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eux et les avaient dépouillés de leurs possessions si long-temps défendues contre la puissance romaine. Dans cette consternation générale, Ulphilas, le célèbre évêque dont il nous reste une traduction gothique de la Bible, fut député vers l'empereur Valens, à Constantinople, pour proposer l'incorporation politique de sa nation dans les terres de l'empire. Valens hésita d'abord, mais sur la promesse que firent les Goths, chrétiens et payens, d'embrasser l'arianisme, prince, dont le fanatisme pour Arius a rempli l'histoire de tant de pages sanglantes, se laissa toucher, et leur assigna la Thrace pour nouveau siége de leur colonie.

ce

A la suite de cette concession, les Goths commencèrent leur retraite vers la Thrace. Selon leur position, plus ou moins orientale sur le Danube, ils étaient divisés en deux nations, alliées politiquement et pour les guerres dangereuses qui menaçaient leur sûreté commune; mais rivales d'ambition, de pillage et de prépondérance. Ceux des Goths qui étaient à l'Orient prenaient le nom d'Ostrogoths (c'est-à-dire orientaux, de ost, Est), et ceux du couchant celui de Visigoths (occidentaux, de West, Ouest).

Les Visigoths traversèrent le Danube sous les ordres de deux chefs, Alavin et Fritigerne. Athanaric, leur roi, n'avait point quitté la gauche, espérant peut-être défendre quelque partie du pays contre les Huns, ou, comme on le rapporte, par fidélité au serment qu'il avait fait à son père de ne jamais mettre le pied sur le territoire romain. On porte à plus de deux cent mille hommes le chiffre de la population militaire qui se répandit dans la Thrace avec Alavin et Fritigerne.

Si Rome n'avait pas dès-lors déja été en proie au désordre, à la misère, et à l'incurie qui l'ont tuée, la colonie gothique aurait pu prospérer dans la Thrace; car les nouveaux habitans se montrèrent zélés pour l'agriculture et semblaient déposer leurs goûts farouches et belliqueux. Mais le gouvernement les laissa manquer de vivres et les exaspéra par l'injustice et les violences de ses officiers de fisc, de guerre et de magistrature. Les Visigoths ne tardèrent pas à se révolter, ravagèrent la contrée, firent subir plusieurs échecs aax légions romaines commandées par Lupicius, et restèrent à peu près maîtres du pays, malgré la déroute des Ostrogoths accourus pour les soutenir. Les armées impériales, conduites par Valens en personne, ne furent pas plus heureuses que celles de ses lieutenans; l'empereur fut battu dans les plaines d'Andrinople, et cette campagne lui coûta la vie. Il périt brûlé dans une chaumière où il s'était réfugié (378).

Enhardis, et réveillés à leur instinct de conquête et de brigandage, les Visigoths ruinèrent totalement la Thrace, et portèrent la terreur et la désolation jusque sur les côtes orientales de la mer Adriatique. L'exem. ple de ces barbares, qui voyaient croître avec orgueil leur fortune, pouvait précipiter la chute de l'empire, en excitant l'appétit désordonné des conquêtes chez toutes les nations qui pressaient l'Italie comme une meute menaçante et prête au carnage. Théodose déploya donc contre eux toutes les forces qu'il put réu

nir, et Athanaric, vaincu, vint mourir à Constantinople en 387 ou 382. Les Visigoths furent refoulés dans la Mosie et la Thrace, où la sévérité de Théodose les confina sous menace d'une destruction totale, s'ils rompaient leur ban. La munificence impériale affranchit les vaincus de toutes contributions et charges publiques, les Visigoths semblaient enfin se résigner à la vie paisible de l'agriculture. Les guerriers et les jeunes gens qui préféraient les armes au repos, furent enrôlés pour le service de l'empire; on donna à ce corps d'auxiliaires des chefs d'origine gothique, entre autres Alaric, dont le nom est demeuré fameux par le sac de Rome et les coups formidales qu'il porta au colosse chancelant de la puissance Romaine.

Les Goths demeurèrent fidèles à Théodose tant qu'il vécut; mais à sa mort (393), l'ambition d'Alaric excitée par les sugestions du ministre Rufin, natif d'Eauze (aujourd'hui dans le Gers), fit proclamer une révolte générale des Goths contre Arcade, auquel était échu l'empire d'Orient dans le funeste partage que Théodose fit du monde romain en mourant.

L'éclat de la naissance d'Alaric qui appartenait à la seconde famille gothique, les Balthes, son courage et ses grands talens militaires, lui gagnèrent de suite la confiance et l'enthousiasme de sa nation; tous les débris se rapprochèrent, s'unirent et se mirent sous ses ordres. Stilicon, général d'Honorius, marcha contre lui; mais la Panonnie, la Grèce et la Thrace furent mises à feu et à sang par les révoltés, et Alaric ne mit un frein à l'ardeur de ses soldats qu'après un traité de paix, qui consacra l'oubli du passé et des avantages pour le présent au profit de sa nation; de plus, l'empereur Arcade consentit à accorder à Alaric le titre de général romain, et lui décerna le gouvernement des forces militaires de l'Illyrie orientale (396).

On ne sait pas positivement à quel titre les Visigoths continuèrent à faire partie de l'empire, si c'est comme sujets vaincus ou alliés libres; mais, quoi qu'il en soit, une révolte nouvelle, ou l'usage légal d'un droit conservé intact, fit proclamer Alaric roi des Visigoths en l'an 399.

Désormais ce conquérant va s'attaquer à l'Italie et à Rome elle-même, pour ravir au centre du foyer les dernières étincelles de vie qui soutiennent l'empire moribond. Sans motif, sans déclaration, Al ric envahit et saccage l'Italie en 400.-Chassé par Stilicon, il se retire; mais, dès que ses pertes sont réparées, il revient comme un taureau furieux se ruer sur la terre des Césars qu'il a mission de broyer sous le pied des barbares. Dans cette seconde expédition de 402, Alaric fit trembler la ville éternelle et la menaça d'une ruine sans exemple, si Honorius n'assignait des possessions honorables à la nation qu'il commandait et ne faisait prendre rang à son armée dans les légions impériales. Cependant, soit insuffisance de moyens militaires pour pousser la campagne, soit qu'il existât, comme le prétend l'évêque goth Jornandès, un traité secret qui concédait à Alaric le midi des Gaules et les provinces hispaniques, à condition qu'il délivrerait Rome des Vandales qui commençaient à l'effrayer, le roi

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visigoth s'était avancé vers les Alpes, paraissant vouloir ou feignant seulement de passer dans les Gaules. Stilicon arrive en toute hâte avec une armée venue de Germanie, rencontre celle des Goths près de Pollence ou Placintia dans le Piémont, l'attaque au milieu des fêtes de Pâques que les soldats d'Alaric observaient rigoureusement, et remporte sur elle une victoire complète. L'infanterie visigothe fut taillée en pièce; car, pour honorer la sainteté des fêtes pascales, elle s'était contentée d'une simple défense et n'avait point voulu ensanglanter ses armes. Cette déroute livra à Stilicon la femme, les enfans et presque toute la famille d'Alaric, et força celui-ci à solliciter la paix du vainqueur (403).

Stilicon dont les projets politiques étaient de regagner sur l'empire d'Orient l'Illyrie orientale, et de se servir des Barbares pour régner aux dépens d'Honorius, nsa avec modération des avantages de sa victoire de Pollence. Alaric retourna dans la Paronnie et la Dalmatie et fut investi du commandement général de l'armée romaine dans l'Illyrie occidentale. Stilicon tenait Alaric prêt pour ses plans de guerre contre Ar

cadias, et négociaít secrètement avec lui pour profiter du moment favorable à une attaque des possessions de l'empire d'Orient. Le général d'Honorius s'était assuré le secours du visigoth par de nombreuses promesses d'argent, de pouvoir et de participation personnelle aux projets dont Alaric ne devait être que le premier exécuteur. Mais la fierté et l'impatience d'Alaric ne voulurent voir dans toutes ces menées qu'un système tortueux pour ruiner la puissance de la nation visi. gothe, et une nouvelle irruption fut décidée en Italie entre les capitaines du roi barbare. Celui-ci fit sommer l'empereur de l'indemniser des frais qu'il avait hasardés pour les préparatifs commandés par Stilicon. Le sénat alarmé vota quatre mille pesans d'or pour adoucir et éloigner les Visigoths. Les auteurs byzantins ont soutenu que Stilicon tramait un complot contre la vie et le pouvoir de son maître Honorius, et que toutes ses mésintelligences mystérieuses avec Alaric n'avaient eu d'autre but que de l'employer pour l'exécution des desseins qu'il méditait pour donner le trône à Euchérius. On sait que Stilicon paya de sa tête (23 août 408) les noires manœuvres que l'histoire lui

a reprochées comme une trahison envers son prince et sa patrie, qui l'avait comblé d'honneurs et de richesses. Stilicon était vandale de naissance et rêvait peutêtre l'intronisation des Barbares sous le dais impérial de Constantinople et de Rome...

Le supplice de Stilicon était une affaire de gouvernement intérieur et ne changeait rien à la situation d'Alaric vis-à-vis de Honorius. Il continua donc auprès de celui-ci les négociations dont Stilicon, comme ministre, avait arrêté les bases. Mais Honorius, à l'instigation de ses conseillers, ne répondit que par le silence et d'actives démonstrations d'hostilité. Alaric était alors dans la Panonnie, nourrissant toujours le projet de réduire l'Italie à son obéissance, si l'empereur ne lui accordait point la paix qu'il demandait. Informé des intentions belliqueuses du faible Honorius, il députe vers Ataulphe, son beau-frère, et lui donne ordre de rassembler tout ce qu'il pourra d'aventuriers et de soldats, Huns, Goths et autres. En atten dant ce secours, l'entreprenant Alaric marche droit vers l'Italie, pille Aquilée, Crémone et d'autres villes, arrive devant Rome, et en peu de temps la jète dans les plus terribles extrémités d'un siége cruel et acharné. Jesénat envoie vers lui et l'exhorte à la clémence; Alaric irrité se borne à cette réponse : « Qu'on m'épar>> gne la peine de piller Rome et qu'on me livre tout >> l'or et toutes les richesses qu'elle renferme. » — «Que laisserez-vous donc aux Romains? deman>>dent les embassadeurs. - La vie. »

Déja dans sa course vers Rome, Alaric avait été arrêté par un saint ermite qui le conjurait de pardonner à la maitresse du monde; mais le Visigot méprisa ses prières en lui disant durement: « Je sens en moi « quelque chose qui me pousse à détruire Rome. Parole terrible éloquemment interprêtée par saint Augustin!

Le sénat essaya de désarmer la colère d'Alaric par ses supplications, et le voyant inflexible, il voulut l'effrayer par le tableau de la résistance désespérée de l'immense population de Rome : Tant mieux, s'é«< cria le barbare, plus l'herbe est serrée, et plus la faux y mord!

Rome aux abois aima mieux se dépouiller d'une partie de ses richesses que de combattre. Une rançon énorme, recueillie parmi les habitans et classée au nombre des plus saintes contributions patriotiques, obtint la cessation des horreurs de ce siége; celte rançon se composait de 5000 livres pesant d'or, 30,000 livres d'argent, 4000 robes de soie, 3000 pièces de drap écarlate et 3000 livres de poivre. Alaric conclut un traité avec Honorius, s'engagea dans l'armée romaine avec ses troupes comme auxiliaire, leva son camp et le transporta dans la Toscane (408).

Parmi les ministres de Honorius celui qui occupait le premier rang était Olympe, créature de Stilicon, puis son ennemi et son rival. Olympe avait dévoilé à l'empercur les intrigues de Stilicon dans l'espérance d'hériter de la faveur et de la puissance de son protecteur. Pour continuer le rôle qu'il avait pris en dénonçant les dangers d'une alliance entre Alaric et Stilicon, il opi

na dans le conseil impérial pour une rupture ouverte avec le roi des Visigots et un mépris formel pour les engagemens du dernier traité de paix. Alaric insista pacifiquement pour que les conditions du traité fussent observées; mais Honorius et ses ministres traitèrent le vainqueur de Rome avec un si fol orgueil et une dureté si hautaine et si blessante, qu'il ne resta à Alaric d'autre moyen de faire respecter ses droits, qu'un nouveau châtiment contre les violateurs de la foi jurée.

Ces deux figures de Honorius et d'Alaric sont là comme un enseignement de la Providence. Quand elle veut faire mourir un empire, elle a soin de parer son agonie de quelque grand contraste qui nous fait mieux

saisir le caractère de sa décadence et de sa mort. - Ici, le prince loyal, généreux, magnanime, fidèle observateur de sa parole, c'est le roi du peuple barbare, l'empereur du monde civilisé, a l'attitude d'un monarque lâche, paresseux, perfide et profanateur de sa foi.

Les embarras que les irruptions des Goths avaient multipliés au sein du gouvernement romain, avaient enhardi toutes les ambitions qui arrachaient un à un les membres affaiblis de l'empire de Théodose. Les légions de la Grande-Bretagne avaient donné la pourpre (407) à Constantin, simple soldat, mais distingué par sa bravroure et un nom qui était resté cher aux armées. Il passa aussitôt dans les Gaules et se fit reconnaître comme empereur, depuis le Rhin jusqu'aux Alpes et aux Pyrénées. Vainqueur de Sarus, général goth au service de Rome, et encouragé par la faiblesse et l'anarchie où était tombée la cour de Honorius, Constantin poussa l'audace et la présomption jusqu'à faire proposer, par une ambassade à Ravenne, que l'empereur le reconnut pour collègue (409). Honorius dissimula son ressentiment, et se soumettant aux exigences d'une position critique, il associa Constantin à l'empire, lui donna le titre d'Auguste, lui envoya les insignes de la souveraineté et accepta Arles pour siége du gouvernement du nouveau César.

Pendant ce temps (409), Alaric, poussé à Lout par le déni de loyauté que lui avait fait Honorius, recommença la guerre, et investit Rome en attendant l'arrivée d'Ataulphe, avec les secours duquel il pourrait former le siége en règle de la grande cité. Sa jonction faite avec les troupes de son beau-frère, le roi visigot poussa si vivement ses attaques couire Rome, qu'au bout de quelque temps la famine, la terreur et le découragement la lui livrèrent à discrétion. Alaric déposséda le faible Honorius et éieva à l'empire le préfet AttalePriscus. Cette création impériale improvisée était destinée à couvrir les projets d'Alaric, qui, s'étant fait nommer généralissime des armées romaines, avait opéré la conquête de presque toute l'Italie. Dans la même année, il dépouilla Attale de sa dignité, et restitua, au moins en apparence, le pouvoir à Honorius.

Alaric s'était éloigné de Rome et paraissait disposé à laisser en repos Honorius, qui continuait sa royauté chimérique à Ravenne, lorsqu'un nouvel incident vint

rallumer la guerre. La princesse Placidie, prisonnière d'Alaric, n'ayant pas été rachetée comme celui-ci l'exigeait, le rois des Visigoths marcha plein de fureur contre Rome pour la troisième fois. Elle fut enlevée le 24 août 410 et livrée à toutes les horreurs du pillage. Les richesses amassées par neufsiècles de triomphes et de grandeur, passèrent dans l'espace de trois jours aux maius des barbares, et la maitresse du monde devint à son tour l'esclave humiliée d'un goth.

Alaric abrégea son séjour à Rome, decrainte que son armée ne s'y amollit; il médi'ait du reste la conquête

de la Sicile et de l'Afrique. Il s'avança donc vers sa nouvelle proie, en dévastant sur son passage la Campanie, l'Apulie et la Calabre, et au moment de s'embarquer pour la Sicile, il fut attaqué d'une maladie mortelle à Corentia. La singularité de sa sépulture dans le lit même du Busento ou Vafenito, avec des richesses prodigieuses, est un fait généralement connu. Nous ne le raconterons donc point.

C. G.

(La seconde partie à une prochaine livraison).

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nité cemme il les accomplissait lui-même, avec la simplicité de l'esprit et l'entrainement du cœur.

Vincent de Paul naquit en 1576 dans le petit village de Pons, près de Dax, dans le département des Landes. Dans son bas âge, il gardait les troupeaux de son père, pauvre cultivateur qui vivait de son travail sur son petit héritage. La première vertu qui se réveilla dans le cœur de l'enfant fut la charité, la charité qui devait plus tard lui faire opérer des miracles. Il y a tant de charmes dans les premières années du jeune Vincent, qu'on trouve du plaisir à s'y arrêter pour en parcourir les détails. Ainsi sa dévotion à Notre-Dame-de-Buglose, vieille église bâtie par les chrétiens fugitifs devant les sarrasins d'Espagne; ainsi ses aumônes aux pauvres qu'il rencontrait dans la campagne.

Un jour qu'il se trouvait possesseur de trente sous, fruit de ses petites économies qu'il avait accumulées, il se proposait de consacrer son trésor aux amusemens de son age; mais un pauvre paysan malheureux et dénué s'étant présenté à lui, Vincent donna tout ce qu'il possédait sans rien garder pour lui-même. On l'envoyait souvent au moulin acheter la farine ou moudre les grains nécessaires pour les besoins de la semaine; Vincent qui rencontrait des pauvres sur son chemin, commençait par leur donner son argent, puis, lorsqu'il avait épuisé sa bourse, il arrêtait son âne, et prenant son sac de farine, il la leur distribuait à pleines mains.

Les parens de Vincent, touchés des nobles sentimens et de la vertu de leur fils, résolurent de le consacrer à l'état ecclésiastique. Le jeune homme embrassa ce projet avec une sainte joie. Il fut ordonné prêtre, et vint à Toulouse prendre ses grades dans l'université de cette ville. Il est à remarquer que Vincent de Paul ne s'est jamais vanté pendant tout le cours de sa vie d'avoir fait d'aussi fortes études, ce qui lui aurait ouvert le chemin des honneurs ecclésiastiques. On trouva plus tard, après sa mort, la preuve de ce fait dans ses papiers. Le prêtre qui devait un jour ranimer l'église de France et adopter tous les malheureux, était un homme de patience et d'humilité, qui ne voulait de son ministère que le travail et les sacrifices qu'il impose.

Aussi Dieu le prépara-t-il dès les premiers pas qu'il fit dans le monde à cette mission douloureuse qu'il s'était imposée, et de grandes infortunes furent infligées à celui qui se sentait porté à secourir ses frères, afin de mieux le préparer à compâtir à leurs maux. Vincent avait été appelé à Marseille pour affaires de famile; un gentilhomme de ses amis lui proposa de retourner par mer à Narbonne ; il y consent et l'on s'embarque avec un vent favorable. Mais à peine ils étaient en mer, que trois brigantins turcs viennent fondre sur leur navire et s'en emparent aussitôt. Vincent fut conduit à Tunis et vendu successivement à plusieurs maîtres. Voici comme il raconte lui-même l'histoire de sa captivité et de sa délivrance:

« Je fus vendu à un renégat de Nice qui me mena à son Themat (sorte de fief tenu du grand seigneur); il était situé dans la montagne et non loin des déserts.

Une des femmes da renégat, curieuse qu'elle était de savoir notre façon de vivre, venait me voir tous les jours au champ où je fossoyais, et un jour elle me commanda de chanter les louanges de mon Dieu; le ressouvenir du quomodo cantabimus in ferra alienæ, des enfans d'Israël, me fit commencer, la larme à l'œil, le psaume Super flumina Babylonis, à quoi elle prenait tant de plaisir, que c'était merveille. »

Cette femme fit des reproches à son mari de ce qu'il avait quitté sa religion, et lui parla si souvent de son esclave que ce renégat voulut voir le prêtre. Vincent raluma les remords et l'espérance dans le cœur de cet homme. Ils for mèrent le dessein de s'évader, et Dieu favorisa leur fuite à travers les déserts et les flots. Vincent dit qu'il avait toujours eu la conviction profonde que sa captivité serait bientôt brisée. Ce pressentiment ne l'avait point trompé, il redevint libre; car le ciel ne lui avait imposé les maux de l'esclavage que pour le faire souvenir un jour des malheureux chrétiens qui gémissaient dans les fers des infidèles.

Vincent dut peut-être à ce souvenir de la captivité ce zèle brûlant qui le poussa sans relâche à secourir les malheureux chétiens que l'esclavage, chez les turcs, plaçait entre l'apostasie et la mort; il rapporta de sa captivité un sentiment de compassion profonde pour les maux de la servitude, et il puisa dans ce sentiment la force d'être importun auprès des grands, pour obtenir d'eux les moyens d'envoyer des missionnaires dans la Barbarie.

Quelques jours après son retour sur le sol de la patrie, Vincent de Paul fit le voyage de Rome pour aller visiter les tombeaux des apôtres, sans doute pour leur rendre grâce de son heureuse délivrance. Il vit dans la capitale du monde chrétien le cardinal d'Ossat, représentant de la France auprès du Saint-Siége. Vincent fut chargé par ce prélat d'une mission auprès du roi de France; et l'humble prètre fut obligé de se soumettre et de paraître à la cour d'Henri v. On lui offrit le titre d'aumônier de la reine et une riche abbaye; mais il refusa tous ces avantages pour accepter la cure de la petite paroisse de Clichy. II trouva là peu de revenus, beaucoup de pauvres à secourir, des malheureux à consoler, une retraite pour y vivre ignoré.

Vincent passa dans la paroisse de Clichy les années de sa vie les plus douces dans la bienfaisance et l'obscurité : aussi quelle ne fut pas sa tristesse lorsque, par l'ordre d'un de ses supérieurs, il lui fallut rentrer dans Paris pour faire l'éducation des enfans du comte Emmanuel de Gondi. « Je m'éloignai tristement de ma petite église de Clichy, dit-il dans une de ses lettres; mes yeux étaient mouillés de larmes et je bénis en sanglottant ces hommes et ces femmes qui venaient vers moi, et que j'avais tant aimés. Mes pauvres y étaient aussi, et ceux-là me fendaient le cœur. Je marchais avec mon petit mobilier sur la route de Clichy et je me rendis chez M. de Gondi, dont la maison allait être pour moi comme un monde nou

veau. »

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En effet, celle maison était fort brillante et rece

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