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mens, le nombre et la direction de leurs troupes; un brouillard très-épais les seconde; nul bruit n'a trahi leur présence; il faut que Frédéric devine un ordre de bataille dont toutes les dispositions sont voilées à ses regards. Il occupait la cime d'une montagne nommée le Loros, et de là il s'étendait jusqu'aux bords de l'Elbe. Enfin, on entendit le bruit de la cavalerie autrichienne; celle du roi de Prusse vint l'attaquer. De part et d'autre les manoeuvres étaient habiles, et la cavalerie prussienne avançait peu. Le roi ordonna un choc plus décisif; mais ses cavaliers, emportés par trop d'ardeur, arrivèrent auprès d'un large fossé, d'où le feu de plusieurs redoutes les éloigna. Le soleil, en se montrant un peu, permit au roi de faire manœuvrer son infanterie. Après avoir exécuté avec précision des ordres savans, elle fit usage de la baïonnette. Les Autrichiens cédèrent peu à peu. Leur réserve arrivait tard. Brown ne songea plus qu'à se mettre à l'abri d'une poursuite. Il abandonna le village de Lovositz et le champ de bataille. La perte des deux armées, après un combat obstiné, était, pour les vainqueurs, de douze cents hommes, et de près de trois mille pour les Autrichiens,

Le roi de Prusse, content de leur avoir fait repasser l'Eger, revint sur le camp de Pirna, et consterna les malheureux Saxons par les salves répétées d'artillerie qui célébraient la victoire de Lovositz. Ils étaient aux prises avec la famine dans un lieu inculte et resserré. Les rochers dont ils avaient attendu leur salut faisaient leur désespoir. Comment descendre de ces crêtes escarpées sous les yeux-d'une armée nombreuse et enflammée par la victoire? Le roi de Pologne, réfugié peu de distance de là, au fort de Koenigstein, fit parvenir au général Rutowsky l'ordre de tenter à tout prix une retraite. Il comptait sur une diversion de l'armée autrichienne qui était revenue sur ses pas; mais Brown fut si bien contenu, qu'il n'osa point agir le jour indiqué pour la retraite des Saxons; et ceux-ci, écrasés du haut des rochers qu'ils 15 octobre. avaient quittés, furent réduits à se rendre par capitulation, tandis que leur prince contemplait leur désastre du fort de Koenigstein.

Et fait l'ar

mée saxonne

prisonnière.

à

Frédéric, après avoir employé les plus habiles ressources de l'art militaire, eut recours à celles de la politique. Il voulut faire son allié de l'ennemi qu'il avait vaincu. Mais excédé des petites ruses qu'Auguste portait dans cette négociation, il la rompit, pernit

à ce monarque de se retirer en Pologne, mit à contribution son électorat, et osa incor porer dans son armée les troupes qui avaient capitulé au sortir de Pirna. Ensuite, il attendit, et peut-être trop long-temps, l'effet qu'allaient produire une conquête si hardie, un genre de manifeste si nouveau, deux victoires, enfin un étonnant mélange de violence et de ménagemens, de prudence et d'audace.

Ainsi s'ouvrit, en 1756, la guerre la plus froide, la plus meurtrière et la plus insensée qu'offre l'histoire moderne; exemple mémorable de l'impuissance des ligues et de la force d'un grand homme! On eût dit que la fortune se plaisait à ôter aux intrigues politiques, ainsi qu'aux batailles sanglantes, tout résultat décisif, comme pour appuyer, par une triste expérience, les leçons de paix que la religion avait en vain données depuis long-temps, et que l'esprit philosophique espérait développer. Mais on vit la vanité, le caprice, le dépit, se montrer aussi obstinés que peuvent l'être les passions les plus ardentes.

Considérations préli

minaires sur

Rien ne donne une ame aux masses qui s'ébranlent pour écraser la Prusse. Les Français courent en chantant exécuter des plans sept ans.

la guerre de

de campagne qui ont été tracés dans le cabinet de la maîtresse du roi, et chantent encore après des revers ignominieux. Les Russes s'avancent pesamment vers de longs massacres qui altristent le cœur de leur indolente souveraine. Les Autrichiens, pleins d'adresse et d'activité dans les négociations, sont de glace dans les combats; ils tuent, se font tuer, ballent et sont battus avec un flegme imperturbable. Chaque année on peut compter que cent ou deux cent mille hommes ont péri, et on les a vus si mornes, si passifs qu'il semble seulement que deux cent mille automates ayent disparu. Frédéric lui seul anime ses guerriers, leur donne sa vigilance, son courage indomptable, et fait d'un pays qu'il régit despotiquement une Sparte nouvelle. C'est sur lui que s'attachent tous les regards. Si quelque intérêt peut s'élever au milieu de ces combats monotones, c'est lui seul qui l'absorbe. Aujourd'hui même nous paraissons faire en l'admirant la même faute qui a été reprochée à nos pères; mais loin que cet intérêt porté au héros qui nous vainquit à Rosback et dont les lieutenans nous vainquirent ailleurs, soit un oubli de l'honneur national, il en est une secrète inspiration. En voyant Frédéric lutter contre des obstacles

que depuis un petit nombre d'années nous avons connus et renversés quatre fois, une glorieuse sympathie nous attache à ses hauts faits, et ce parallèle ajoute encore à notre gloire. Nous triomphons du souvenir de nos disgrâces depuis qu'elles sont vengées.

Au lieu de raconter avec des détails minutieux les combats accessoires que la France fournit à une guerre dont le nord de l'Allemagne fut le théâtre, je suivrai cette guerre sur son théâtre principal. Ce sera l'objet du Livre suivant. Je serai rapide en esquissant un tableau dont le développement n'appartient qu'à des militaires. La guerre maritime qui vient s'entremêler à ces événemens est moins un récit de combats, qu'une énumération des pertes que nous avons éprouvées dans les quatre parties du monde. Je ferai cette énumération et je ne perdrai point de vue les partis qui s'agitent dans l'intérieur de la France.

FIN DU DIXIÈME LIVRE.

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