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deux ans en

tinctions et des preuves d'amitié dont il avait élé comblé. Enfin, il fut libre et il rentra en France, mais avee beaucoup de timidité. Ce qu'il avait eu à souffrir d'un roi dont il était aimé, lui faisait tout craindre de Louis XV qui ne l'aimait pas. Pendant deux ans il vécut 11 éjourne en Alsace. Son ami le plus fidèle, le modeste Alsace. et bon d'Argental, l'avertissait des dispositions de la cour, et réveillait pour lui le zèle de quelques protecteurs puissans. Cette vie inquiète ne ralentissait point l'activité de Voltaire. Sa gaieté paraissait redoubler, mais c'était celle d'un homme qui rejette beaucoup d'illusions et diminue les peines en diminuant l'espérance. Un grand ouvrage l'occupait depuis long-temps; il s'y voua durant celte espèce d'exil, mais non sans mélange d'autres travaux. C'était son Essai sur l'Esprit et les Mocurs des nations. Il lui tardait de prouver qu'il pouvait suivre une entreprise d'un genre presque aussi vaste que celle de Montesquieu; malheureusement il attachait trop de prix à

le

surpasser dans la célérité de l'exécution. On le vit s'enfermer quelque temps dans une abbaye de bénédictins, et demander à la crédule bonhommie de dom Calmet des matériaux dont il voulait se faire des armes contre la religion.

Cependant il touchait au moment de réaliser un projet dont il avait fait le but de sa vie entière. Ses richesses s'étaient accrues et lui présentaient la perspective d'une existence indépendante qui serait ennoblie par des bienfaits et par une judicieuse magnificence. Mais quel pays, quelle province.consentirait à recevoir un hôte regardé comme si dangereux? Quelques dégoûts qu'il reçut à Lyon du cardinal de Tencin, l'avertirent que la cour de France gardait contre lui des sujets d'ombrage et de ressentiment. Il Il s'établit se dirigea vers la Suisse. Les bords du lac de Genève lui offraient des retraites déli1755. cieuses où sa vie pouvait couler dans la paix

près de Ge

nève.

et dans la splendeur. Après quelque incertitude, il s'arrêta dans celle qui reçut de lui le nom du château des Délices, et qui était près de Genève. Heureux et fier de respirer un air de liberté, il exhala sa joie dans une épître qui semble unir l'enthousiasme d'un républicain au calme d'un sage. Mais il était occupé de projets trop vastes et trop périlleux pour que ce calme fût profond.

Ce fut alors qu'il parut, pour la première fois, examiner d'un œil attentif la révolution morale qui s'était faite à Paris pendant son absence, et dont il avait été l'infatigable pro

moteur. Chacun des philosophes qui étaient regardés comme ses disciples, avait déjà une gloire personnelle. Les opinions qu'ils exprimaient différaient en plusieurs points des siennes, et même leur étaient quelquefois absolument contraires. Il n'appréciait point assez leurs talens. En lisant les pages où des prosateurs semblaient chercher tous les moyens d'éblouir l'imagination et d'exciter le plus vif enthousiasme, il craignait que bientôt on ne laissât rien à la poésie; mais il fallait se présenter aux philosophes comme un chef ou comme un adversaire; Voltaire prit le premier parti. Ils parurent recevoir ses lois et se réservèrent de les éluder. En se montrant zélés pour sa gloire, ils obtenaient un certain privilége d'attaquer ce qu'il respectait. L'éloignement où il vivait gênait beaucoup son empire sur ses disciples. L'activité de sa correspondance n'y remédiait pas suffisamment. Était-ce avec des lettres qu'on pouvait apprivoiser l'orgueil de J. J. Rousseau, imposer un frein à la hardiesse de Diderot, faire sortir Duclos et Condillac de leur sage réserve, et forcer Buffon à chercher des périls lorsque, déjà sûr de sa renommée, il avait indiqué un but noble et paisible à ses travaux?

III.

Voltaire crut trouver dans d'Alembert un fidèle interprète de ses voeux. Il s'ouvrit entre eux une correspondance très-suivie, dans laquelle ils firent un déplorable assaut de mépris pour la religion chrétienne. Un grand poète et un grand géomètre semblent s'y donner le divertissement de jouer une conspiration. Quelquefois on la croirait sérieuse, et souvent elle est puérile. Une pensée domine dans leurs lettres, c'est celle de réunir contre la révélation toutes les forces de l'esprit philosophique. Au-delà de ce but ils ne peuvent convenir de rien, et même il s'en faut de beaucoup que ce but soit bien déterminé entre eux. La société leur paraît partagée en deux classes, l'une qui jouit et gouverne, et l'autre qui est gouvernée et qui souffre. Ils croient qu'on peut laisser à cette dernière les secours ou les terreurs de la religion, et qu'il importe à l'humanité que l'autre les rejette. Par quel code particulier celle-ci sera-t-elle dirigée et contenue? C'est ce qu'ils n'examinent pas. Voltaire incline pour la religion naturelle; mais dans son déisme peu fervent, il est ralenti et quelquefois intimidé par la sceptique indifférence de d'Alembert. Leur correspondance ressemble à ces conversations où l'on se pique

un peu de chercher la vérité, et beaucoup plus de respecter la politesse; où l'on croit être d'accord parce qu'on ne dit pas le mot qui éveillerait la dispute.

Et comment Voltaire aurait-il pu imposer à des gens de lettres un système uniforme qui eût embrassé les questions les plus difficiles de la morale et de la politique? Quand même son esprit l'eût combiné, son caractère ne se prêtait point à le suivre constamment. Il eût fallu, pour modérer tant de disciples hardis, savoir se modérer soi-même. Voltaire, âgé de soixante ans, souvent malade ou croyant l'etre, troublé par des craintes diverses ou envré de ses succès, prompt à s'irriter et à se calmer, se gardait bien de contenir la mobilité de son imagination; il eût craint de laisser se dissiper les dernières étincelles de son génie poétique. Lorsque son Essai sur l'Histoire générale l'avait un peu rapproché du calme nécessaire à une critique élevée, il travaillait à rendre de l'agitation à son ame pour donner à l'Orphelin de la Chine quelques momens d'une verve brillante. Une belle scène lui coûtait un beau développement historique. Jeune, il s'était un peu défié de l'extrême

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