonaparte qui s'était déja immortalisé au siége de Toulon, et qui venait d'être chargé par la Convention de disperser les Parisiens armés contre le pouvoir. Murat se signala par plusieurs faits de bravoure, et devint peu de temps après aide-de-camp du général Bonaparte, que les instigations de Barras avaient fait nommer au commandement de l'armée d'Italie.

Une ère nouvelle va commencer pour la France; les cris de la victoire retentissent déja dans le loinlain; la phalange des héros a franchi la barrière, et l'immortelle campagne de 1796 promet à la patrie une abondante moisson de lauriers pour la consoler des dissensions civiles. Murat devenu l'aide-de-camp de confiance du général en chef, se distingue par mille traits de bravoure, culbute les bataillons ennemis dans toutes les batailles, et est proclamé brave en présence de toute l'armée. D'innombrables drapeaux sont enlevés aux Autrichiens; on en forme un

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