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avec des courtisans et un assez grand nombre de personnes qu'attirait la curiosité de voir de près le monarque (a). Un homme s'avance entre les gardes, comme s'il était un officier de la maison, frappe le roi d'un coup de canifaudessus de la cinquième côte, et rentre au milieu des spectateurs. Le roi porte la main sur sa blessure, en tire quelques gouttes de sang, se retourne, reconnaît l'assassin qui avait conservé son chapeau sur la tête, et dit : « C'est » cet homme qui m'a frappé ; qu'on l'arrêté ét

qu'on ne lui fasse point de mal. » L'assassin est arrêté; les premiers mots qu'il profere sont ceux-ci : « Qu'on prenne garde à M. le dau

phin, et qu'on ne le laisse point sortir de toute la journée! » L'alarme est au comble; on croit qu'une vaste conspiration menace toute la famille royale. Le roi est porté dans son lit; sa blessure paraît légère, mais on craint que l'arme dont il a été atteint ne soit empoisonnée. Lui-même, frappé de cette idée, se croit à son dernier moment; on s'empresse de lui donner les secours de la religion (b).

(a) Comme le froid était rigoureux, chacun était couvert d'une redingote. D'ailleurs la voûte était mål éclairée, et les spectateurs se distinguaient peu les un's des autres.

(b) Il arriva, comme à la mort du régent, que le

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La reine effrayée vient le trouver'; il lui parle avec tendresse, et se félicite d'avoir été frappé plutôt que son fils. La marquise de Pompadour est délaissée de tous les courtisans; et le ministre qu'elle protège le plus, Machault lui-même, vient lui signifier l'ordre de s'éloigner du château....

La nouvelle de ce crime se répand dans la capitale. On est consterné plutôt qu'attendri. L'archevêque ordonne des prières de quarante heures, mais les églises restent vides. On ne doute pas que les coups de l'assassin n'aient été dirigés par l'un des deux partis qui se combattent avec tant d'acharnement. On se soupçonne, on s'accuse; tous les grands, les prêtres, les magistrats volent à Versailles pour se mellre à couvert d'une horrible imputation. Mais pendant ce temps les gardes, indignés que leurs rangs aient été traversés par un régicide, le tourmentent, le tenaillent, et cherchent à obtenir de lui des aveux (a). Il

château était presque désert. On ne trouva aucun des ecclésiastiques attachés à la cour. On se servit du premier prêtre que l'on put trouver.

(a) Le garde des sceaux Machault s'était transporté dans la salle des gardes. Ce fut en sa présence, et peut-être par ses ordres que Damiens fut tenaillé.

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ne répond rien; sa contenance est tantôt celle d'un homme effaré, et tantôt celle du plus intrépide scélérat. Il peut par ses déclarations vouer aux, soupçons, à l'opprobre, à la mort, les hommes les plus importans de l'État. La pensée d'être maître de la vie de tant de grands personnages semble lui donner de l'orgueil. On examine l'arme dont il s'est servi; on voit avec étonnement que c'est un couteau à ressort qui d'un côté présente une lame longue et pointue en forme de poignard, et de l'autre un canif ordinaire, Comment un homme qui affronte les supplices des régicides, a-t-il frappé avec un canif lorsqu'il était armé d'un poignard?

L'assassin fut d'abord livré à un tribunal qui, suivant les lois du royaume, avait la connaissance des crimes commis dans, le palais du roi, la prevôté de l'hôtel. Il y subit deux interrogatoires. On apprit qu'il se nom mait Robert-François Damiens; qu'il était né en Artois, de, parens misérables; qu'il était âgé de quarante-deux ans; qu'il n'avait fait d'autre métier que celui de laquais; qu'il avait servi long-temps chez des jésuites, et ensuite chez plusieurs autres maîtres, dont quelques-uns étaient conseillers au parlement de Paris. L'exempt des gardes de la prevôté,

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Belot, Finterrogea particulierement sur les rapports qu'il avait pu avoir avec ces derniers. Damiens en nomma plusieurs, mais en altérant le nom de quelques-uns; il ajouta qu'il les connaissait presque tous. Soit de son propre mouvement, soit d'après l'instigation de celui qui l'interrogeait, il évrivit au roi la lettre suivante :

"

Sire, je suis bien faché d'avoir eu le • malheur de vous approcher; mais si vous » ne prenez pas le parti de votre peuple, » avant qu'il soit quelques années d'ici, vous » et M. le dauphin, et quelques autres périront; il serait fâcheux qu'un aussi bon prince, par la trop grande bonté qu'il a pour les ecclésiastiques, dont il accorde toute sa confiance, ne soit pas sûr de sa » vie; et si vous n'avez pas la bonté d'y » remédier sous peu de temps, il arrivera » de très-grands malheurs, votre royaume » n'étant pas en sûreté; par malheur pour » vous que vos sujets vous ont donné leur » démission, l'affaire ne provenant que de

leur part. Et si vous n'avez pas la bontê » pour votre peuple, d'ordonner qu'on leur » donne les sacremens à l'article de la mort, les ayant refusés depuis votre lit de justice, » dont le châtelet a fait vendre les meubles

» du prêtre qui s'est sauvé; je vous réitère » que votre vie n'est pas en sûrelé, sur l'avis » qui est très-vrai, que je prends la liberté » de vous informer par l'officier, porteur » de la présente, auquel j'ai mis toute ma » confiance. L'archevêque de Paris est la » cause de tout le trouble, par les sacremens » qu'il a fait refuser. Après le crime cruel » que je viens de commettre contre votre » personne sacrée, l'aveu sincère que jé » prends la liberté de vous faire, me fait » espérer la clémence des bontés de votre » majesté.

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Signé DAMIENS. »>

A celle lettre était joint un billet ainsi

conçu :

« MM. Chagrange. Seconde. Baisse dé » Lisse. De la Guyomie. Clément. Lambert. »Le président de Rieux Bonnaiuvilliers. » Président du Massy et presque tous. » Il faut qu'il remette son parlement, et qu'il le soutienne, avec promesse de ne » rien faire aux ci-dessus et compagnie. Signé DAMIENS. »

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Ainsi, le régicide appelait les plus áffreux soupçons sur les membres du parlement, en paraissant attribuer l'attentat qu'il avait com

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