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qui leur était proposée. On appela pédans ceux qui consacraient leurs travaux à une seule étude; ceux qui les embrassaient toutes furent à peine accusés de présomption. Cependant il ne résulta point d'une direction aussi téméraire la confusion qu'on en pouvait craindre. A la vérité, les hommes superficiels rendirent plus saillans les ridicules de leur vanité, par leur ostentation à produire des connaissances vagues, inexactes et frivoles. Mais chez d'autres, cette extrême avidité de savoir put se concilier avec la sagesse et même avec la modestie. L'état où nous voyons aujourd'hui les sciences, la communication intime qui existe entre elles et les belles lettres, les secours qu'elles sc prêtent mutuellement, sont les résultats de celle impulsion qui leur fut donnée vers le milieu du dix-huitième siècle. Des hommes appelés, par leur naissance et encore plus par la noblesse de leur ame, aux emplois les plus importans, ne craignirent point d'ordonner leurs études sur un plan aussi étendu. Turgot montrait la belle ambition d'un Leibnitz, et peut-être en aurait-il eu les succès, s'il n'eût aspiré à faire un bien plus direct à sa patrie. Nulle connaissance aussi

Service renJupar d'Alembert.

Condillac

bien que nulle vertu ne manqua à son ami Lamoignon de Malesherbes.

Ce n'était pas assez que d'exciter une telle émulation, il fallait créer des méthodes nouvelles pour la diriger. D'Alembert s'imposa cette tâche : il entreprit de ranger dans une classification exacte et complète, tout ce qui formait le dépôt confus des connaissances humaines. Bacon, il est vrai, en avait pu concevoir le plan dans le temps même où plusieurs sciences se dégageaient à peine du charlatanisme et de la folle curiosité qui leur donna naissance; mais ce plan, il fallait l'appliquer à une époque plus heureuse et plus féconde. D'Alembert emprunta le secours d'un autre philosophe anglais, Locke, déjà vanté, puisque Voltaire ne cessait d'invoquer son nom, mais peu connu, et surtout peu compris. Son Discours préliminaire de l'Encyclopédie est un des ouvrages où sont employés avec le plus d'art tous les avantages particuliers à la langue française. Elle y brille de sa grâce naturelle, sans le secours d'aucun ornement; elle y est grave, pure, facile, entraînante comme la vérité.

Mais d'Alembert avait indiqué un but sans uvage. avoir fourni dans sa marche rapide les moyens

achève son

d'y atteindre. Condillac fit de l'étude de ces moyens l'emploi de toute sa vie. Quoiqu'il fût médiocrement versé dans les sciences, il ambitionna d'être leur guide, et il le fut. Comme Newton avait deviné la figure de la terre sans avoir eu besoin de mesurer ni les pôles ni l'équateur, Condillac devina les liens qui unissaient les sciences entre elles, sans avoir pénétré bien avant dans leurs secrets. Son Essai sur l'origine des connaissances humaines parut presque en même temps que le discours préliminaire de l'Encyclopédie, et fut bien moins remarqué, quoiqu'il lui fût égal en clarté et qu'il présentât plus d'aperçus nouveaux. Locke avait conseillé l'analyse, Condillac apprit à se servir de cette arme puissante de la logique, et il en fit toujours l'usage le plus habile. Ami circonspect des nouveaux philosophes, il ne contractait point avec eux d'engagemens indiscrets. Pendant long-temps il expliqua les facultés de l'ame sans dire un seul mot qui en démentît la noble origine et la haute destination. Plus tard, il parut s'éloigner de cette réserve; la triste et stérile hypothèse d'une statue organisée qu'il présenta dans son Traité des sensations, est le seul sujet d'in

Dumarsais.

quiétude que Condillac ait donné aux spiritualistes les plus zélés.

Dans le même temps, le judicieux Dumarsais, l'un des collaborateurs du Dictionnaire encyclopédique, appliquait l'analyse à la grammaire, et Duclos l'appliquait à la morale dans ses Considérations sur les mœurs du dix-huitième siècle. Ce dernier avait auparavant cherché et obtenu sans peine les succès du bel esprit. Ses bons-mots étaient à ceux de Voltaire ce qu'un trait de Juvénal est à un trait d'Horace. Il avait publié des romans et des contes pauvres d'imagination, mais remarquables par l'énergie et la variété des portraits. On en était presque venu à se persuader que l'agrément et la richesse de la fiction étaient indifférens dans ces producDuclos. tions légères. Duclos, dans ses Confessions du comte de ***, avait peint ce libertinage systématique où la vanité a plus de part que les sens mêmes. Le triste mérite d'avoir donné de la vérité à un pareil tableau, lui avait fait une réputation plus éclatante que les mots piquans et les brillantes antithèses dont il avait orné et surchargé son histoire de Louis XI. Malheureusement pour les mœurs, Crébillon le fils et d'autres auteurs froids,

composèrent avec moins d'esprit et plus de licence, des contes et des romans qui révélaient et même exagéraient les scandales du jour. Duclos fit l'ouvrage d'un honnête homme. Ce fut Louis XV qui qualifia ainsi les Considérations sur les mœurs, et la postérité a confirmé ce jugement Dans le noble désir d'être juste et d'épargner, comme disait Fontenelle, le plus petit ridicule à la plus petite vertu, Duclos sut faire le sacrifice d'une des parties brillantes de son talent et s'abstint de la satire. S'il eût eu recours à ce moyen de succès, il eût approché de plus près de La Bruyère; mais il aurait eu à peindre des caractères ou trop vicieux ou trop effacés. Il aima mieux porter beaucoup de justesse et de sagacité dans des observations générales. Il n'eut pour éloquence que l'accent fier et calme de la probité. On le citait comme un des plus beaux esprits de son siècle; on l'estimait comme un esprit sage. Les illusions qu'appelait en foule la philosophie nouvelle, le séduisaient peu. Lié avec des hommes d'État dont il n'était point le flatteur, il était porté aux vertus difficiles du citoyen et dédaignait les commodes vertus du cosmopolite. Il prévoyait avec inquiétude les désordres qui naîtraient de la ruine

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