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le public, si par exemple, on avoit dit de la scène de la déclaration de Phèdre à Hypolyte : « Phèdre vient implo»rer la protection d'Hypolite pour ses enfans, mais elle » oublie à sa vue le dessein qui l'amène. Le cœur plein » de son amour elle en laisse échapper quelques mar»ques. Hypolite lui parle de Thésée, Phèdre croit le re» voir dans son fils; elle se sert de ce détour pour expri» mer la passion qui la domine : Hypolite rougit et veut » se retirer; Phèdre le retient, cesse de dissimuler, et lui » avoue en même-temps la tendresse qu'elle a pour lui, » et l'horreur qu'elle a d'elle-même. »

Croiroit-on de bonne foi trouver dans ses lecteurs une imagination assez vive pour suppléer aux détails qui font de cette esquisse un tableau admirable? Croiroit-on les avoir mis à portée de donner à Racine les éloges qu'on lui auroit refusés en ne parlant de ce morceau qu'en simple historien.

Quand un journaliste fait à un auteur l'honneur de par ler de lui, il lui doit les éloges qu'il mérite; il doit au public les critiques dont l'ouvrage est susceptible, il se doit à lui-même un usage honorable, de l'emploi qui lui est confié : cet usage consiste à s'établir médiateur entre les auteurs et le public; à éclairer poliment l'aveugle vanité des uns, et à rectifier les jugemens précipités de l'autre. C'est une tâche pénible et difficile; mais avec des talens, de l'exercice et du zèle, on peut faire beaucoup pour le progrès des lettres, du goût et de la raison. Nous l'avons déjà dit, la partie du sentiment a beaucoup de connoisseurs; la partie de l'art en a peu ; la partie de T'esprit en a trop. Nous entendons ici par esprit, cette es pèce de chicane qui analyse tout, et même ce qui ne doit pas être analysé.

Si chacun de ces juges se renfermoit dans les bornes qui lui sont prescrites, tout seroit dans l'ordre: mais celui qui n'a que de l'esprit, trouve plat tout ce qui n'est que senti : celui qui n'est que sensible, trouve froid tout ce qui n'est que pensé; et celui qui ne connoît que l'art, ne fait grace ni aux pensées ni aux sentimens, dès qu'on a péché contre les règles: voilà pour la plupart des juges. Les auteurs de leur côté ne sont pas plus équitables; ils traitent de bornés ceux qui n'ont pas été frappés de leurs idées, d'insensi

bles ceux qu'ils n'ont pas émus, et de pédans ceux qui leur parlent des règles de l'art. Le journaliste est témoin de cette dissension, c'est à lui d'être le conciliateur. Il faut de l'autorité, dira-t-il, oui, sans doute; mais il lui est fa cile d'en acquérir. Qu'il se donne la peine de faire quelques extraits, ou il examine les caractères et les moeurs en phi losophe, le plan et la contexture de l'intrigue en homme de l'art, les détails et le style en homme de goût à ces eonditions, qu'il doit être en état de remplir, nous luf sommes garans de la confiance générale. Ce que nous ve nons de dire des ouvrages dramatiques, peut et doit s'ap pliquer à tous les genres de littérature.

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On a calculé qu'à lire quatorze heures par jour, il faudroit huit cents ans pour épuiser ce que la bibliothèque du roi contient sur l'histoire seulement. Cette disproportion désespérante de la durée de la vie, avec la quantité des livres dont chacun peut avoir quelque chose d'intéressant, prouve la nécessite des extraits. Ce travail bien dirigé seroit un moyen d'occuper utilement une multitude de plumes que l'oisiveté rend nuisibles, et bien des gens qui n'ont pas le talent de produire avec l'intelligence que la nature donne, et le goût qui peut s'acquérir, réussiroient à faire des extraits précieux. Ce seroit en littérature un attelier public où les désœuvrés trouveroient à vivre en travaillant. Les jeunes gens commenceroient par-là; et de cet attelier il sortiroit des hommes înstruïts et formés en différens genres.

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Il n'y a point de si mauvais livre dont on ne puisse tirer de bonnes choses, disent tous les gens d'esprit et de goût. Hn'y a pas non plus de si bon livre dont on ne puisse faire un extrait malignement tourné qui défigure l'ouvrage et l'avilisse c'est le misérable talent de. ceux qui n'en ont aucum ; c'est l'industrie de la basse malignité, et l'aliment le plus savoureux de l'envie; c'est par cette lecture que les sots se vengent de l'homme d'esprit qui les humilie, et qu'ils goûtent le plaisir secret de le voir humilié à son' tour. C'est-là qu'ils prennent l'opinion qu'ils doivent avoir des productions du génie, le droit de le juger eux-mêmes et des armes pour l'attaquer. Delà vient que dans un certain monde, les plus cheris de tous les écrivains, quoique les plus méprisés, sont des barbouilleurs de feuilles pé

riodiques, qui travaillent les uns honteusement et en secret, et les autres à découvert avec une fière impudence, à dénaturer par leurs extraits les productions du talent.

On reproche à Bayle d'avoir fait d'excellens extraits de mauvais livres, et d'avoir trompé les lecteurs par l'intérêt qu'il savoit prêter aux ouvrages les plus arides. Il faut avouer que la plupart de ses successeurs ont bien fait ce qu'ils ont pu pour éviter ce reproche; rien de plus sec que les extraits qu'ils nous donnent, non-seulement des livres scientifiques, mais des ouvrages littéraires ; ils ont trouvé plus facile de dépouiller que d'enrichir, et le reproché que l'on fait à Bayle est le seul qu'ils ne méritent pas

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F

FABLE.

On ne peut s'empêcher de regarder la vanité comme la première source des fables payennes. Les hommes ont cru que pour rendre la vérité plus recommandable, il fal→ loit l'habiller du brillant cortège du merveilleux : ainsi, ceux qui ont raconté les premiers les actions de leurs héros, y ont mêlé mille fictions.

On peut regarder comme une autre source des fables du paganisme; les poëtes, le théâtre, les sculpteurs et les peintres. Comme les poëtes ont toujours cherché à plaire, ils ont préféré une ingénieuse fausseté à une vérité commune; le succes justifiant leur témérité, ils n'employèrent plus que la fiction; les bergères devinrent des nym phes ou des nayades, les bergers, des satyres ou des faunes; ceux qui aimoient la musique, des Apollons; les belles voix, des muses; les belles femmes, des Vénus; les oranges, des pommes d'or; les flèches et les dards, des foudres et des carreaux; on prit les vents pour des divinités fougueuses, qui causent tant de ravages sur terre et sur mer. Falloit-il parler de l'arc-en-ciel, dont on ignoroit la nature, on en fit une divinité. Chez les payens,

Ce n'est pas la vapeur qui produit le tonnerre.
C'est Jupiter armé pour effrayer la terre;
Un orage terrible aux yeux des matelots,

C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots;
Echo n'est pas un son qui dans l'air retentisse,

C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.

Ils allèrent plus loin: ils s'attachèrent à contredire la vé rité, de peur de se rencontrer avec les historiens. Homère a fait d'une femme infidèle, une vertueuse Pénélope; et Virgile a fait d'un traître à sa patrie, un héros plein de piété. Ils ont tous conspiré à faire passer Tantale pour un avare, et l'ont mis de leur chef en Enfer, lui qui à été un

prince

prince très-sage, et très-honnête homme. Rien ne se fait chez eux que par machine: lisez leurs poésies.

Lå pour nous enchanter tout est mis en usage.

Tout prend un corps, une ame, un esprit, un visage,
Chaque vertu devient une divinité,

Minerve est la prudence, et Vénus la beauté.....

Les relations des voyageurs ont encore introduit un grand nombre de fables. Čes sortes de gens, souvent ignorans, et presque toujours menteurs, ont pu aisément tromper les autres, après avoir été trompés eux-mêmes. C'est арраremment tsur leurs relations que les poëtes établirent les Champs-Élysées dans le charmant pays de la Bétique; c'est de-là que nous sont venues ces fables qui placent des monstres dans certains pays, les harpies dans d'autres; ici des peuples qui n'ont qu'un œil; là des hommes qui ont la taille des géans.

Une autre source des fables doit sa naissance aux cérémonies de la religion. Les prêtres changèrent un culte stérile en un autre qui fut lucratif, par mille fabuleuses histoires qu'ils inventèrent; on n'a jamais été trop scrupuleux sur cet article. On découvroit tous les jours quelque nouvelle divinité, à laquelle il falloit élever de nouveaux autels; delà ce systême monstrueux que nous offre la théologie payenne. Ajoutés ici la manie des grands d'avoir des dieux pour ancêtres; il falloit trouver à chacun, suivant sa condition, un dieu pour première tige de sa race, et vraisemblablement on ne manquoit pas alors de généalogistes, aussi complaisans qu'ils le sont aujourd'hui.

Nous ne donnerons point pour une source des fables, l'abus que les poëtes ont pu faire de l'ancien testament, comme tant de gens pleins de savoir se le sont persuadés; les juifs étoient une nation trop méprisée de ses voisins, et trop peu connue des peuples éloignés, d'ailleurs trop jalouse de sa loi et de ses cérémonies, qu'elle cachoit aux étrangers, pour qu'il y ait quelque rapport entre les personnages de la bible, et les héros de la fable.

Il est encore vraisemblable que plusieurs fables tirent leur source du prétendu commerce des dieux, imaginé à dessein de sauver l'honneur des dames qui avoient eu des foiblessés pour leur amans on appelloit au secours de Tome IV.

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