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HISTOIRE DE PARIS PENDANT LE MOIS
DE MAI 1791.

:

Fénélon, écrivant pour la direction de la conscience des rois, avait ainsi conjecturé Il viendra une révolution soudaine et violente, qui, au lieu de modérer simplement l'autorité excessive des souverains, l'abattra sans ressource. Au moment de l'histoire où nous sommes, ces paroles touchent à leur réali

sation.

Les novateurs procèdent avec une plénitude d'audace qu'on ne peut expliquer que par une plénitude de foi. Ce n'est pas cependant sans un certain effroi qu'après avoir démoli le passé jusqu'à ses fondemens, il leur faut à cette heure reconnaître et juger les fondemens eux-mêmes. Depuis les premiers débats sur la constitution civile, et surtout depuis que la cour de Rome a nettement rompu avec la révolution, la discussion a pris un caractère très-grave.

Le philosophe attentif à la marche des idées ne peut se défendre d'une impression douloureuse, en voyant naître d'un malentendu, d'une question faussée par ceux qui la posent et par ceux qui l'attaquent, les germes d'épouvantables désastres. Il est sûr que des deux parts, vainqueurs et vaincus ne produisent que des sophismes, et que ces sophismes ne traverseront la chair des peuples qu'au prix de la torturer et de la dissoudre.

Nul doute, lorsque la souveraineté du peuple et le droit divin furent face à face, que l'identité des deux principes n'eût été sur-le-champ constatée, si le combat avait eu lieu du point de vue moral. Car, en Europe, alors comme aujourd'hui, le droit divin, c'était la loi de Dieu; la loi de Dieu, c'était la parole du Christ; et la parole du Christ, c'était la fraternité universelle par le dévoûment. Or, que signifiait autre chose la souveraineté du peuple?

Ils furent bien coupables les hommes qui détournèrent à des querelles sur le droit, le grand principe de tout devoir et de

toute obéissance. Il s'agissait bien vraiment de la juridiction ecclésiastique, c'est-à-dire du gouvernement intérieur de l'église. Il s'agissait des rapports du clergé avec la famille humaine; il s'agissait pour lui de tout sacrifier, tout, moins son devoir. Un immense sacrifice devait être consommé avant qu'il osât réclamer le droit. Nous le répétons, ses biens, ses honneurs, sa vanité, ses loisirs, sa sécurité, à plus forte raison ses débauches, tout cela était une vile matière qu'au premier effort sincère d'abnégation le clergé eût rejeté loin de lui. Son droit, c'était son dévoûment; son droit, droit qui eût bientôt conquis la vénéra'tion et l'amour des nations européennes, c'était qu'il fût un esprit dégagé de tout égoïsme, une volonté droite et ferme vers le but assigné par Dieu, la fraternité.

Ce n'est qu'avec un profond mépris que nous avons examiné ce que l'intelligence papale et celle du clergé hostile à notre révolution, imaginèrent en commun pour l'arrêter. Les bulles de Pie VI sont des anathèmes avocassiers et disputeurs, des consultations de docteur en droit canon, une plaidoirie pour fixer les bornes d'un champ, tandis que la partie adverse lui en conteste la propriété. Lorsque Hildebrand liait Henri IV d'Allemagne du lien de l'anathème, et qu'à sa voix les populations chrétiennes répétaient en choeur l'excommunication, ses bulles étaient des chefs-d'œuvre de sentiment. Aussi ce pape, grand par la science, ét grand par le sacrifice, mourut en exil pour avoir aimé la justice et haï l'iniquité.

Quelle influence pouvait avoir l'excommunication de Talleyrand, celle de Gobet et de beaucoup d'autres? Qu'importait à la France que la juridiction épiscopale, qu'un corps sans âme, eût été blessé? Du point de vue de la morale sociale, ces deux hommes eussent été frappés de manière à ne jamais se relever.

Au lieu de cela, il arriva que les incrédules eurent tout le crédit que leur donnait leur résistance à un pouvoir contre-révolutionnaire. Les voltairiens, encouragés par cette sympathie, ne comprirent pas que c'était seulement à cause de la lutte qu'on les soutenait, et non pas à cause du motif qui les portait à lutter.

Aussi lorsqu'ils aboutirent à leur tour à une religion et à un sacerdoce, lorsqu'ils divinisèrent les appétits de bête qui vivaient en eux, et voulurent sérieusement les adorer, ils se trouvèrent insignes par leur petit nombre autant que par leur folic, autant que par leur crime.

Le résultat le plus fâcheux de l'aberration du pape fut d'entraîner à sa suite une multitude de personnes auxquelles on ne peut reprocher que le tort du directeur. Il y avait beaucoup d'hommes dévoués, beaucoup d'honnêtes gens, parmi ceux qui obéirent au chef de l'église, et qui, à cause même des scandales commis par les révolutionnaires matérialistes, finirent par ne plus voir dans la révolution que l'œuvre du diable en personne. Les curés probes et purs, dont le premier mouvement avait été de prêter serment, se rétractent maintenant en foule. Aussi, sauf quelques prêtres d'élite par leur force de caractère, par leur intégrité et par leur savoir, comme Grégoire, il ne restera bientôt plus dans le clergé constitutionnel que la lie de l'église de France.

Que de belles occasions furent manquées ! Pendant que Pie VI excommuniait d'une main les ennemis de la juridiction, de l'autre il béatifiait une dame française dont l'éminente sainteté consistait dans la plus entière soumission pour l'Eglise et sa hiérarchie; unc femme qui, préconisée dans le dernier siècle comme un sublime modèle, paraissait dès-lors réprouver, par sa conduite et ses discours, les nouveautés profanes qu'on répandait à présent. (Bulle de béatification de sœur Marie de l'Incarnation, fondatrice des Carmélites de France, p. 7.) Le passage suivant nous dispense de toute réflexion. Les temples et leurs ministres, dont on affiche aujourd'hui les biens, dont on dissipe les revenus, excitaient si puissamment sa tendre sollicitude, que soit par ses propres largesses, soit par celles qu'elle recevait de toutes parts, elle soulagea leur pauvreté. Enfin, elle parut faire un si grand cas de l'autorité divine de l'Eglise, obéir avec tant de ponctualité et d'ardeur à ses moindres ordonnances, respecter ses premiers pasteurs comme des anges descendus du ciel, être surtout si vivement frappée de la puissance et de l'élévation du souverain

pontife, qu'elle n'en prononçait jamais le nom sans donner quelque signe extérieur de respect, et qu'elle recevait avec empressement et allégresse, comme venant de Dieu même, tout ce qui en émanait. Ceci ne semble-t-il pas écrit sous la dictée du même sentiment qui inspira à Gobet son mandement sur Mirabeau? Ces deux pièces sont de la même date, et se valent. Si le pape avait le moins du monde compris l'intervention que l'Eglise devait à la France, il eût canonisé Jeanne d'Arc; et s'il l'avait fait, qui eût osé parler de l'apothéose de Voltaire?

Le journal des voltairiens, la Chronique de Paris, qui depuis peu comptait parmi ses rédacteurs ce même Gobet, fut l'un des plus acharnés dans les diatribes que suscitèrent à Pie VI les brefs qu'il fulmina contre la constitution civile. Charles Villette s'amusa à rajeunir les satires de l'Ile Sonnante, les allégories de Papegant et des Cardiningaux; il chercha dans Rabelais des épigrammes toutes faites, et les délaya en de fades et plates bouffonneries.Un des pamphlets qui eut le plus de succès, et qui parut aussi dans la Chronique, fut le Voyage du pape en paradis. Presque tous les journaux le répétèrent. Il n'en fut pas de même du Voyage du pape en enfer, suite et pendant du premier.

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Voici les détails que donnent les Révolutions de Paris sur l'autoda-fé patriotique du 4 mai. Il paraît un second bref du pape, adressé à tous les cardinaux, archevêques, évêques, au clergé et au peuple de France, dans lequel sa sainteté se répand en injures contre la constitution française, déclare nulles et illicites les dernières élections de curés et d'évêques, et leur défend, sous peine d'excommunication, d'administrer les sacremens. Mercredi, 4 de ce mois, surlendemain de l'émission de ce bref, une société patriotique a fait faire un mannequin représentant le pape; on l'a transporté au Palais-Royal; là un membre de la société a lu un réquisitoire dans lequel, après avoir notifié les intentions criminelles de Joseph-Ange Braschi, Pie VI, il a conclu à ce que le mannequin qui le représentait fût brûlé et les cendres jetées au vent, toutefois après lui avoir ôté sa crosse et son anneau. Le même réquisitoire portait qu'à l'égard de Royou,

il serait représenté par une liasse de son libelle périodique, et qu'après avoir été imbibé dans la fange, elle serait également réduite en cendres. Il a été pleinement fait droit sur le réquisitoire; l'effigie du pape, son bref en main, et la représentation de l'abbé Royou, tout a brûlé aux acclamations des spectateurs.> Royou raconte aussi ce fait, et il ajoute : « Je ne puis me persuader que les autorités établies par la constitution, pour le maintien des lois, laissent de pareils excès impunis. Sans doute l'assemblée nationale va elle-même ordonner que les coupables soient poursuivis et livrés au glaive de la justice. Il est impossible qu'elle ne veuille point venger l'injure faite au chef de la religion qui a toujours été dominante dans l'État. En fermant les yeux sur ce crime, l'assemblée ne voudra point donner quelque fondement aux assertions par lesquelles on débite qu'elle veut détruire la religion catholique romaine.» (L'Ami du roi, 7 mai.)

Coalition d'ouvriers. Nous allons analyser sans nous interrompre les procès-verbaux manuscrits de la commune relatifs à cet objet.

- (.

Séance du 4 mai. Le corps municipal, informé que ses représentations aux ouvriers des diverses professions n'ont pas produit l'effet qu'on avait droit d'en attendre, et que des actes de violence commis dans plusieurs ateliers continuaient d'alarmer les citoyens, d'éloigner de Paris les propriétaires riches, et de troubler la paix publique; après avoir entendu le premier substitut, etc., déclare nuls, inconstitutionnels, et non obligatoires, les arrêtés pris par des ouvriers de différentes professions, pour s'interdire respectivement et pour interdire à tous autres ouvriers le droit de travailler à d'autres prix que ceux fixés par lesdits arrêtés; fait défense à tous ouvriers d'en prendre à l'avenir de semblables; déclare de plus que le prix du travail doit être fixé de gré à gré entre eux et ceux qui les emploient, et que les forces et les talens des individus étant nécessairement dissemblables, les ouvriers et ceux qui les emploient ne peuvent être assujétis à aucune taxe ni contrainte; déclare, enfin, que tous ouvriers qui s'attrouperaient pour maltraiter des individus

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