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Forts, nobles familles dont les hauts-faits sont consignés dans les fastes de notre histoire nationale, déployèrent tout le luxe de l'architecture gothique et de la renaissance dans la construction de leurs châteaux, aussi magnifiques que les palais de leurs rois. Plusieurs de ces donjons seigneuriaux ne présentent plus aujourd'hui que des ruines presque ensevelies sous l'herbe. Le souffle d'un ange exterminateur a renversé les hautes tours dont les flèches portaient autrefois la bannière et les armoiries des fiers barons; les pierres des crénaux ont servi à bâtir les chaumières des paysans dont les ancêtres vécurent pendant plusieurs siècles attachés à la glèbe. Mais les châteaux du moyenâge qui sont encore debout, suffisent pour nous faire connaître la puissance et les richesses des anciens seigneurs du Périgord. On ne peut voir sans étonnement ces masses énormes, entassées par plusieurs générations, où les vassaux trouvaient des cachots quand ils méconnaissaient la volonté du maître, et un asile lorsque les étrangers ou les brigands envahissaient la province. Mais l'admiration cesse bientôt; il ne reste plus que des souvenirs mêlés d'amertume; on ne sait pas si on doit maudire ou bénir les heureux du temps passé, qui ordonnèrent aux pauvres et aux faibles de pétrir avec leur sueur le mortier des châteaux forts bâtis sur les collines, sur les rochers, comme autant de nids de vautours. C'est en vain qu'on parcourt les innombrables détours de l'histoire féodale, on n'y trouve que doute et incertitude; les seigneurs protégeaient d'une main et écrasaient de l'autre.

Si après avoir visité inutilement le château du baron et la maison du gentilhomme, pour trouver dans le passé un de ces souvenirs qui consolent, on découvre le modeste asile d'un grand homme suscité par le ciel pour instruire ses semblables, on s'arrête sans demander si celui qui l'habita était baron ou simple gentilhomme, seigneur ou manant.

Si jamais vous parcourez le Périgord, allez voir l'antique castel où nâquît Brantôme le spirituel chroniqueur des scandales de son temps; le manoir d'Etienne la Boëtie qui, au seizième siècle osa écrire son Traité de la Servitude volontaire. Puis dans votre pélerinage artisque dirigez-vous vers Bergerac, la patrie da fougueux Cyrano, l'auteur du Voyage à la Lune. Quand vous aurez visité la jolie ville avec son aspect moderne et son pont si habilement jeté sur la Dordogne, suivez le cours de la rivière; portez vos pas vers l'ouest, arrivez jusqu'à Saint-Michel, parcourez un espace de huit lieues, et vous verrez le château d'un gentilhomme philosophe.

Saluez cette tour que nous apercevons là-bas sur ce petit côteau qui borde la Dordogne; c'est là que nâquit Michel Montaigne !

Ne vous attendez pas à trouver ici cette multitude de crénaux qui hérissent les donjons habités autrefois par les puissans barons du Périgord. Ils sont simples et modestes, et vous pourrez vous convaincre que la noblesse du seizième siècle ne déployait plus dans ses demeures le luxe des premiers temps de la féodalité.

Il y a quelques années, le château de Montaigne

existait à peu près tel qu'il était du temps de l'immortél auteur des Essais: malheureusement il tombe en ruines, et peut-être dans un demi-siècle il ne présentera à la curiosité des voyageurs qui viendront le visiter, que des monceaux de pierres bizarrement entassés.

Hâtons-nous de franchir le seuil; si votre cœur bat comme le mien d'une émotion ineffable; si le souvenir du grand homme vous inspire cette profonde vénération qu'on ne peut refuser aux bienfaiteurs de l'humanité, entrez : nous visiterons ensemble la maison d'un autre Socrate.

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A notre gauche sont les chais où les vendangeurs dont parle Montaigne déposaient chaque année, au mois de septembre, les raisins cueillis dans les beaux vignobles qui environnent le château à notre droite sont les écuries, trop vastes, pour le philosophe, parce que l'auteur des Essais passait plus de temps dans son cabinet que sur ses coursiers, et qu'il était meilleur écrivain qu'habile cavalier.

Le principal corps de logis que nous voyons à gauche, se compose de deux tours irrégulières, et de deux pavillons. Suivez-moi, et si la simplicité de l'édifice produisait sur vous une impression défavorable, souvenez-vous que nous sommes dans le château de Montaigne.

Arrêtons-nous un instant dans ce petit parterre qui borde la façade de l'ouest; laissons inaperçue la balustrade qui l'environne, et portons nos regards vers l'horizon: quel magnifique tableau se déroule devant nous! Voyez ces riantes plaines entrecoupées de coteaux couronnées de paysages verts. Partout la nature est riante et féconde; le Périgord et le Bordelais étalent à l'envi les richesses de leur sol.

Détournons les yeux de ce magnifique panorama ; le temps presse; transportons-nous à l'autre extrémité de la cour, où s'élèvent deux tours qui communiquaient autrefois par une large et belle galerie. La tour du nord, connue sous le nom de Trachère et qui tombe en ruines, était habitée par la femme de Montaigne; celle du midi, qui porte encore le nom de l'immortel philosophe, était occupée par Montaigne lui-même. Dans cette profonde solitude, l'auteur des Essais pélaudé à toutes mains, comme il le dit avec sa verve si originale et si incisive, victime de sa noble impartialité au milieu des factions qui agitaient alors l'Europe; désenchanté du monde, chercha un asile impénétrable aux intrigans. De cette tour, il écrivait, en 1572, aux Gibelins qu'il était Guelphe; aux Guelphes qu'il était dévoué corps et ame aux Gibelins. Dans son modeste château, il fuyait les gens qui font violence aux repos du pays pour le guérir, «ne voulant ac» cepter l'amendement qui trouble et hasarde tout, et » qui compte l'argent, le sang et la ruine des citoyens.»> Dans cet ermitage, « donnant asile aux persécutés de >> tous les partis, il se mêlait aussi d'achever quelques » vieux pans de mur et quelque pièce de bâtiment mal » dolée. Mais sa fainéance l'empêcha de parfaire les >> commencemens laissés par son père en sa maison. » Ici le moderne Socrate, se métamorphosant, tantôt en

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Héraclite, tantôt en Démocrite, riait des viscissitudes humaines, ou versait des larmes amères sur les malheurs qui accablaient tous les royaumes de la chrétienté.

Entrons, et examinons avec une attention minutieuse ces ruines qui furent long-temps le séjour du grand philosophe.

Nous sommes au rez-de-chaussée: cette voûte qui s'écroule chaque jour retentit souvent des cantiques et des noëls des vignerons qui venaient prier chaque dimanche. Dans cette chapelle, Montaigne le philosophe, Montaigne le sceptique, s'agenouilla peut-être et mêla sa voix aux prières des bons paysans. Plus tard, le lieu saint servit aux archives de la châtellenie, et maintenant il n'offre plus que des débris au regard attristé.

Montons au premier étage : quatre degrés en pierre nous en séparent. Ne reconnaissez-vous pas cette vaste cheminée; ces deux fenêtres aux profondes embrasures, dont Montaigne parle dans ses Essais avec sa naïveté expensive. Cet étage était entièrement occupé par le philosophe qui y couchait, pour être seul et vaquer tranquillement à ses études pendant la nuit.

La chambre à coucher de Michel Montaigne, com

muniquait autrefois, au moyen d'une galerie, à une autre grande chambre qu'on voyait encore, il y a quelques années, dans une petite tour carrée, accolée à la tour ronde.

Maintenant arrivons jusqu'au premier étage qui renfermait la bibliothèque du philosophe; il y passait sans doute la plus grande partie de son temps; c'était là qu'il composait ses immortels Essais, qu'il rédigeait son voyage en Italie. Aussi, lisez ses écrits, et vous verrez avec qu'elle complaisance affectueuse il parle du deuxième étage de son château. Il ne tarit pas làdessus, et il y a tant de charmes dans sa diction qu'on se laisse entraîner par son aimable loquacité!

Cette partie du Castel était meublée avec la simplicité qui convient à un sage retiré du monde, et le goût d'un gentilhomme qui avait vu la magnificence de la cour de France et des princes d'Italie. On pouvait dire en entrant: ni trop, ni peu.

Les grosses poutres qui soutiennent le plafond, étaient autrefois ornées de diverses inscriptions en“ langues grecque et latine, écrites en noir sur un fond clair. Quelques-unes de ces inscriptions sont encore lisibles, mais elles s'effacent de jour en jour.

Lisons les inscriptions grecques:

« Ce ne sont pas tant les choses qui tourmentent F'homme, que l'opinion qu'il a des choses. >>

>> Il n'est point de raisonnement auquel on n'oppose

un raisonnement contraire. >>

toutes les apparences d'un boudoir; les murailles sont ornées de peintures à fresque, un peu libres pour l'austérité d'un philosophe: aussi des mains scrupuleuses les ont-elles dégradées. Pourtant il en reste encore

» Le souffle enfle les outres, l'opinion enfle les quelques fragmens. Voyez ce jeune héros assis sur une

hommes. >>

Passons aux inscriptions latines.

» Cendre et poussière de quoi t'enorgueillis-tu ? » Notre entendement erre en aveugle dans les téBèbres et ne peut apercevoir la vérité ! »

Lisons cette courte devise écrite en gros caractères sur la poutre du milieu. C'est la devise du sage; elle résume à elle seule la philosophie, la doctrine et la manière de voir de Michel Montaigne: elle est le mot de ralliement de l'école qu'on a long-temps appelée sceptique :

» Je ne comprends pas, je m'arrête, j'examine.

Nous n'avons encore vu que le sanctuaire du sage: avançons, et nous trouverons quelques débris qui prouvent que Montaigne, en quittant le monde, ne fit pas abnégation, de tous ses plaisirs. Tourmenté par son imagination licencieuse, il voulut avoir sous les yeux des peintures qui lui rappelaient le souvenir des belles italiennes qu'il avait admirées à Rome, à Naples, à Florence.

Tournons à gauche: voyez ce petit cabinet qui a

massue, et filant une quenouille: c'est Hercule. Cette tête de femme est celle d'Omphale. Là sont des essaims de petits amours; ici des groupes de divinités allégoriques.

Si vous vouliez me suivre jusqu'au petit grenier qui se trouve au-dessus de la bibliothèque, je vous montrerais l'endroit où était la grande cloche dont il est si souvent fait mention dans les divers écrits du philosophe. Mais je m'aperçois que la promenade imaginaire que vous venez de faire au château de Michel Montaigne vous paraîtrait trop longue, si nous poussions plus loin notre excursion..

Je suis d'ailleurs lassé de vous décrire des tours, des chambres, un premier et un deuxième étage, rien d'aride comme une longue description. Heureusement pour moi, le grand nom de Montaigne vivifiera ces pages; c'en est assez pour engager plusieus personnes à me lire, et peut-être elles me sauront gré du voyage qu'elles ont fait avec moi au château du Socrate périgordin. Charles COMPAN.

LES FILS DE CARIBERT,

ÉPISODE DES GUERRES DE NOVEMPOPULANIE.

Les invasions guerrières ont été pour le genre humain la source du mal et de la barbarie. Les Scythes et les Celtes dans l'ère ancienne, les Gots dans la moderne ont détruit tour-à-tour la civilisation méridionale et substitué la loi de force au règne sacré de la justice. De là les maux et les déchiremens qui se font sentir encore au milieu de notre société en progrès. On peut juger par les fléaux que nous ont légués ces tristes et sanglantes époques, comme un funeste mémorandum, on peut juger par là des tortures affreuses dont l'humanité a dù ètre la proie à ces époques mèmes. Que de combats ont été livrés ! Que d'assassinats et de crimes de toute sorte commis! Où trouver un lambeau de terre qui n'ait pas été fertilisé par une ondée de sang humain, une muraille féodale sur laquelle la pluie des siècles n'aît pas eu à laver la souilJure de quelque crâne ? Pour image de la torture morale de la société de ce temps, il nous reste NotreDame, la vieille sorcière gothique, avec son affublement d'architecture, grimaçante et ridée. Les sombres manoirs que les fils des chefs conquérants disputent aux ravages du temps et du peuple, également caractérisés par le lierre dont se couronnent leurs châteaux forts et par les ruines de leurs tours, forment le pendant de Notre-Dame pour nous représenter la douleur phy

sique de l'humanité, dans ces siècles où chacun jus-qu'à Dieu lui-même (comme on le voit par l'architecture de nombre des temples gothiques) devait se barricader chez soi, et où le guerrier ne sortait qu'emprisonné dans un épais cilice de fer. Malheur à ceux dont le foyer n'était point protégé par une ceinture de crénaux! Malheur à ceux dont les épaules étaient nues et les bras désarmés! Mais plutôt malheur à tous! Car, une fois les saints principes de l'équité sociale foulés aux pieds, anéantis, une fois le crime adoré dans l'homme fort, qui put se croire à l'abri des calculs perfides de l'ambition et de la méchanceté ? Les con-quéran's ne tardèront point à venger les uns sur les autres le mal qu'ils avaient fait au monde. Plus d'une fois l'esclave abruti, méprisé, dût sourire de joie au milieu de ses tristesses, en voyant dans la famille du maître, la désunion, la haine et le meurtre au front livide. Le trône ne fut pas plus exempt que le château de ces représailles du crime sur le crime. Les familles royales de ce temps étaient soumises à une coupe réglée. Aucun membre n'en échappait. Empoisonné, poignardé ou étranglé, la façon ne faisait rien, et eoùtait extrêmement peu. La royauté faisait alors son 93. Magnifique institution que celle qui repose sur le sabre. des brigands envahisseurs!

Il est facile de s'imaginer quelles devaient être les lois de la guerre et comment étaient traités les ennemis, d'une nation à l'autre, lorsque de pareils attentats ravageaient la famille des chefs. Des peuples mêmes dont la vie avait été jusqu'alors partriarchale et pure, devinrent cruels et méchants par suite de l'exemple et par nécessité. Partout les mœurs s'imprégnèrent de férocité. Il ne fut plus permis d'être inoffensif et bon si l'on ne voulait être victime. Le monde avait goûté la coupe de sang, et ce breuvage lui avait plu. La société entière fut plongée dans une funèbre ivresse

dont le vertige dure encore. Les pères ont chancelé à l'angle des chemins, les fils portent leur poitrine pesante et leur tête chargée de vapeurs.

D'après ces sinistres avant-propos on doit s'attendre naturellement à ce que je raconte quelque histoire bien noire, bien lugubre, où chaque période serait couronnée par un de ces mots : trahison, parricide, inceste, etc. etc., sans compter les superbes épithètes que l'on peut joindre à ces mots sonores. Mais je dois prévenir les amateurs de chroniques horribles qu'ils seront désappointés à la lecture de ce court récit où

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l'assassin ne figure que collectivement, en grand, avec honneur, sur un champ de bataille, et où il est à peine fait mention d'un empoisonnement. L'épisode que j'ai choisi dans ces années barbares, peut être considérée comme une étude historique sur les guerres d'une partie du midi de la France, sous les rois Mérovingiens.

Le roi Dagobert après avoir usurpé la portion à l'héritage paternel de Caribert son frère, avait érigé en sa faveur le royaume d'Aquitaine formé des provinces

comprises entre la Garonne et la Loire, en y joignant le duché de Vasconie. Les Vascons luttaient à cette époque contre les Francs pour leur indépendance. Le nouveau roi de Toulouse, Caribert, au lieu de faire la guerre à ces montagnards aima mieux ou jugea plus prudent de se les attacher par des moyens pacifiques. Il demanda et obtint en mariage la fille de leur chef Amand, Gisèle, déja célèbre par sa beauté quoiqu'elle eût à peine quinze ans accomplis. Les premières années de cet hy men furent heureuses. Mais Dagobert

jaloux de la tranquillité dont jouissait son frère et dé- | de gazon, plantant des chênes de liberté pour prendre

voré par son inquiète ambition, ne tarda pas à troubler cette paix. A force de caresses, il attira à sa cour l'imprudent roi de Toulouse, et le fit empoisonner avec Chilpéric son fils aîné. La reine Gisèle emportant dans ses bras Boggis et Bertrand, derniers fruits de son bymen, parvint à échapper à sa fureur, et se réfugia dans la maison de son père, implorant pour ses deux enfants la potection des montagnards. Le duc des Vascons assembla ses guerriers, et leur présenta les deux princes. L'attentat commis par le roi des Francs, les larmes et la beauté de Gisèle, l'innocence des derniers rejetons de Caribert, les malheurs d'une princesse de leur race, enfin leur amour pour la guerre, tout détermina les montagnards à lever le drapeau comme pour une cause nationale. Ils firent serment sur la hache d'armesde faire restituer la couronne aux héritiers de l'infortuné roi de Toulouse. Un gouverneur que Dagobert s'avisa de leur envoyer dans cet intervalle, fut brûlé tout vif; et la guerre étant déclarée de cette façon, ils marchèrent vers la Loire, ayant à leur tête le vieux duc Amand, père de Gisèle.

Cessauvages habitans des Pyrénées, qui s'avançaient alors dans les plaines de France, s'étaient déja rendus formidables à leurs voisins par leurs continuelles incursions. Il ne sera pas sans intérêt de donner quelques détails sur l'origine et les mœurs de ces guerriers aventureux. Contraints par les victoires du roi visigoth Leovigilde de quitter leur patrie espagnole, les Basques ou Vascons alavés avaient émigré en masse de leur pays, et étaient venus s'établir vers l'an 580 dans la Novempopulanie. Après des guerres acharnées contre les Francs, ils parvinrent à la conquérir toute entière et mirent une garnison dans Bordeaux. Mais la lutte recommença bientôt, ou pour mieux dire elle ne fut jamais que suspendue, et elle se prolongea jusques sous les rois Carlovingiens, auxquels les montagnards Vascons opposèrent les rois Mérovingiens de Toulouse, dont le trône fut long-temps le rempart de leur indépendance. Les populations de la Novempopulanie et de l'Aquitaine voyaient avec terreur et surprise ce peuple parlant une langue inconnue, et non moins singulier par ses coûtumes en temps de paix que terrible les armes à la main. Les Vascons conservaient religieusement le costume de leurs ancêtres. Comme au temps des Romains, ils marchaient au combat la tête nue, les cheveux flottants sur les épaules. Une chemise à larges manches serrée au poignet par de brillantes agrafes, un petit manteau rond jeté sur le dos plutôt comme parure que comme protection contre les intempéries, formaient les deux pièces principales de leur habillement. Leurs armes étaient la hache, le sabre à deux tranchants, le javelot romain et le ganibet, sorte de poignard dont ils se servaient avec une rare dextérité pour se défaire de leurs antagonistes, dans une lutte corps à corps. Ils portaient en outre un bouclier rond pareil à celui des Francs de cette époque. Ils promenaient souvent avec eux dans leurs courses guerrières, leurs femmes et leurs enfants, campant la nuit sur les hauteurs, dans des fortifications circulaires

possession d'un pays, et se livrant pendant plusieurs jours après chaque conquête, à des festins accompagnés de danses, et de chants composés par leurs bardes ou poètes à la louange des héros. Il ne reste comme souvenir de ces expéditions du moyen âge que quelques tourelles en ruines, élevées sur les collines les plus hautes pour renvoyer de loin pendant la nuit des signaux par le feu, les campements circulaires dont j'ai parlé, parfaitentent conservés malgré le laps de temps, et le nom corrompu de Gascogne qui est demeuré au pays sur lequel s'étendit pendant nombres d'années, la domination des Vascons.

L'habitude où l'on était de voir les montagnards revenir triomphans, de ces courses auxquelles leur agilité et leur vigueur les rendaient si propres, ne laissa point douter que l'incursion qu'ils avaient entreprise vers la Loire, à la suite du duc Amand ne fut couronnée d'un plein succès. Dagobert effrayé de leur marche, rassembla en toute hâte ses troupes de la Bourgogne, et les envoya à la rencontre des montagnards, sous les ordres du grand référendaire Radoin. Celui-ci était accompagné par onze ducs commandant chacun un corps d'armée; une foule de seigneurs et de gentilshommes avanturiers de toute nation, s'étaient joints à eux et grossissaient le nombre de leurs guerriers. Le choc des deux armées fut terrible, la mêlée meurtrière. Rarement le soleil se coucha sur une journée plus sanglante; quand les montagnards s'en revinrent de la bataille, leurs rangs étaient éclaircis, leur marche ralentie par des convois innombrables de blessés et de morts qu'ils emportaient avec eux, afin de les ensevelir suivant les usages de leur nation. Mais, non moins que ces indices de destruction, leurs bras pendants par la fatigue, leurs têtes baissées par l'épuisement moral de la honte, leurs javelots tournés vers la terre, annonçaient une défaite. Les armes fracassées, la poitrine et les bras en sang, dans les yeux une sombre flamme reste de ces rapides éclairs qu'ils lancèrent dans la mêlée; ils s'avançaient tristes, abattus, déconcertés. Un nuage était sur leurs fronts toutes les fois qu'ils détournaient les yeux du sol où ils marchaient pour les porter autour d'eux, ou les élever au ciel. Le plus morne silence régnait dans leurs lignes naguères si profondes, si étincelantes d'armes, et dont la parure coquette s'était évanouie en même temps que la formidable apparence. Au lieu de ces clameurs sauvages par lesquelles ils intimidaient les ennemis ou célébraient leurs triomphes, on n'entendait que de faibles gémissemens arrachés par la douleur à l'âme forte des héros. A mesure qu'il traversaient les villages dans leur lente retraite les populations accouraient à leur rencontre, ayant à leur tête de jeunes filles dansant et portant des fleurs; mais à la vue de ces lambeaux sanglants et hideux de ce qui avait été une grande armée, les danses s'interrompaient, les fleurs roulaient à terre, et les guerriers souriaient amèrement. Quelques vieilles les poursuivaient de huées en leur reprochant d'être des fils dé-' générés et de ne point valoir les héros qui avaient ́*

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