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reurs de la servitude orientale, ne cessa plus d'être présent aux esprits. Louis XIV luimême, s'il eût vécu à celte époque, n'eût osé porter envie au pouvoir des sultans. Louis XV n'imita les despotes de l'Asie que dans leur mollesse. Les ministres même qui voulaient relever ou accroître son autorité, évitaient toutes les institutions qui eussent présenté un joug avilissant. Si le despotisme se maintint dans quelques États européens où il était presque légalement établi, il y prit pour mobile et pour soutien cette modération dont Montesquieu avait fait l'attribut du gouvernement aristocratique.

Les anciens, à l'exception d'Aristote, avaient à peine entrevu les caractères parti culiers des monarchies tempérées; Montesquieu fait partout sentir une prédilection judicieuse pour ce genre de gouvernement. Dans son vaste tableau, le temps se montre comme un bienfaiteur invisible et constant de tous les peuples qui ne méconnaissent pas son empire. Rien n'échappe à Montesquieu des institutions, des mœurs et des usages qui peuvent conserver la liberté dans les temps difficiles. Il combat le découragement qui prépare la servitude et la rend plus honteuse. Il résout le problême le plus difficile de la

science politique, celui qui montre comment les institutions libérales peuvent survivre à l'énergie du caractère, à la pureté des mœurs. En appuyant le gouvernement monarchique sur le principe de l'honneur, il ne lui donna point une base idéale ni fragile. C'était un trait de génie que d'associer ainsi le sentiment de la gloire à celui de la liberté, une passion indestructible chez les Français avec une passion qu'ils semblent ne connaître que par intervalle. Si Montesquieu inventa ce principe, c'était ainsi qu'il fallait inventer.

L'auteur de l'Esprit des Lois présenta sous un nouvel aspect les corps puissans dont l'orgueil semble peser sur le peuple, et les montra comme des gardiens de la liberté publique, placés auprès du trône, moins pour en relever l'éclat que pour opposer une utile et constante barrière au pouvoir absolu. Malheureusement, il laissa beaucoup à désirer sous un point de vue aussi important. Les vestiges du règne féodal le frappèrent d'un respect un peu superstitieux; lui qui savait si bien reconnaître la puissance du temps, il ne vit pas assez que le vieux chéne de la féodalité ne pouvait plus résister aux coups qui lui étaient portés depuis plusieurs siècles.

Pour en considérer les racines, il pénétra trop avant dans les âges obscurs où se fonda la monarchie française, et ce fut la seule fois qu'il interroga l'Histoire sans en faire sortir des vérités lumineuses. En combautant le systême de l'abbé Dubos, il lui parut inférieur dans la sagacité et dans la profondeur des recherches. Les nobles à la cause desquels Montesquieu se montrait favorable, ne reçurent point de lui des leçons assez précises sur la manière de conserver leurs droits à l'aide de quelques sacrifices, de céder au temps ce que le temps emportait, et d'en obtenir une existence nouvelle.

Ce fut surtout en examinant les rapports de la puissance civile avec le sacerdoce, que Montesquieu joignit les plus hautes pensées du philosophe à celles de l'homme d'État. Son esprit, exercé à lire dans l'avenir, envisagea comme prochain et comme infaillible le moment où la tolérance serait établie. De-là, ce ton de modération et de réserve qu'il sut garder en la recommandant. L'auteur de l'Esprit des Lois expiait envers la religion chétienne les torts de l'auteur des Lettres persannes.

Quoique Montesquieu n'eût énoncé rien de direct en faveur des prétentions des par

lemens, ils ne tardèrent pas à se prévaloir des principes de l'Esprit des Lois, dans le long combat qu'ils soutinrent contre le clergé et contre l'autorité souveraine. Il avait si bien décrit les heureux effets du gouvernement représentatif, que les Français cherchèrent à se consoler d'avoir perdu leurs États - généraux, en favorisant la fiction à l'aide de laquelle les parlemens paraissaient succéder aux assemblées nationales. Dès-lors, on put remarquer dans différens actes de ces corps judiciaires, et surtout dans leurs remontrances, une théorie de droit public plus élevée que celle dont jusque-là ils s'élaient fortifiés. La nation vit avec reconnaissance qu'on stipulait ses droits. Les ministres furent obligés de la respecter eux-mêmes dans leur manière d'interpréter les constituLions du royaume. Aussi paraissaient-elles se rapprocher d'une liberté modérée. Malheureusement, l'influence salutaire de l'Esprit des Lois fut bientôt contrebalancée par le Contrat social, ouvrage où J. J. Rousseau se perdit dans les hypothèses dont Montesquieu avait vu le vide et dédaigné la futilité; par les conceptions chagrines et inapplicables de l'abbé de Mabli, qui rêvait comme un citoyen de Sparte ou de Rome sur les

rives de la Seine, et demandait toujours audelà de ce qu'il était possible d'obtenir; enfin, les déclamations dont l'indiscret et fougueux Diderot transmit le goût à plusieurs de ses disciples, et surtout à l'abbé Raynal.

par

Montesquieu avait le premier dévoilé les abus de la jurisprudence criminelle. Cette grande et utile partie de sa tâche fut suivie avec ardeur par les philosophes et par quelques magistrats. Plusieurs usages cruels, nés de la barbarie, et particulièrement la torture, inspirèrent autant d'horreur que les institutions créées par le fanatisme.

La jurisprudence civile, à laquelle le judicieux Domat, sur la fin du dix-septième siècle, avait prêté un utile flambeau en cherchant l'esprit des lois romaines, fut éclairée d'une manière plus vive par l'ouvrage de Montesquieu. Mais le chancelier d'Aguesseau, avare des belles ordonnances par lesquelles il honora notre législation, réprimait le goût des réformes, comme s'il eût pressenti à quel point on devait un jour abuser de la facilité de multiplier les lois. Ses successeurs héritèrent de ses craintes beaucoup plus que de ses lumières.

La gloire qu'oblint Montesquieu surpassa de beaucoup celle que peuvent ambitionner

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