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-Quels tristes conspirateurs! pensait le cardinal. Tout est contre moi, le duc de Bouillon, le duc d'Orléans, le roi lui-même, et ils n'ont pas même ébranlé mon pouvoir..... Cinq-Mars qui me doit sa faveur auprès du roi, a épousé follement leurs rancunes au lieu de se tenir à moi.... j'en aurais fait mon successeur, l'ouvrier de ma pensée; mais il a tourné au vent de la vanité.... Les autres, à la bonne heure; ils veulent résusciter la féodalité, redevenir de terribles vassaux, faire trembler la monarchie et l'emprisonner dans l'Ile-de-France, entre la Flandre, la Normandie, la Bourgogne, la Champagne. Ils combattent pour leur fortune et le pouvoir de leurs familles. Mais lui, d'Effiat, qui avait déja plus qu'eux tous, la faveur du roi, la mienne, un poste éminent à la cour, un grand avenir.... En vérité, ce Cinq-Mars est fou; sa jeune tête a peut-être plus besoin d'ellébore que d'éprouver la hache du bourreau. Mais il est plus à craindre que tous ces mécontens bavards; il a l'ame exaltée, l'esprit vif, judicieux; il a beaucoup de suite dans les idées; depuis deux ans que je le surveille, je n'ai vu guère de fautes.... Il arriverait..., et en un jour tout le fruit de mes travaux serait perdu........... Et le roi qui trempe dans les conjurations de ses sujets contre son pouvoir!..... Pauvre esprit faible, frèle nature d'enfant et de vieillard, qui ne sait ni commander ni obéir !

Richelieu continua encore quelques instans sa redoutable rêverie; puis il s'endormit dans son fauteuil.

II.

Le cardinal était livré au sommeil depuis deux heures, lorsqu'il fut réveillé par un bruit de voiture qui se fesait sous ses fenêtres; aussitôt un certain mouvement anima cette maison tout à l'heure silen.. cieuse, et où les gardes mêmes veillaient dans une précaution taciturne. Louis XIII arrivait chez son ministre.

Le roi, appuyé sur une canne, entra dans l'appartement; Richelieu qui ne pouvait marcher, se contenta de se lever pour recevoir le souverain. Des valets suivaient avec des lumières, et quand le siège du roi

fut disposé auprès du fauteuil du cardinal, tout le monde se retira. Il était minuit passé.

La conversation commença par des généralités; Richelieu épiait le moment favorable pour toucher. les intrigues de Cinq-Mars et du frère du roi; on parla du procès de Loudun, du maréchal de Marillac, de Basompierre, de la malheureuse veuve de Henri IV qui était allé mourir de misère et d'ennui à Bruxelles. Louis s'accusait sur toutes sortes de sujets, mais le cardinal savait, avec un art infini, rassurer la conscience du roi et expliquer tous les grands coups de sa politique par les suprêmes raisons d'état. Les terreurs de Louis XIII se calmèrent peu à peu, et une

quiétude mélancolique succéda à l'agitation peureuse

qui le travaillait auparavant.

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Je suis las de toutes ces intrigues, s'écria Richelieu d'une voix formidable; vous me sacrifiez... Je n'entends point disputer jour par jour mon existence aux factieux que vous encouragez... Je connais votre cour depuis vingt ans; elle est pleine de désordres, la trahison y est flagrante; si vous préférez la présomption de quelques esprits légers et aventureux à mon zèle éprouvé, renvoyez-moi, sire; je n'ai plus que peu de temps à vivre; mais n'abreuvez pas mes derniers jours de tant d'amertumes et de dégoûts... Vous me voyez accablé par la souffrance, écrasé sous le poids des affaires; je n'ai plus qu'un souffle, et vous ne m'épargnez rien de ce qui peut précipiter

ma mort.

Cette sauvage apostrophe de Richelieu, jeta l'épouvante dans l'ame de Louis XIII; il essaya d'apaiser sa colère, en lui prodiguant toutes les protestations d'attachement; il promit de réformer sa cour, de se rendre plus sévère aux jeunes seigneurs, et de ne plus rien cacher au cardinal de ce que ses ennemis trame

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Louis XIII ne put en dire davantage; cette scene l'avait brisé. Le cardinal lui présenta un papier. Le pauvre roi signa la lettre que voicí: 14 19995b

« L'ordre de sa majesté le roi, est que le marquis » Henri Coiffier de Ruzé Cinq-Mars, grand écuyer de st » France, et François-Auguste de Thou, soient pris: » morts ou vifs, en quelque lieu du royaume qu'ils se D trouvent. » aul esab es banquest162 sob rahum « Louis. Dasg

papiers

Louis XIII voulut résister d'abord; il parla de son amitié pour Cinq-Mars, implora le cardinal de faire grace à son favori; mais l'attachement que ce roi montrait pour le grand-écuyer ne fesait qu'irriter de plus en plus la haine de Richelieu. Le roi se couvrait le visage de ses mains, pleurait, suppliait, et le ministre, restaitimpassible comme un marbre devant cette amère douleur de la faiblesse qui succombait sous sa propre charge. Louis XIII ayant fait un dernier effort pour sauver Cinq-Mars, Richelieu attaqua audacieusement la conscience du roi, lui reprocha durement de lui cacher les secrets de sa cour, et d'une voix fière et froide, il lui déclara que désormais il ne se melerait plus des affaires du royaume, et qu'il en abandonnait le soin au monarque lui-mène et aux jouvenceaux dont il fesait tant de cas. Il fit un tableau menaçant des malheurs que la conjuration de Cinq-Mars allait déchatner sur la France; il lui peignit les Huguenots prêts à se soulever contre l'autorité royale pour marcher à la conquête de leur république; tous les ordres de l'état armés les uns contre les autres; la ligue sur le point de reprendre vie et de bouleverser Paris et les provinces, l'Autriche humiliée, relevant la tête et rani-plète; sa tête se pencha douloureusement sur son al mant toutes ses vieilles prétentions de monarchie universelle; en un mot, il effraya tellement le roi, qu'il se fit dans cette organisation ruinée comme une révolution. Un ressort inconnu apparut soudainement dans ce caractère déplorable: Louis XIII accepta de régner. Le cardinal le laissa au milieu des papiers mystérieux où lui seul pouvait lire. Louis XIII tenta d'examiner les affaires du moment; la rebellion du duc de Bragance qui avait pris le titre de roi de Portugal, les embarras du malheureux Charles fer d'Angleterre, les tentatives de la maison d'Autriche, l'état de la grande guerre d'Allemagne, appelée depuis: guerre de trente ans. C'est alors seulement qu'il comprit l'immensité du fardeau qui pesait sur lui; il frémit de son igno-ner, il demeura frappé de stupeur; ses traits se do'er rance et de sa pusillanimité. Un nuage passa dans son esprit vague et irrésolu, et à peine trouva-t-il assez de force pour jeter ce cri:

Richelieu fit encore signer d'autres pa au rojica l'un réglait les droits de garde que le ministre s'était arrogés, l'autre garantissait d'illustres otages, les enfans de France, pour assurer la sincérité de l'attachechement de Louis XIII au cardinal.

Un silence de mort succéda à cette vive explosion. Richelieu avait repris sa place dans le fauteuil blen et feuilletait des documens, moins pour ses travaux® › de gouvernement que pour effacer par des appa-ob rences vulgaires, l'étrangeté de la situation. Le rois s'était assis sur un petit lit de repos; mais bientôtov l'épuisement moral et la secousse profonde qui s'6209 taient faits en lui, le jetèrent dans une atonic com issd

-Richelieu!!

Le cardinal rentra dans le salon comme un fantôme. Le roi était évanoui.

Quand on l'eut rappelé à la vie, le roi trouva Rihelieu devant lui; Phorreur de la nuit ajoutait encore au drame terrible qui s'était déployé entre ces deux mouräns: l'un d'une volonté rude et inexpugnable, l'autré qui no se soutenait que par une perpétuelle négation un néant absolù...¡ nodhimta prak-ge

épaule, et, au bout de cinq minutes, tout le corps 87} trouva renversé sur le lit agynil en swearuhol £J Cinq-Mars était à l'armée du Rousillon. Ses amisl lui avaient donné l'éveil sur les projets du cardinal. PPUJ pouvait fair peut-être, passer en Espagne et échapperige ainsi à la vengeance de Richelieu qui s'acheminutoviɛ vers la tombe. Mais cette ame loyale, pénétrée d'une ́b chevaleresque soumission à la couronne, allæ Bravesoq ment au-devant du danger. Einq-Mars arriva à deux193 heures du matin chez le ministre et entra résolument1on dans le salon où il se trouvait avec Louis XIII. A bruit de son arrivée, le roi se souteva avec peine z mais ayant reconnu le favorî qu'il venait de condam-9:00

composèrent et sa bouche resta muelle: C'est lui qui
paraissait être la victimersDNA & ANS: madÏ eh
Cin Mars comprit de suite où en étaient les chosesua
Il ne témoigna ni crainte, ni émotion. Son visages'a z
nima seulement d'un léger sourire de mélancolie, enq
comme s'il eut voula délivrer le roi de la torture qu'ilnos
souffrait. Richelien fut épouvanté de cette apparition **3*
inattendue; mais le grand écuyer le saluant avec une esi
exquise courtoisie, lui dit : ses praikase al terang
Votre éminence me pardonnera de venir la sur-
prendre ainsi chez elle; je suis indiscret, je le senseE
bien Mais mon affaire est pressée.tu o sna ro bga
takva, Goulart nud 124 end an onurule gelen

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Puis s'adressant au roi :

-Vous pensez avoir à vous plaindre de moi, sire; vous me livrez à votre ministre... Je viens en sujet obéissant remettre mon épée entre vos mains.

En même temps il la détache et la dépose sur un tabouret placé à côté de Louis XIII.

Le roi dans son émotion ne trouva que ces mots : -Hélas! mon pauvre enfant, est-il donc vrai que tu es coupable!

Cinq-Mars remercia le roi de sa plaintive exclamation par un mouvement de tête où se révélaient une grande douceur et une noble fierté. Il en eut pitié et abrégea le supplice du roi.

-Cardinal, dit-il, je suis prisonnier de sa majesté ; je me rends de ma propre volonté; ce n'est donc ni une défaite ni une arrestation.

Il sortit immédiatement et alla se remettre aux mains des gardes répandues dans l'antichambre. Les gentilshommes ne pouvaient croire à ce singulier dénoûment de la faveur de Cinq-Mars. Fabert, le chef des gardes, pleura en recevant le marquis. De Thou s'était déja constitué prisonnier auprès du même Fabert.

III.

brillaient dans les flots noirâtres du Rhône. Richelieu était presque toujours couché dans une espèce de lit de parade qu'on lui avait arrangé ; le soir seulement, après le coucher du soleil, il se fesait porter sur la poupe de la barque et suivait avec une attention taciturne les paysages qui fuyaient sur la rive. La seconde nacelle, un peu moins somptueuse que celle du mattre, était remorquée par celle-ci à l'aide d'une grosse chaîne de fer; de Thou y était étroitement gardé par des soldats qui avaient ordre de le massacrer au premier mouvement de fuite ou de rebellion. Le voyage fut lent, car les eaux du Rhône étaient extrêmement rapides et grossies par la fonte des neiges de la Suisse. On n'arriva à Lyon que le 11 septembre; de Thou fut transféré au château de Pierre-Scize comme son ami, mais sans pouvoir communiquer à volonté avec lui, quoique leurs cachots fussent voisins.

Richelieu passa la journée à Lyon; il organisait le tribunal chargé, non de juger, mais de condamner les deux prisonniers.

Le soir du 11 septembre, Cinq-Mars et de Thou furent réunis dans le même appartement; cette faveur était de sinistre augure. Bientôt huit juges, vêtus de longs vêtemens noirs, commandés par Laubardemont, ce Tristan judiciaire de Richelieu, entrèrent chez les jeunes gens. Ils prirent place aux deux côtés de la

Le lendemain, Cinq-Mars fut dirigé sur Montpellier; c'est là seulement qu'on lui apprit que le château de Pierre-Scize, près de Lyon, lui avait été dési-chambre, et la séance fut déclarée ouverte. gné pour prison par le cardinal. Le grand-écuyer voyageait avec un grand appareil politique; son escorte, prise parmi les premières troupes du royaume, était nombreuse et bien armée. On arriva le 4 septembre 1642 à Lyon, et Cinq-Mars fut immédiatement transféré au château.

La forteresse de Pierre-Scize dominait la ville de Lyon; elle était bâtie sur une colline de rochers, située sur la rive gauche de la Saône. D'abord manoir seigneurial des évêques de Lyon, elle était successivement devenue place de guerre et enfin prison d'état; son étendue était plutôt pittoresque qu'imposante, car elle s'était formulée sur la nature du terrain et selon tous les accidens de la colline. Ses constructions étaient en général basses, sombres et tristes; une tour colossale se dessinait comme un géant formidable au-dessus des murailles et des bâtimens qui semblaient ramper sous ses pieds. C'est là qu'on incarcéra le marquis de Cinq-Mars.

On ne sait pourquoi Richelieu sépara les deux amis; de Thou resta à Narbonne jusqu'après le départ de Louis XIII pour Paris. Pour bien conduire sa vengeance, le ministre avait besoin d'être seul et de ne pas craindre qu'une fantaisie royale vînt lui ravir ses ennemis. Quand le roi fut loin, le cardinal se fit conduire avec son prisonnier vers la Provence. On remonta le Rhône dans deux barques: la première portait le cardinal malade; elle était magnifiquement tendue de draps et de tapisseries; les armoiries de la maison de Richelieu y étaient prodiguées avec un luxe et une ambition effrayante pour tout autre souverain que Louis XIII; des rames dorées MOSAÏQUE DU Midi. 2o Année.

Cinq-Mars parut le premier; il coupa court à tous les interrogatoires, et abrégea les formes de la justice en se déclarant coupable de toute la conjuration; mais il demanda, comme un devoir rigoureux de la part des magistrats, qu'on n'intentât rien contre de Thou, qui était innocent et n'avait pas eu confidence de ses projets. Il rappela aux juges quelques paroles bienveillantes dont le roi avait honoré le fils du célèbre président.

Mais l'ami de Cinq-Mars, entendant le plaidoyer généreux que celui-ci fesait pour lui, et ne pouvant supporter l'idée de le laisser mourir seul, s'élança vers lui, et, l'embrassant avec enthousiasme, lui dit : Ah! cher ami, voici le moment de notre triomphe! Rien ne nous séparera désormais... Mourons courageusement... Après le martyre, le ciel; après la terre qui passe, l'éternité qui ne meurt point!... Demandons à Dieu la grace de rester forts contre les horreurs de la mort... Messieurs, nous sommes coupables... M. de Cinq-Mars a conçu tout seul le plan de la conjuration; mais moi, je l'ai su et ne l'ai point révélé !...

Cinq-Mars essaya de lutter contre les aveux de son ami; mais, vaincu par l'héroïsme de de Thou, il céda' à l'exaltation de son ame, et, pressant vivement le noble martyr sur son cœur, il s'écria en pleurant :

Ah! malheureux ami, où t'ai-je entraîné!....Je suis coupable de ta mort!...

Cependant ce tribunal qui pouvait prononcer la sentence sur les confessions des accusés, proposa la torture. Cinq-Mars s'indigna; de Thou, livré à une ardente mysticité, demanda, comme bienfait, cette

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nouvelle palme ajoutée à son martyre; puis, craignant qu'on le privât des tourmens que Cinq-Mars allait subir, il supplia les juges de ne faire aucune distinction dans leur destinée.

Le père Joseph s'étant déclaré, au nom du cardinal son maître, satisfait de la tournure de l'affaire, engagea les magistrats à passer outre à la torture. On craignait d'ailleurs des révélations qui eussent compromis le roi, la reine et la majesté de la couronne.

Laubardemont se retira avec sa funèbre cohorte; une demi-heure après, on vint signifier aux prisonniers l'arrêt suivant :

« Louis, par la grace de Dieu, roi de France et de » Navarre, etc., etc.

>> La chambre déléguée, considérant: 25

» Louis XI porte peine de mort contre quiconque ne » révèle pas une conjuration tramée contre l'état; » A conclu à la mort de Cinq-Mars et de François » de Thou, dans les vingt-quatre heures. >>

Les deux condamnés recurent leur sentence avec courage; ils ne pensèrent plus qu'à se préparer chrétiennement au grand passage de la terre à l'éternité. On leur envoya, sur leur prière, deux vénérables religieux. Le P. Malavalette reçut la confession du marquis de Cinq-Mars; le P. Mambrun, celle de François de Thou.

IV.

Cette nuit terrible finissait à peine, lorsque les portes du palais du gouverneur royal s'ouvrirent brusquement. Une forte compagnie de carabiniers à cheval stationnait depuis deux heures dans la rue. Tout-à-coup

» 1° Que celui qui touche la personne des ministres » des princes, est regardé par les lois anciennes et >>>constitutions impériales comme criminel de lèse-an magnifique carrosse aux armes du cardinal, traîné majesté;

par six chevaux puissans, sortit lentement de la cour

20 Que la troisième ordonnance du pieux roi de l'hôtel et se dirigea au pas sur la route de Paris.

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grands criminels; mais, trompé par cette perfide équivoque, le peuple s'attendait à voir mourir deux assassins ou deux voleurs de grands chemins. Mais, quand on vit les rues environnantes de la place des Terreaux se remplir de troupes, le peuple soupçonna quelque illustre supplice. Des régimens campés dans les villes du gouvernement de Lyon, apparurent comme par magie à toutes ses portes; ici, les gardes-françaises et suisses; là, les gens-d'armes de Maurevert ; d'un côté, les escadrons de Pompadour; de l'autre, les carabinniers de la Roque. La cavalerie cerna en silence le château de Pierre-Scize; l'infanterie était échelonnée tout le long de la Saône jusqu'à l'hôtel-de-ville.

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