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mis au désir de les venger. L'indignation et la crainte régnaient parmi les membres dispersés de ce corps. Tous ceux qui avaient donné leur démission faisaient conjurer le roi d'accepter leurs services. Louis parut flotter pendant quelques jours dans la plus cruelle incertitude. Pour la première fois il consultait le dauphin, lui parlait avec affection; et quoique sa légère blessure eût pu lui permettre de vaquer aux affaires, il semblait en abandonner la direction' à son fils. Le dauphin se conduisit comme un prince judicieux et magnanime. Loin de saisir avec Procès de un odieux empressement l'occasion de perdre un corps dont il condamnait les principes, il demanda et obtint que l'instruction dy procès de Damiens fût confiée à ce qui restait du parlement, de Paris (a), la grandchambre, et que les princes et les pairs y fussent appelés.

Damiens.

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**(a) Le secrétairé d'État d'Argenson, malgré sa haine contre le parlement, insista beaucoup pour que l'instruction du procès de Damiens fût déférée à la grand'chambre. Le dauphin, en se rangeant à cet avis, voulut montrer aux Français qu'il n'était animé d'aucun esprit de secte et de vengeance; il y a peu d'exemples d'une telle loyauté dans des affaires de parti. Le dauphin n'était entré au conseil que depuis peu de jours. Le roi avait dit le soir

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Dans la nuit du 17 au 18 janvier, Damiens fut conduit de la prison de Versailles à celle du palais, avec un appareil qui ressemblait, dit Voltaire, à l'entrée d'un ambassadeur. Il se présenta devant ses juges comme un homme froidement exalté, qui ne montrait ni uné scélératesse, ni un fanatisme trèscaractérisés. Si quelquefois ses réponses paraissaient indiquer de la démence, bientôt il en faisait d'autres qui changeaient toutes les idées de ses juges. Damiens se réjouissait de les voir inquiets et déconcertés. Comme le duc de Biron le pressait de nommer ses complices : « Vous seriez bien, >> embarrassé, lui dit-il avec le plus grand

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flegme, si je déclarais que c'est vous. » Il feignait d'admirer l'éloquence du rapporteur de son affaire, Pasquier. « Le » roi, disait-il, devrait vous faire son

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même où il fut assassiné : « Je donne tous mes pou→ » voirs au dauphin, et je le déclare mon lieute»nant. » Comme Louis XV continua pendant quelque temps de garder le lit pour une blessure si légère qu'elle n'était pas même accompagnée de fièvre, le dauphin décidait tout et montrait la plus grande modération. A la vérité, seize des conseillers qui avaient donné leur démission furent exilés; mais cette mesure ne parut avoir aucun rapport avec le procès de Damiens.

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» chancelier (a)». On eût dit que son crime le relevait de la bassesse dans laquelle il avait vécu. Il ne s'emportait que contre l'archevêque de Paris; il parlait du roi avec une sorte d'affection, et de son crime avec plus de regret que d'horreur. Dans la matinée du 5 janvier, il avait, disait-il, cherché à calmer le délire dont il se sentait transporté, et avait demandé à un aubergiste de le faire saigner, ce que celui-ci avait refusé : ce fait fut prouvé. Damiens niait constamment avoir eu l'intention de tuer le roi. « Je l'aurais pu,

(a) Damiens ne parut point déconcerté à la vue des princes du sang et des pairs. I paraissait les passer en revue: « Voilà, disait-il, M. d'Uzès, que

j'ai eu l'honneur de servir à table; voilà M. Tar» got que j'ai servi aussi, de même que M. de Bouf »flers. » Il dit au maréchal de Noailles : « Vous » ne devez pas avoir chaud avec yos bas blancs; » vous devriez vous approcher de la cheminée. » Dans ses interrogatoires, il parut quelquefois persuadé que la religion permettait dans certains cas le régicide. Quand on lui demandait où il avait puisé cette doctrine, il refusait de répondre.

Quoique Damiens niât le plus souvent qu'il eût eu des complices, il avait dit à Versailles : « J'en » ai, je ne les déclarerai pas à présent. Qu'on me fasse parler à M. le dauphin, je lui révélerai bien des choses. Si le roi veut me donner la vie, je » m'expliquerai plus clairement. »

» disait-il, si je l'avais voulu; » cela était assez évident. Il désavouait une partie de ce que l'exempt Belot avoit écrit sous sa dictée. Lorsqu'on lui parlait de vols qu'il avait commis dans sa jeunesse, loin d'en rougir, it en plaisantait. « J'étais, disait-il, un maladroit » voleur. » Il avouait du même ton quelques traits qui annonçaient le déréglement de ses mœurs (a). On savait par lui que les jésuites l'avaient chassé d'une de leurs maisons pour des friponneries, et qu'au bout de quelque temps il était rentré à leur service et les avait encore quittés. Il regrettait de n'avoir pas pris pour directeurs des prêtres jansé nistes de Saint-Omer. Ceux-là, disait-il, » m'auraient détourné de mon crime. » On avait trouvé sur lui trente-sept louis au moment où il fut arrêté, et cette somme paraissait au-dessus des moyens d'un laquais vagabond et vicieux. Il faisait entendre qu'il possédait bien d'autres ressources. Dans un dé de ses interrogatoires il dit, que si après son

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(a) On le pressait de dire en quel lieu il avait été dans un certain moment. « C'est, répondit-il, dans » un endroit qui ne se doit nommer en si bonne » compagnie; et j'y ai été conduit par une fille en»gageante qui m'avait plu, étant coiffée à la courtoisie. »

crime commis il avait pu gagner les chevaux qui l'attendaient, il eût été en sûreté. On le pressa en vain d'éclaircir ce fait important. On croyait apercevoir de l'artifice jusque dans les contradictions où il tombait sans cesse! On eût dit qu'il se faisait un jeu de tenir deux partis en alarmes. Ses discours ainsi que ses actions peignaient un homme dénué de tout principe religieux; et cependant il était bouillant de colère au seul mot de refus de sacremens. Il se montrait indifférent sur le choix du confesseur qu'on voulait lui donner, et déclarait que son ame était en sûreté. Tout ce qu'il dit pendant qu'il subit la torture fut si incohérent et si contradictoire, qu'on n'en put tirer aucune lumière (a).

Ce procès fut instruit pendant près de deux mois et demi. Durant ce temps les parties s'accablaient d'accusations réciproques. Les

(a) Quelques personnes prétendirent qu'on n'a→ vait pas employé une torture assez sévère pour arracher les aveux de Damiens. Son premier cri, quand on le serra, fut : « Coquin d'archevêque, »tes refus sont cause de tout! » Il accusa de complicité un nommé Gauthier qu'on fit arrêter, mais contre lequel on ne trouva aucun indice, et qui fut mis en liberté au bout d'un an.

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