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Montes

quieu; ses

sannes.

dre contre de nouvelles imputations qui l'eussent mis en péril. Les épigrammes se multipliaient sous un gouvernement qui faisait tant de fois lui-même usage de cette arme.Voltaire se justifiait des mauvais vers qui lui étaient' attribués, par des vers qui semblaient avoir été inspirés dans un souper du régent. Le duc de Richelieu l'admirait, le recherchait, sans pouvoir se donner auprès de lui la supériorité d'un protecteur, et sans l'entraîner dans ses maladroites intrigues de parti. Le Systême de Law forma un interrègne Lettres per- momentané pour les productions du génic et du savoir. On venait d'en sortir quand les Lettres persannes furent publiées. Tout devait étonner et séduire dans un ouvrage qui joignait les plus vives saillies d'un esprit original à la discussion profonde de plusieurs grands problêmes de morale, de politique et de législation. On cherchait le nom de l'auteur, et la surprise redoubla quand on entendit nommer un président du parlement de Bordeaux. Montesquieu, alors âgé de trente-deux ans, en se livrant à toutes les études que doit embrasser un grand magistrat, s'était senti l'audace et les ressources d'un génie indépendant. A l'exemple de Descartes, dans ses méditations, il avait

en 1721.

tout renversé afin de tout reconstruire. L'habitude qu'il s'était faite d'examiner les préjugés avec rigueur, avait aiguisé son esprit et donné de la fierté à son caractère. Plein d'un grand ouvrage, l'Esprit des Lois, dont il rassemblait déjà les matériaux, il voulait y préluder par un essai qui fit connaître et qui accrût ses forces. Il n'avait pas alors, pour plusieurs des institutions sociales qu'il venait de soumettre à son examen, le respect auquel la réflexion, et surtout l'expé-. rience, le ramenèrent bientôt; mais, d'un autre côté, il n'était pas entraîné par cet esprit vague qui s'égare dans de stériles hypothèses. Il connaissait les Français et devinait les mœurs, les travers, et l'ardente curiosité qui allait caractériser le nouveau siècle. Il s'occupa de tout ce qui pouvait amuser, éblouir, scandaliser le public et le préparer, en même temps à un grand exercice de la pensée; mais il s'embarrassa peu de donner l'ensemble d'une composition régulière à ses Lettres persannes. Le public espéra lire un roman, et se consola de n'y trouver ni action ni intérêt, parce qu'il y vit d'un côté une satire, et de l'autre les propositions les plus hardies. La description exacte des mœurs d'un sérail était une nou

veauté qui devait plaire pendant la régence. Racine avait cru devoir modifier sur la scène un pareil tableau, par mille traits qui appartiennent aux sentimens élevés dont l'amour est pour nous la source. Montesquieu osa peindre cette passion dépouillée de toutes ces ingénieuses délicatesses, réduite à la seule ivresse de la volupté, et dégradée par les lâches précautions de la jalousie. Sans que le cœur fût touché, on applaudit à des tableaux animés par le feu des désirs. Louis XIV, ses jeunes ministres et sa vieille maîtresse, la constitution Unigenitus et le Systéme, étaient attaqués dans les lettres d'Usbeck. Chacune de ces épigrammes avait une justesse et une vivacité qui les faisaient devenir proverbes; et ce qui leur donnait encore un effet plus agréable, c'est qu'aucune d'elles ne paraissait inspirée par la haine. A la vérité, le cadre de ces plaisanteries manquait de vraisemblance. Les Persans de Montesquieu étaient trop ouvertement Français et beaux esprits. Mais la satire est accueillie avec tant de complaisance, que souvent on la dispense des lois des autres productions. On crut, d'après cet heureux exemple, que le ton de l'épigramme pouvait convenir aux pensées les plus sérieuses; et comme Mon

tesquieu avait dissimulé sa profondeur sous la légèreté du jour, ceux qui se flattaient d'imiter sa légèreté crurent n'être pas loin de sa profondeur.

Quelques traits des Lettres persannes étaient dirigés contre la religion : on n'en parut point indigné. L'incrédulité n'avait pourtant encore pris de fortes racines qu'à la cour; mais on craignait dans ce tempslà de mettre aucune limite aux amusemens de l'esprit; et d'ailleurs, tout sujet de scandale disparaissait devant celui que donnaient les actions, les discours, la fortune et les honneurs du cardinal Dubois. Le régent et ce ministre s'amusèrent des Lettres persannes, et Montesquieu ne fut point inquiété. La persécution eût irrité cette ame fière; un succès paisible le modéra: il interrogea la pensée des plus grands législateurs de l'antiquité dans ses études, et celle des plus grands hommes d'État dans ses voyages.

Il y eut un effet des mœurs de la gence que je ne dois point omettre dans ce tableau. Les pamphlets, les libelles, les caricatures, les contes libertins, se multiplièrent tellement à cette époque, qu'on est tenté d'oublier que tous ces genres de productions avaient trouvé des modèles sous le

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règne de Louis XIV; que Bussy-Rabutin avait écrit ses scandaleux mémoires au moment où ce monarque donnait le prestige de la plus séduisante galanterie ou celui de la passion à ses amours adultères; et que, dans les dernières années de ce règne, J.B. Rousseau fut à peine légèrement blâmé d'avoir appliqué le savant travail de ses vers aux épigrammes les plus cyniques. Le recueil des pièces licencieuses ou satiriques qui furent publiées sous le régent est immense; mais il offre si peu d'art et de goût, que rarement on peut y reconnaître la plume d'un écrivain exercé. Il se forma dès-lors une littérature basse, mercenaire et clandestine, toujours prête à garder et à charles archives des scandales de la cour, ger à diffamer des noms recommandables, à traduire dans un style obscène et dépravé les pensées hardies que des auteurs plus jaloux d'estime avaient couvertes de quelques voiles, ou tempérées par quelques saines maximes. Le nombre des libellistes alla toujours en grossissant. L'autorité qui eut de temps en temps la lâcheté de s'en servir, paya leur pernicieux secours par une condescendance à laquelle ils parvinrent presque à l'habituer.

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