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celui où l'esprit philosophique se fait le moins sentir, et le seul où on ait quelquefois à le regretter. Nous n'avons qu'une histoire où les traits caractéristiques de notre nation soient présentés, c'est celle du siècle de Louis XIV. Les grandes choses y sont racontées avec la simplicité la plus noble et du ton d'un homme qui les voit se succéder rapidement, qui s'y accoutume. Dans les faits moins importans, la narration est enjouée sans être trop familière. On assiste aux combats, aux fêtes de Louis XIV. L'auteur est tellement entraîné, qu'il semble avoir renoncé à discuter les effets du luxe, à coodamner les fléaux de la guerre. S'il relève ceux de l'intolérance, ce n'est point avec son indignation accoutumée. Partout il diminue autant qu'il peut les ombres d'un tableau si brillant. A peine s'arrête-t-il pour écouter les rumeurs des mécontens, pour examiner des fails graves et tristes. Enfin on croit moins avoir lu une histoire qu'un panégyrique plein d'art et sans emphase. La division par chapitres que Voltaire eut le malheur d'imaginer, est une erreur de goût inexplicable dans un tel écrivain. Il avait écrit l'Histoire de Charles XII sur le modèle des historiens de l'antiquité, et il avait créé

un chef-d'œuvre. En cherchant une méthode nouvelle, il diminua les grands effets de son talent et l'intérêt d'un règne qui se présente à l'imagination avec un ensemble majestueux.

Le Siècle de Louis XIV fut reçu des Français avec enthousiasme. On y voyait une satire indirecte du règne présent. Louis XV, avili par d'infâmes débauches et par les lâchetés de la politique, n'était plus Louis le bien-aimé; tout rendait plus imposans et plus chers les souvenirs de Louis-le-Grand. Le gouvernement, qui n'osait manifester son dépit, reprochait à Voltaire d'avoir quitté sa patrie, comme s'il ne l'y eût pas provoqué indirectement.

Voltaire

On se demandait dans le public, avec une vive curiosité, ce que deviendrait l'a- de Prusse. mitié du roi de Prusse et de Voltaire. Dès qu'on apprenait qu'un nuage s'était élevé entre eux, on était charmé de penser que ce dernier regrettait la France. Bientôt on eut la joie maligne d'apprendre leur éclatante rupture. Vingt raccommodemens avaient mal réparé les blessures d'amour-propre qu'ils s'étaient faites, lorsque le dépit de Mauper tuis suscita un orage que tout le pouvoir du monarque ne pouvait plus calmer. Voltaire

s'était joué de son rival avec un peu de cruauté. Des projets chimériques que celuici avait exprimés du ton le plus grave, prêtaient au ridicule; Voltaire l'accabla ou voulut l'accabler dans un pamphlet où il ne gardait aucune mesure. Frédéric souffrait de voir compromis dans la personne de Maupertuis l'honneur de son Académie naissante; mais, contre les lois de l'amitié, il aimait mieux railler Voltaire que l'avertir avec tendresse. Celui-ci ne pouvait endurer un mot piquant sans user de représailles. Dans cette lutte, il était évident que le roi était plus attaché au favori, que le favori ne l'était au roi. Voltaire, dont la crainte la plus vive était d'être retenu dans une cour où le chagrin et l'ennui pourraient étouffer son talent, voulait s'évader de Postdam et bravait une disgrâce. Il soutint, contre Maupertuis, un savant allemand qui avait attaqué ce géomètre, et que Frédéric avait fait rayer de l'Académie de Berlin. Le roi prit parti pour Maupertuis. Comme il voulait à la fois garder Voltaire et l'humilier, il se jouait, avec un flegme désespérant, de ses craintes, de sa colère, et surtout il éludait chacun de ses prétextes pour sortir de la Prusse. Demandait-il les eaux de Plombières, on

lui indiquait celles de la Silésie. Se plai-
gnait-il d'être consumé par une fièvre lente,
au lieu d'un passe-port on lui envoyait du
quinquina. Frédéric lui retirait et lui rendait
les ordres dont il l'avait décoré, et la clef de
chambellan. Voltaire tantôt le calmait par
des vers enchanteurs, et tantôt l'irritait
de nouvelles plaisanteries.

par

à Francfort.

Ce passe-port tant désiré, Voltaire l'ob- Il est arrêté tint enfin, mais en promettant un prompt 1753. retour. A peine eut-il quitté les frontières de la Prusse, qu'il se crut délivré pour toujours du tyrannique attachement d'un roi dont il dirigeait, sans beaucoup de succès et surtout sans aucun plaisir, le talent poétique. Mais la France lui serait-elle ouverte encore? Il n'osait l'espérer. Les philosophes venaient d'y faire un tel éclat, que le gouvernement pouvait craindre de les laisser se ranger sous un chef qui leur avait donné depuis si longtemps le signal de l'audace, et dont l'esprit était aussi fécond en stratagêmes qu'en productions brillantes. Persuadé que son retour avait besoin d'être négocié, il s'arrêta quelque temps à la cour du duc de Saxe-Gotha. Les chagrins auxquels il venait de se soustraire avaient tellement navré son ame et obscurci son imagination, qu'il put se ré

signer au travail fastidieux d'un abrégé chronologique. Pour plaire à la duchesse de SaxeGotha, il écrivit les Annales de l'Empire, et chercha du moins à montrer combien un esprit clair et pénétrant peut triompher du sujet le plus stérile. Enfin il se rapprocha dę la France. Il était arrivé à Francfort sur le Mein; sa nièce, madame Denis, l'y attendait. Le roi de Prusse, en perdant l'espérance de revoir bientôt Voltaire, éprouva un genre de chagrin qui ne semble tenir qu'aux sentimens les plus passionnés; mais l'ami courroucé se vengea comme un tyran. Par ses ordres Voltaire et sa nièce furent arrêtés dans une ville libre, impériale. Cette violation du droit des gens n'avait d'autre prétexte que la restitution des œuvres poétiques du roi de Prusse, manuscrit dont Voltaire n'eût pu abuser que par une lâcheté bien inutile à sa gloire. Il l'avait laissé à Leipsick. Pendant trois semaines il fut gardé à vue ainsi que sa nièce. Persécuté à chaque instant par la solte brutalité des agens de Frédéric, il riait et pleurait de son malheur. L'espoir de livrer à un long ridicule le métromane couronné qui le poursuivait, amusait sa vengeance; et quelquefois il s'attendrissait encore au souvenir des hautes dis

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