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direction pour être déjà perfectionnés. Il erra long-temps sans pouvoir trouver aucun poste qui l'approchât de la fortune, aucune femme qui répondît à la vive exaltation de ses sentimens, aucun ami qui pût les modérer. Les aventures de sa jeunesse furent mêlées de beaucoup de faules, et même de quelques actions basses, dont il fit dans ses Confessions l'orgueilleux et déplorable aveu. Enfin, 1741. il fut conduit à Paris par le vague pressentiment d'une destinée brillante; mais sa timidité trahit d'abord ses espérances. Il n'osait se diriger vers la gloire littéraire, et ne comptait plus que sur son talent pour la musique. Lorsqu'il était déjà fatigué de ses vaines tentatives pour faire jouer ses opéra, le hasard l'appela à une place qui devait l'éloigner des lettres; ce fut celle de secré- 1743. taire de l'ambassadeur de France à Venise. Des motifs de dégoût qui s'offrirent à son caractère inconstant la lui firent bientôt abandonner.

De retour à Paris, il voulut se donner de la force d'ame pour s'assurer un bien qu'il préférait à tous les autres, l'indépendance. Il fit des essais de philosophie pratique avant d'entrer dans les vastes champs de la philosophie spéculative. La frugalité devint bien

tôt pour lui une habitude facile, et cependant elle ne put bannir de son ame un secret sentiment d'envie contre ceux qui étaient comblés des jouissances qu'il affectait de dédaigner. Une fille sans éducation, sans naissance, d'une beauté médiocre et d'un esprit borné, vint le distraire d'un vague désir d'aimer qui obsédait son imagination. Diderot, avec lequel il eut une occasion de se lier, lui révéla le secret de son talent et lui apprit la puissance du paradoxe pour accélérer la réputation. Soit d'après les conseils de cet ami, soit d'après sa propre impulsion, J. J. Rousseau résolut hardiment, en 1750, de soutenir la négative dans une question proSon discours posée par l'Académie de Dijon : Les sciences ces et les let- et les lettres ont-elles contribué à épurer

sur les scien

tres.

les mœurs ? Une société savante couronna
un discours qui déprimait et même calom-
niait les lettres. Le public que séduisaient
alors toutes les entreprises bizarres et har-
dies, fut enchanté de voir ce combat de l'é-
loquence contre elle-même. Les preuves d'un
talent plein de force et de mouvement, frap-
pèrent les juges les plus exercés. Les philo-
sophes attendaient de grands secours d'un
écrivain qui savait si bien attaquer les opi-
nions reçues.
Ils lui pardonnèrent un para-

doxe qui se conciliait mal avec leur doctrine de perfectibilité indéfinie, et se flattèrent de lui donner une autre direction. Mais l'orgueil de J. J. Rousseau était arrivé au même degré d'énergie que son talent. Il fuyait toute chaîne, toute subordination.

C'était alors un travers commun à plusieurs gens de lettres, de vouloir occuper la renommée de leur personne aussi bien que de leurs écrits. J. J. Rousseau le porta plus loin qu'aucun d'eux, et Diderot vit avec chagrin qu'on essayait de le surpasser en originalité. Celle de Jean-Jacques devait être d'un plus grand effet que la sienne. Tous deux fondaient leur éloquence sur des opinions singulières et sur une sorte de bonne foi en les professant. Diderot parvenait à se Son discours tromper par ses propres discours, et Jean- lité des conJacques par ses rêves. Ils vivaient encore unis parce qu'ils se croyaient nécessaires l'un à l'autre. Le discours sur l'inégalité des conditions fut le dernier et triste fruit de leur liaison. Ce fut Diderot, si l'on en croit Jean-Jacques, qui lui inspira la profonde amertume dont ce discours est rempli. La plupart des philosophes murmurèrent de ce nouvel essai, même en l'admirant. Il leur déplaisait de voir attaquer l'ensemble des

sur l'inéga

ditions.

1754.

institutions sociales; aucun d'eux ne voulait aller si loin. Ils se défiaient d'un auxiliaire qui ne marchait pas dans leurs rangs, et qui surtout opposait aux maximes complaisantes de leur morale une rigidité plus que stoïque.

Le public s'amusa de l'hypothèse qui lui était présentée, sans l'examiner sérieusement, et se réjouit de voir un misanthrope fidèle à son caractère et à ses prétendus principes. Jean-Jacques l'occupait toujours d'une manière inattendue. La musique et les 1752. paroles naïves du Devin du Village venaient de charmer la cour. Un tableau plein de fraî cheur avait transporté des ames que les mœurs du jour, la mode et le mauvais goût des arts semblaient éloigner chaque jour davantage des impressions de la nature. Rousseau avait joui de son succès avec une ivresse intérieure, mais il craignit que son originalité ne vînt à se démentir. Il répondit avec une fierté poussée jusqu'à la rudesse, aux puissans protecteurs qui venaient le chercher. Il s'amusa bientôt après à défier ce même public dont les applaudissemens lui étaient si chers. Il s'éleva contre la musique sique fran- française, et voulut faire préférer la mélodie çaise. italienne à des effets monotones et forcés.

Sa lettre

contre la mu

La vanité nationale s'éveilla sur un point aussi futile. L'esprit de parti était si prompt à s'allumer, à l'époque singulière dont je retrace les mœurs, qu'il s'engagea sur la musique une guerre de parti non moins opiniâtre que celle du clergé contre le parlement, et de ces deux corps contre les encyclopédistes. Ceux-ci avaient soutenu Jean-Jacques dans une querelle fort étrangère à leurs hautes spé culations. Mais les partisans de Lulli et de Rameau poussèrent si loin leur animosité, que Jean-Jacques fut fatigué de leurs cris. Ce fut vers ce temps qu'il prit une résolution à laquelle tenait tout le développement de son génie. Il voulut vivre dans la retraite, afin de mieux oecuper la capitale dont il fuyait le bruit. Une petite maison qui lui fut offerte par l'amitié dans la vallée de Montmorenci, devint son refuge.

Suivons-le dans le moment où il prépare les grands ouvrages qui vont agiter son siècle. Jean-Jacques se regardait à l'Hermitage comme un homme qui vient de recouvrer la liberté. Le joug auquel il se félicitait le plus de s'être soustrait, était celui de l'amitié de Diderot et des philosophes. Préoccupé de la pensée que ceux-ci le regardaient comme un transfuge, il leur supposait une

àlavallée de

Sa retraite

Montmorenci.

1756.

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