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petite que la moderne, le second à cause de la belle page qu'y a tracée le ciseau d'un artiste inconnu.

Tout le tympan du porche est occupé par un vaste bas-relief, où apparaît, assis sur son trône, le seigneur entouré des quatre Evangélistes, représentés sous des formes symboliques, et de 24 vieillards qui chantent sa gloire. Au-dessous est le portail formé par des découpures dans le genre arabe, et divisé par un pilastre massif, où se croisent des figures de chiens de grandeur naturelle; sur les côtés et en retour, l'artiste a représenté, à droite, les principaux événemens de l'histoire de la Vierge, l'Annonciation, la naissance du Christ, la fuite en Egypte, etc., etc.; à gauche, l'Avarice, avec un sac d'or qui lui pèse sur la poitrine, la Luxure toute nue, avec des animaux immondes qui s'attachent aux différentes parties de son corps, et la punition préparée pour ceux qui sont dominés par ces vices.

C'est probablement vers le xve siècle que fut reconstruite l'église de l'abbaye; sa nef est greffée sur les murs de la précédente. C'est une longue et belle enceinte dont aucun obstacle ne cache les détails. Sa voûte, nécessairement tranchée à sa base, par la présence de l'ancienne tour, s'élance élevée et hardie vers le sanctuaire, et s'y recourbe comme pour lui former un dôme, sa surface est divisée en grandes zones parallèles et chacune a ses coupons allongés et triangulaires, qui, rayonnant d'un même centre, viennent se perdre dans le sein des piliers intérieurs. Le maître-autel, placé au levant, est enlacé par une colonnade qui s'avance sur les côtés comme deux bras supplians et protecteurs, et se replie ensuite pour s'attacher aux murs voisins; latéralement sont les saintes chapelles, dans le fond; celles de la seconde époque; en avant, celles de la troisième, qui s'enfoncent ténébreuse sous l'angle aigu de l'ogive, offrant à l'ame faible une retraite sûre et continue, un moyen de rêveries mystiques, une arme contre le monde.

A gauche, et vers le milieu de la nef, est le noir escalier de pierre qui conduit, à travers l'épaisseur des murs, jusques à la salle des archives; elle est de forme carrée, sa voûte s'élève sur des filets en saillie, puis se courbe vers la fenêtre qui s'ouvre en éventail du côté de l'est. A l'intérieur, tout est sombre; quelques parchemins usés, voilà tout; ce sont les débris de ce qu'ont écrit et conservé pendant treize siècles les religieux de l'abbaye; le reste a péri dans une commotion politique, au milieu des flammes qu'alluma dans son aveuglement le peuple de 93.

Comme nous l'apprend une inscription latine, gravée sur une t: ble de marbre qui se trouve dans la galerie de l'ouest, le cloître du monastère fut construit l'an 1100, sous Ansquitilius, abbé, et probablement sur l'emplacement du premier, qui était beau

coup moins grand; il est formé par des arcs ogives, qui reposent sur quatre-vingts chapiteaux différens, supportés par des colonnes de marbre isolées ou accouplées. Aux angles et au centre de chaque colonnade, sont des pilastres massifs auxquels sont accolés des basreliefs représentant les Apôtres. Il est probable qu'ils sont antérieurs au XIIe siècle, et qu'ils ornaient l'ancien cloître; ce qui le prouve, c'est qu'il ne s'y en trouve que huit, et il devrait au moins y en avoir onze; car on conçoit très-bien que, si les religieux de Moissac ont dû donner la place de Judas à Durand, leur abbé, dans le xe siècle, ils n'avaient aucune raison pour faire un choix parmi les autres (1). Des trois pilastres qui restent, le premier est occupé par l'inscription que nous avons mentionnée; le second est revêtu d'une plaque de marbre rouge; sur le troisième sont figurés les divers mouvemens de l'eau, selon qu'elle forme une fontaine, un torrent, ou la mer.

Les chapiteaux sont massifs et sans proportion avec les colonnes; sur chacune de leurs faces sont représentés divers sujets de l'ancien et du nouveau Testament, de l'Apocalypse et du Martyrologe. Le style de ces sculptures annonce l'enfance de l'art; l'ensemble des formes est incorrect, grossièrement exécuté et sans grace dans les details. Mais, lorsque l'artiste n'a retracé que des objets de fantaisie, il a fait preuve d'un véritable mérite et d'un goût exquis; aussi, on ne cesse pas d'admirer les festons et les enlacemens qu'il a répandus à profusion autonr des figurines. et particulièrement sur les tailloirs.

Il n'y a que quelques années que le monde savant déplorait la perte future du cloître de Moissac, tant il était convaincu que l'administration locale prenait peu d'intérêt à sa conservation; il est aujourd'hui rassuré. Une société se forma, il y aura bientôt quatre ans, dans le but d'appeler sur ce monument, dont elle emprunta le nom, l'attention des archéologues, et par eux celle du gouvernement; celui-ci a compris ses désirs, en accordant plusieurs fois des allocations pour le réparer; n'aguère encore il a fait don à la ville d'une somme de deux mille francs, qui, jointe à celles qu'ont votées le conseil municipal et le conseil général, suffira pour terminer les réparations les plus urgentes; encore quelques sacrifices et quelques dons, et on ne craindra plus de voir tomber en ruines un des monumens historiques les plus curieux du XIe siècle, et le plus remarquable de l'antique abbaye de Moissac.

A. LAGRÈZE-FOSSAT.

(1) Le huitième bas-relief orne, avec un neuvième de la même époque, le devant du porche de l'église. Il serait à désirer que l'autorité les fit remettre à leur place.

DALAYRAC.

Dalayrac (Nicolas), compositeur célèbre, qui a enrichi le théâtre de cinquante-six ouvrages dans lesquels brillent tour à tour l'esprit, la grace et le génie, naquit à Muret, en Languedoc, le 13 juin 1753, de Jean Delayrac, subdélégué de la province, son père, qui le destinant au barreau, l'envoya à Toulouse pour y faire ses études. Le jeune Dalayrac se distingua constamment par une grande intelligence; chaque distribution de prix était pour lui un nouveau triomphe. Les nombreuses couronnes qu'il obtint alors, étaient l'heureux présage de celles que devaient lui décerner plus tard les admirateurs de son aimable et beau talent. Dalayrac manifesta dès son enfance un 'goût décidé pour la musique; son père ne consentit qu'avec peine à lui donner un maître de violon. L'étude de cet instrument lui fit négliger totalement la philosophie et le Code pour se livrer à cet art vers lequel il était si puissamment entraîné. Mais le père s'en aperçut, et voulant, avant tout, faire de son fils un jurisconsulte, congédia le professeur et remplaça les cahiers de musique par les institutes de Justinien. Il ne resta d'autre ressource à notre musicien, que de monter chaque soir sur le toit de la maison, au risque de se casser le cou, afin de pouvoir étudier sans être entendu. Son secret ne fut pas long-temps ignoré. Une jeune pensionnaire d'un couvent voisin étant à la fenêtre de sa cellule, entendit les sons d'un instrument; elle se håta d'en faire part à ses compagnes, et bientôt toute la communauté vint savourer les airs tendres et mélancoliques du nouvel Orphée. Bientôt la nouvelle fut connue de toute la ville. On sut que les pensionnaires d'un couvent se réunissaient chaque soir sous les bosquets du jardin pour assister aux concerts donnés par un jeune homme. Ces détails parvinrent aux oreilles de M. Dalayrac, qui, vaincu par tant de persévérance, et craignant d'exposer la vie de son enfant, lui laissa la liberté de suivre son penchant. Désespérant d'en faire un disciple de Cujas, il sollicita et obtint pour son fils une place dans les gardes du comte d'Artois. Dalayrac arriva à Paris en 1774, où il ne tarda pas à se lier avec plusieurs artistes, particulièrement avec Langle qui fut son maître d'harmonie, et Grétry qui était alors dans toute sa gloire; celui-ci travaillait avec une prodigieuse faeilité, même en compagnie. Dalayrac cut souvent le plaisir et l'avantage de voir composer ce grand maitre; ce fut là ce qui acheva d'enflammer son imagination.

Ses premiers essais furent des duos de violon, ainsi que des quatuors qu'il publia sous un nom italien. Ces divers morceaux eurent beaucoup de vogue. Encouragé par ce premier succès, Dalayrac se livra entièrement à la composition. Il écrivit alors la musique de deux opéras-comiques, intitulés: le Petit Souper et

le Chevalier à la Mode, qui furent représentés à la cour en présence de la reine. La musique fut parfaitement goûtée, on y remarqua beaucoup de grace dans le chant. Enhardi par ce suffrage honorable, joint au vif désir d' voir ses entrées à la comédie Italienne, il accepta un poème intitulé: l'Eclipse totale; la pièce réussit complètement et fut suivie l'année après du Corsaire. Le public fut enchanté du début de Dalayrac dans lequel il retrouvait l'esprit et l'élégance de Grétry. Il n'en était encore qu'à son second ouvrage, qu'une foule de poètes, jaloux de s'associer à sa gloire, le supplièrent d'accepter le fruit de leur muse. Indépendamment de son talent de musicien, Dalayrac possédait une finesse de tact extrêmement précieuse qui lui fesait trouver à coup sûr les défautsd'une pièce aussi le surnomma-t-on le musicienpoele.

Pendant sa vie théâtrale de compositeur, si féconde en jolis ouvrages, il avait doté la scène de cinquantesix opéras, nombre égal à ses années, lorsque la mort vint l'arracher à ses brillans et légitimes succès, ainsi qu'à l'admiration de l'Europe entière. Je donne ici une liste complète de ses nombreux ouvrages, avec leur ordre de date. Bien sûr que tant de chefs-d'œuvre réunis en diront plus que tout le bien que je pense de leur auteur.

1781, le Petit Souper, en un acte; le Chevalier à la Mode, en un acte; 1782, l'Eclipse Totale, en un acte; 1783, le Corsaire, en trois acles; 1784, les Deux Tuteurs, en deux actes; 1785, l'Amant statue, en un acte; la Dot, en trois actes; 1783, Nina ou la Folle par amour, en un acte ; 1787, Azemia ou les Sauvages, en trois actes; Renaud d'Ast, en deux actes; 1788, les deux Sérénades, en deux actes; Sargine ou l'Elève de l'Amour, en quatre actes; Fanchette, en trois actes; 1789, les deux Petits Savoyards, en un acte; Raoul, sire de Créqui, eu trois actes; 1790, la Soirée Orageuse, en un acte; le Chêne Patriotique, en un acte; Vert-Vert, en un acte; 1791, Camille ou le Souterrain, en trois actes; Agnès et Olivier, en trois actes; Philippe et Georgette, en un acte; 1793, Ambroise ou Voilà ma Journée, en un acte; Arnill ou le Prisonnier Américain, en un acle; Roméo et Juliette, en quatre actes; Urgande et Mertin, en trois actes; 1794, la Prise de Toulon, en un acle; l'Enfance de J.-J. Rousseau, en un acte; les Détenus ou Gange commissionnaire de saint Lazare, en un acte; 1793, la Pauvre Femme, en un acte; Adèle et Dorsan, en trois actes; 1796, la Famille Américaine, en un acte; Marianne, en un acte; 1797, la Leçon ou la Tasse de Glace, en un acte; la Maison Isolée, en deux acles; Gulnare cu l'Esclave Persanne en un acte; 1798, Alexis ou l'Erreur d'un bon Père, e un acte; Primerose, en trois actes; Léon ou le Châ

teau de Monténero, en trois actes; 1799, Adolphe et Clara, en un acte; Laure ou l'Actrice chez elle, en un acte; 1800, le Rocher de Leucade, en un acte; Une Matinée de Catinal, en un acte; Maison à vendre, en un acte; 1801, Léhéman ou la Tour de Neustadt, en trois actes; 1802, l'Antichambre ou les Valets entre eux, en un acte; la Boucle de Cheveux, en un acle; 1803, Picaros et Diego, en un acte; 1804, la Jeune Prude, en un acte; Une heure de Mariage, en un acte; (à l'Opéra) le Pavillon du Calife, en un acte, arrangé depuis la mort de l'auteur pour l'Opéra-Comique. Cette pièce a été représentée en 1822 sous le titre du Pavillon des Fleurs; 1805, le Héros en voyage, en un acte; Gulistan ou le Hulla de Samarcande, en trois actes; 1806, Deux Mots ou Une Nuit dans la Forêt, en un acte; Koulouf ou les Chinois, en trois actes; 1807, Lina ou le Mystère, en trois actes; 1809, Elise-Hortanse, en un acte; le Poète et le Musicien, en trois actes.

Ce qui constituait la supériorité du talent de Dalayrac, c'est qu'il avait su varier ses couleurs sans cesser d'être vrai. Il se distingua sans cesse par la facilité et la sensibilité de son chant, la justesse de l'expression. Il avait le mérite surtout de bien comprendre l'effet dramatique, car il savait faire parler les passions les plus énergiques sans cesser d'être aimable et chantant. L'on trouve dans ces ouvrages une foule de romances composées avec une ame et un goût exquis. Lorsqu'en 1790, Méhul, Chérubini, Berton préludaient à leur brilJante réputation en fesant retentir le théâtre de leur brillante et vigoureuse harmonie, Dalayrac, en homme d'esprit et de talent, fut assez heureux pour changer sa manière et marcha dignement sur la trace de ces grands génies, en écrivant Camille, Léon, Roméo et Juliette, Lina, compositions pleines de chaleur et de vérité dramatique qui se font remarquer par une couleur locale bien sentie; car l'on trouve dans ces opéras, de grandes beautés musicales, surtout dans les finales de Camille, d'Adèle et Dorsan, de Lina, etc., etc. Rien de plus dramatique que le trio de la cloche au premier acte de Camille ainsi que le duo entre Alberti et Camille. Azemia est rempli d'iuspirations toutes gracieusement heureuses; la couleur sentimentale de Nina, a beaucoup de charme; Léon ou le Château de Monténero, mérite particulièrement des éloges: comme dans Camille on y trouve de la verve et de la vigueur, le chant y brille par une grande expression; le premier acte renferme un air et un duo qui sont remplis de passion, ainsi que les couplets de la vieille Vénérande, couplets faits avec le sentiment et l'esprit de l'auteur. Le trio du second acte est un chef-d'œuvre de conception et de mélodie. Les bornes de cet article ne me permettent pas de citer tous les morceaux remarquables qui scintillent encore d'un si vif éclat dans les ouvrages de Dalayrac ; il me suffira de mentionner quelques opéras dont le style piquant et spirituel les ont fait conserver au répertoire, tels sont Gulistan, Maison à vendre, Picaros et Diégo, etc., etc.

Lors d'un voyage que fit ce compositeur dans le Languedoc, en revenant à Paris, il passa par Nimes

pour connaître cette partie de notre Midi. A cette époque on ne parlait dans toute la France que du succès que venait d'obtenir dans la capitale l'opéra des Deux Petits Savoyards. Dalayrac, entraîné p r les instances de l'un de ses amis qui se trouvait dans cette ville, se laissa conduire au théâtre ; on y jouait l'opéra nouveau. A la fin de la pièce, un des savoyards s'avance et adresse au parterre les vers suivans, en désignant la loge où se trouvait l'auteur de la musique.

Nous avons dans ces lleux un véritable père;
On lui doit la couronne et nous allons l'offrir.
C'est lui, Messieurs, qui sait vous satisfaire ;
C'est lui que tous les jours vous venez applaudir.
Seul, il a droit à la reconnaissance,
Car lui seul remplit vos désirs;
Nous lui devons notre existence,
Et vous lui devez vos plaisirs.

Le public enchanté, saisit avec transport l'occasion de s'acquitter envers l'auteur auquel il devait tant de sensations délicieuses. Dalayrac veut se dérober à cet hommage, se lève pour fuir, lorsque tout-à-coup les deux savoyards l'arrêtent, et, lui posant une couronne sur la tête, le forcent à entendre l'impromptu suivant:

Nous osons aux lauriers que la France te donne
Joindre un tribut, simple comme nos chans.
Quand les Deux Savoyards t'offrent une couronne,
C'est un don qu'à leur père apportent des enfans.
A Paris, nos ainés auront eu l'avantage
De te couvrir des fleurs que tu sais mériter;
Après eux, permets-nous de t'offrir un hommage
Aussi vrai que les airs que tu nous fait chanter.

En 1798, Dalayrac fut reçu, et sans l'avoir sollicité, membre de l'académie de Stockholm, et, quelques années plus tard, Napoléon le nomma chevalier de la légion d'honneur. Cette distinction, de la part de son souverain, ne fit que stimuler sa noble ambition, et pour s'en rendre encor plus digne, il composa la musique d'un opéra comique en trois actes et en vers intitulé le Poète et le Musicien. Il avait fait passer dans cet ouvrage toute son ame, tout son esprit. Cette pièce devait être jouée pour l'anniversaire du couronnement. Les répétitions se poursuivaient avec activité, lorsque le chanteur Martin tomba sérieusement malade; son état exigeait qu'il restât éloigné de la scène plusieurs mois, lorsque les journaux annonçaient déja le prochain départ de l'empereur pour l'Espagne. Dès lors les plus chères espérances de Dalayrac furent détruites sans retour. Ce fut pour lui le coup de la mort. Une fièvre nerveuse se déclara instantanément; le mal s'aggrava par un transport des humeurs au cerveau. Pendant les cinq jours que dura celle terrible maladie, aucun repos ne vint raffraichir son sang: ses derniers instans ne furent qu'un délire de com position. Ce fut le 27 novembre 1809 qu'il rendit son dernier soupir, qui fut calme et doux comme l'avait

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EXÉCUTION DE CINQ-MARS ET DE DE THOU,

A LYON.

I.

La journée avait été pluvieuse et sombre; l'horizon était uniformément tendu d'un voile grisâtre, et, par momens, de larges taches noires, chassées par un furieux vent d'autan, venaient de la Méditerranée et fuyaient avec rapidité sur cette belle nature du Midi, qui semblait une veuve attristée et en deuil. Rien de plus morne et de plus lugubre que les paysages du Languedoc lorsqu'ils sont cachés dans la pluie; | un ciel bas et nuageux est plus triste là que partout ailleurs. C'est un crêpe funèbre qui enveloppe une fiancée; il faut à ces paysages un soleil resplendissant, un air limpide et bleu, la voûte profonde du ciel, des lointains pour les Pyrénées gigantesques, et la molle réverbération de la mer. Cependant, vers le soir, le vent tomba, le rideau de nuages sembla se déchirer et le soleil saluait le déclin du jour en pourprant richement les dernières nuées qui emprisonnaient son souvenir d'adieu. La soirée promettait ce charme particulier qui suit un mauvais temps, et cette salubre fraîcheur recherchée des malades.

Une armée française était campée autour de la ville de Narbonne; Louis XIII la commandait en personne on faisait alors la guerre dans le Roussillon. Le bruit du camp s'assoupissait insensiblement; des éclats isolés troublaient seuls le calme répandu par une sévère discipline sur la bruyante population des soldats quelques officiers en belle humeur jouaient aux dés et animaient les histoires de leurs bonnes fortunes avec l'exaltation des Espagnols. Mais un fourrier de la cour ne tarda pas à venir imposer le silence aux joueurs; les officiers se séparèrent, et chacun se dirigea vers sa tente.

Vers huit heures, une fenêtre s'ouvrit avec une lenteur qui avait quelque chose de solennel à une des maisons de la ville; bientôt on vit apparaître une forme humaine que le erépuscule empêchait de reconnaitre ; l'appartement restait obscur. Quelques bourgeois, prenant le frais à leurs croisées, pouvaient seuls, à la faveur de certains caprices de lumière, distinguer de tems en tems des vêtemens d'un rouge éclatant. C'était un malade, un mourant, qui venait respirer un peu d'air vif pour sa nuit. Il était assis dans un immense fauteuil garni de velours bleu; ses jambes et ses pieds étaient soigneusement enveloppés dans de magnifiques couvertures; une robe écarlate longue et très ample couvrait son corps maigre et affaibli. Le malade était un homme de cinquantequatre ans; sa figure pâle et fatiguée ressortait avec un caractère sinistre entre un camail rouge et une calotte de la même couleur, qui laissait échapper

de rares mèches de cheveux blancs; une barbe étroite et pointue qui prenait naissance sous la lèvre inférieure, achevait cette image bizarre qu'on aurait pu croire déja marquée par la mort, si deux yeux ardens n'avaient reflété tout ce qui restait de vie dans ce corps moribond. Ses mains jouaient avec plusieurs jeunes chats qui se roulaient familièrement sur sa robe: il suivait avec intérêt leurs ébats et prenait plaisir à les contrarier par toutes sortes d'évolutions; quand ils s'animaient au point de promettre une sérieuse querelle, le malade souriait et dialoguait tout haut ce petit drame de ruses et de cruautés.

-Votre éminence me semble bien mieux ce soir, hasarda d'une voix fausse et doucereuse un petit bonhomme assis auprès du malade; cette soirée est bienfaisante, et votre nuit ne peut manquer d'être bonne. Le cardinal de Richelieu continua à jouer avec ses chats, comme s'il n'eût pas entendu le capucin.

Le roi a été bien faible aujourd'hui, reprit le père Joseph, en attendant sournoisement l'effet que ces paroles allaient produire sur le cardinal.

- Le roi peut trainer long-temps, maître Joseph; sa maladie de langueur ne finira pas brusquement comme la mienne.... avec ces tempéramens mélancoliques, la chose est très longue.... très longue...

- Votre grandeur est trop nécessaire au royaume de France, et j'espère que Dieu la conservera pour achever l'œuvre qu'elle a si glorieusement....

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