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leurs talens, ne les rendait que plus propres à produire le résultat auquel ils avaient tous l'intention déclarée ou secrète de concourir. Buffon, J. J. Rousseau, Diderot, d'Alembert, Duclos, Condillac, Helvétius, s'annonçaient, pendant que Voltaire et Montesquieu atteignaient le point le plus élevé de leur carrière.

L'intimité naît facilement entre les gens de lettres, lorsque, ne jouissant point encore de leur gloire, et remplis des passions bienveillantes que donne la jeunesse, ils s'animent, ils s'éclairent par la confidence de leurs travaux et de leurs études. De tous les points du royaume il arrivait dans la capitale des jeunes gens qui, ayant lu furtivement des ouvrages signalés par quelque audace de l'esprit, étaient charmés de se communiquer les pensées dont ces écrits ou leurs propres méditations leur avaient fourni le germe. Diderot surtout les séduisait, exci- Diderot. tait leur enthousiasme, trouvait pour chacun d'eux des protecteurs, et, ce qui leur était plus doux encore, des admirateurs qui louaient avec transport leurs premiers essais. Son caractère était ouvert et facile; sa figure peignait la franchise de l'ame, et semblait annoncer la flamme du génie; sa conversa

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tion joignait aux traits brillans de l'enthousiasme, le mérite d'une instruction variée et positive. Il aimait à parler comme un ancien philosophe entouré de ses disciples. Il représentait Platon, Aristippe ou Diogène. Il cût réprésenté au besoin un prophète. Sans faire un injuste rapprochement, on pourrait dire de Diderot, sous un seul rapport, ce que Salluste disait de Catilina Son esprit vaste aspirait sans cesse à des choses immodérées, trop élevées, impossibles. Ses écrits conservaient plutôt la verve et l'originalité que la grâce de sa conversation. On n'éprouvait point auprès de lui la fatigue et l'impatience que cause le ton dogmatique, parce qu'il montrait toujours de l'indulgence, de la politesse. Il mettait du faste à tout, excepté à obliger.

Ennemi fougueux de la révélation, il avait cru d'abord devoir s'arrêter dans le déisme ; Voltaire lui paraissait avoir laissé trop de tiédeur dans cette espèce de culte; il voulait l'échauffer par de grands mouvemens de l'ame, mais le plus souvent il ne l'échauffait que par de grands mots. Il y renonça; craignant que quelqu'un n'arrivât à un plus haut point d'incrédulité que lui, il se fit athée. Pour

se consoler d'entrer dans un systême aussi désespérant, il imagina un tableau d'améliorations sociales qui s'appliquaient à tout le genre humain. Son début dans les lettres avait été d'une extrême audace; les Pensées philosophiques qu'il avait fait paraître en 1746, étaient l'attaque la plus directe qui eût été encore faite en France contre la religion chrétienne. Les inquiétudes que lui avait causées cet ouvrage, le portèrent à combiner d'autres plans. Il possédait les ressources d'un homme de parti, comme il en avait les passions. Insensiblement il se formait des disciples parmi ses émules; il pédie. leur persuada que le temps était venu de répandre les lumières en torrent sur la France et sur l'Europe, d'ébranler tous les préjugés, toutes les vieilles croyances, de mettre en commun leurs travaux et d'élever un monument où toutes les nations viendraient s'instruire, c'était le Dictionnaire encyclopédique. D'Alembert avait conçu avec lui D'Alembert. ce projet. Personne ne pouvait s'offrir plus

à

propos pour prévenir les dangers que faisait craindre l'activité inquiète de Diderot, D'Alembert était arrivé à la gloire par la route la plus sûre. Ses travaux et ses découvertes en mathématiques l'avaient déjà placé

Projel de 'Encyclo

sur la même ligne que Clairaut. Son carac tère, ses habitudes et ses mœurs le rendaient éminemment propre à conduire cette grande et périlleuse association de savans et de gens de lettres.

D'Alembert était fils naturel de madame de Tencin, dont nous avons eu souvent à rappeler le nom à l'occasion des plus viles intrigues de la cour. Cette femme, après un accouchement clandestin, eut la barbarie d'abandonner et d'exposer l'enfant qu'elle avait eu de l'un de ses amans, le chevalier Destouches. Un commissaire de quartier trouva cet enfant dans la rue pendant une nuit de novembre 1717. Il en eut pitié, il lui chercha des parens adoptifs; un vitrier et sa femme se présentèrent, d'Alembert leur fut confié. Ils firent pour lui ce qu'à peine ils auraient pu faire pour leur propre fils. Ils s'imposèrent des privations afin de lui procurer une éducation libérale. La reconnaissance vint seconder en lui l'essor du génie; il put de bonne heure payer par des succès les soins de ses bienfaiteurs. Il se distingua dans la géométrie dès cet àge où Pascal et Newton avaient étonné et surpassé tous les savans. Un mémoire qu'il fit sur la théorie des vents, et qui fut couronné à l'Académie

de Berlin, excita l'admiration des plus grands géomètres de l'Europe. En peu d'années il se rendit leur égal; et ce fut lui qui assura le triomphe de Newton sur les cartésiens les plus obstinés. Il cherchait surtout dans les sciences ce qu'elles ont de plus applicable aux besoins de la société. Déjà plusieurs parties des mathématiques avaient dû le plus vaste développement à l'invention du calcul différentiel et intégral. D'Alembert en fit de nouvelles applications à l'hydraulique, et les découvertes du siècle précédent sur ce sujet furent infiniment surpassées.

Ce n'était plus le temps où les savans se tenaient confinés dans une seule étude, et n'ambitionnaient qu'un seul genre de gloire; Fontenelle leur avait ouvert d'autres routes. L'opinion cherchait un successeur à ce philosophe nonagénaire; d'Alembert s'offrit pour perfectionner le rôle que l'esprit conciliant de Fontenelle avait créé. Il ne se sentait point alliré vers les lettres par cette vivacité d'imagination qui est le gage le plus sûr du talent, Mais des études parfaitement dirigées lui avaient donné une élocution facile, précise et lumineuse. C'était un de ces hommes privilégiés qui sont toujours maîtres de leurs pensées comme ils le sont

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