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nirent en lui à ceux de la philosophie. Il chanta les triomphes de la guerre en restant fidèle à la cause de l'humanité. Il donna un caractère nouveau à ces ouvrages qui, inspirés par les événemens du jour, perdent ordinairement leur prix aux yeux de la postérité. En célébrant des exploits contemporains, il fut moins poète que Boileau; mais il sut, comme lui, donner d'utiles conseils sous le voile de la louange. L'oraison funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741, et le panégyrique du roi, ont une chaleur d'ame et même une vérité qui font reconnaître l'ouvrage d'un bon Français. En les rapprochant des autres productions de cet écrivain, on est amené à une réflexion singulière, c'est qu'il a manqué à Voltaire, pour être un vrai philosophe, d'être un homme d'État. La politique, au défaut d'un moyen de persuasion plus puissant, lui eût appris à respecter les limites que souvent il franchit avec tant d'indiscrétion. La faveur commençait à le ramener à la sagesse, mais bientôt ⚫ee rêve se dissipa.

Madame de Pompadour l'avait fait combler de présens magnifiques. L'Académie Française avait enfin ouvert ses portes à un

homme qui lui apportait tant de gloire. On avait donné à Voltaire cette charge d'historiographe que Racine et Boileau s'étaient si peu occupés de remplir; il tenait un peu à la cour par la place de gentilhomme. ordinaire du roi; mais la marquise de Pompadour, soit par inconstance, soit par. politique, imagina de lui susciter un genre de persécution intolérable pour l'amour propre. Sans lui donner aucun signe de disgrâce ni de mécontentement, elle fit éclater pour Crébillon un enthousiasme si vif qu'elle semblait placer celui-ci bien au-dessus de Voltaire. Quoique le public n'aime pas ordinairement

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passer du parti des favorites, et que ce fût le moment où les plus vifs reproches s'élevaient contre la marquise de Pompadour, on affecta de partager cette admiration, et l'on se fit un jeu d'humilier Voltaire. Les Français avaient contre l'auteur qui, depuis plusieurs années, dirigeait leurs opinions, un de ces caprices que les Athéniens signalaient contre les hommes d'État, par lesquels ils craignaient d'être dominés. Les auteurs jaloux de Voltaire, les prêtres qu'il avait indignés, enfin tous ceux qui n'avaient contre lui d'autre grief que d'avoir eu trop souvent à s'occuper de lui, répétèrent à l'envi que

le génie lui manquait; que Crébillon lui seul avait du génie. Catilina, que celui-ci promettait depuis si long-temps, parut; et cette tragédie froide, incorrecte et bizarre fut reçue avec enthousiasme. Voltaire, qui avait déjà vaincu Crébillon dans le sujet de Sémiramis, crut facile de surpasser ce Catilina, dont les louanges le poursuivaient partout; il travaillait à donner à Rome sauvée l'énergie et la profondeur de Brutus. Enfin, rival opiniâtre, il refaisait Electre, l'un des titres de gloire de Crébillon; mais le public s'impatientait de le voir lutter avec tant d'effort contre sa décision, et la troisième place parmi les poètes tragiques était toujours assignée à Crébillon. Banni de la cour par les éloges affectés qu'il y entendait faire de son rival, Voltaire ne savait où porter son dépit. Il s'efforçait en vain de rallier ses admirateurs à l'aide de la duchesse du Maine; la voix d'une princesse qui avait été si long-temps l'arbitre du goût, était moins écoutée que celle d'une favorite capricieuse. Le calme de la cour de Luneville, le tableau d'un petit État où le bienfaisant Stanislas appelait le bonheur et les beaux arts, ne put distraire long-temps Voltaire de ses chagrins. La mort de madame

du Châtelet rompit le seul lien qui l'attachait encore à sa patrie. Il céda aux instances de Frédéric, et alla vivre auprès d'un roi qui croyait pouvoir mêler aux jouissances de la gloire celles de l'amitié.

En rendant compte de cette rivalité de Voltaire et de Crébillon, j'ai déjà passé l'époque dont j'ai retracé l'histoire politique dans les Livres précédens. Celle-ci ne m'a conduit que jusqu'à la fin de 1748, et le voyage de Voltaire à Berlin est de l'année 1751. Je ne puis m'arrêter dans ce tableau: voici le moment où l'esprit philosophique produit les ouvrages qui sont les plus grands monumens du dix-huitième siècle. Je reviendrai assez tôt à des intrigues de cour, à des désordres dont il est pénible de retracer le scandale, aux fausses combinaisons d'une politique à la fois timide et tracassière, enfin, au récit d'une guerre pleine de désastres et surtout d'ignominie.

Aussitôt que la paix d'Aix-la-Chapelle eut été conclue, tous les esprits fermentèrent. Les différens corps se disputèrent la direction des plus importantes affaires de l'État. La lutte existait surtout entre le parlement et le clergé. Tout aspire à l'autorité quand le monarque laisse énerver la sienne; tout est en

ci

mouvement quand il s'endort. Les débats du sacerdoce et de la magistrature devinrent si acharnés, qu'on put craindre une guerre vile et religieuse. Quelques hommes d'État qui voulaient maintenir la paix, des gens du monde qui craignaient d'être troublés dans leurs jouissances, et enfin des ames pieuses qui désavouaient, au nom de la religion, les emportemens dont elle était le prétexte, invitèrent les gens de lettres à calmer cette vive effervescence. Ceux-ci se réunirent pour étouffer, avec ce sujet de dispute, les fureurs du fanatisme qui allaient renaître ; mais ils marchèrent vers ee but par des voies différentes. Plusieurs d'entre eux voulurent amener les esprits à une complète indifférence pour la religion; d'autres les dirigèrent vers l'observation de la nature, et quelques-uns proposèrent à leur examen les plus hautes pensées de l'ordre social. On voyait parmi eux plusieurs hommes d'une vaste instruction, d'un caractère ardent, doués de la constance que demandent les grandes entreprises, et de la dextérité qui les fait réussir. Ils aimaient les choses nouvelles, soit par l'impulsion d'un génie original, soit par un désir de célébrité qui était leur passion dominante. La diversité qui régnait entre

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