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ÉLÉGANCE. *

Ce mot vient, selon quelques-uns, d'ELECTUS, choisi on ne voit pas qu'aucun autre mot latin puisse être son étymologie: en effet, il y a du choix dans tout ce qui est élégant. L'élégance est un résultat de la justesse et de l'agrément. On emploie ce mot dans la sculpture et dans la peinture. On opposoit elegans signum à signum rigens ; une figure proportionnée, dont les contours arrondis étoient exprimés avec mollesse, à une figure trop roide et mal terminée; mais la sévérité des premiers Romains donna à ce mot, elegantia, un sens odieux. Ils regardoient l'étégance en tout genre comme une affeterie comme une politesse recherchée, indigne de la gravité des premiers temps: Vitii, non laudis fuit, dit Aulu-Gelle. Ils appelloient un homme élégant à peu près ce que nous appellons aujourd'hui un petit-mattre, bellus homuncio, et ce que les Anglais appellent un beau. Mais vers le temps. de Cicéron, quand les moeurs eurent reçu le dernier dégré de politesse elegants étoit toujours une louange. Ĉicéron se sert, en cent endroits, de ce mot ponr exprimer un homme, un discours poli: on disoit même alors un repas élégant; ce qui ne se diroit guères parmi nous. Ce terme est consacré en français, comme chez les anciens Romains, à la sculpture, à la peinture, à l'éloquence, et principalement à la poésie. Il ne signifie pas, en peinture, et en sculpture, précisément la même chose que grace. Le terme de grace se dit particulièrement du visage; et on ne dit pas un visage élégant comme des contours élégants; la raison en est que la grace a toujours quelque chose d'animé ; et c'est dans le visage que paroît l'ame; ainsi, on ne dit pas une démarche élégante, parce que la démarche est animée.

L'élégance d'un discours n'est pas l'éloquence, c'en est une partie ; ce n'est pas la seule harmonie, le seul nombre; c'est la clarté, le nombre et le choix des paroles. II y a des langues en Europe dans lesquelles rien n'est si rare qu'un discours élégant. Des terminaisons rudes, des consonnes fréquentes, des verbes auxiliaires nécessairement

redoublés dans une même phrase, offensent l'oreille, même des naturels du pays.

Un discours peut être élégant, sans être un bon discours; l'élégance n'étant en effet que le mérite des paroles : mais un discours ne peut être absolument bon, sans être élégant.

L'élégance est encore plus nécessaire à la poésie que l'éloquence, parce qu'elle est une partie principale de cette harmonie si nécessaire aux vers. Un orateur peut convaincre, émouvoir même sans élégance, sans pureté, sans nombre. Un poëme ne peut faire d'effet, s'il n'est élégant: c'est un des principaux mérites de Virgile: Horace est bien moins élégant dans ses satyres que dans ses épitres; aussi y est-il moins poète, sermoni proprior.

Le grand point, dans la poésie et dans l'art oratoire, est que l'élégance ne fasse jamais tort à la force; et le poète en cela, comme dans tout le reste, a de plus grandes difficultés à surmonter que l'orateur; car, l'harmonie étant la base de son art, il ne doit pas se permettre un concours de syllabes rudes. Il faut même quelquefois sacrifier un peu de la pensée à l'élégance de l'expression: c'est une gêne que l'orateur n'éprouve jamais.

Il est à remarquer que si l'élégance a toujours l'air facile, tout ce qui a cet air facile et naturel n'est cependant pas élégant. Il n'y a rien de si facile, de si naturel que, la cigale ayant chanté tout l'été ; et mattre corbeau sur un arbre perché. Pourquoi ces morceaux manquentils d'élégance? C'est que cette naïveté est dépourvue de mots choisis et d'harmonie. Amans heureux, voulezvous voyager? Que ce soit aux rives prochaines, et cent autres traits ont, avec d'autres mérites, celui de l'élégance.

On dit rarement d'une comédie qu'elle est écrite élégamment. La naïveté et la rapidité d'un dialogue familier excluent ce mérite, propre à toute autre poésie. L'élégance sembleroit faire tort au comique; on ne rit point d'une chose élégamment dite; cependant la plupart des vers de l'Amphytrion de Molière, excepté ceux de pure plaisanterie, sont élégans. Le mélange des Dieux avec des hommes dans cette pièce unique en son genre, et les vers ir

réguliers qui forment un grand nombre de madrigaux, en sont peut-être la cause.

Un madrigal doit bien plutôt être élégant qu'une épigramme, parce que le madrigal tient quelque chose des stances, et que l'épigramme tient du comique; l'un est fait pour exprimer un sentiment délicat, et l'autre un ridicule.

Dans le sublime, il ne faut pas que l'élégance se remarque; elle l'affoibliroit. Si on avoit loué l'élégance du Jupiter Olympien de Phidias, c'eût été en faire une satyre. L'élégance de la Venus de Praxitele pouvoit être remarquée.

(M. DE VOLTAIRE.)

L'élégance du style suppose l'exactitude, la justesse, et la pureté, c'est-à-dire, la fidélité la plus sévère aux règles de la langue, au sens de la pensée, aux loix de l'usage et du goût; accord d'où résulte la correction du style; mais tout cela contribue à l'élégance et n'y suffit pas. Elle exige encore une liberté noble un air facile et naturel, qui, sans nuire à la correction, en déguise l'étude et la gêne. Le style de Despréaux est correct; celui de Racine et de Quinault est élégant. « L'élégance consiste, dit » l'auteur des synonimes français, dans un tour de pensée » noble et poli, rendu par des expressions châtiées, cou

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lantes et gracieuses à l'oreille. » Disons mieux, c'est la réunion de toutes les graces du style; et c'est par là qu'un ouvrage relu sans cesse est sans cesse nouveau.

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La langueur et la mollesse du style sont les écueils voisins de l'élégance; et parmi ceux qui la recherchent, il en est peu qui les évitent pour donner de l'aisance à l'expression, ils la rendent lâche et diffuse; leur style est poli, mais efféminé. La première cause de cette foiblesse est dans la manière de concevoir et de sentir. Tout ce qu'on peut exiger de l'élégance, c'est de ne pas énerver le sentiment ou la pensée; mais on ne doit pas s'attendre qu'elle donne de la chaleur ou de la force à ce qui n'en a pas.

Le point essentiel et difficile, est de concilier l'élégance avec le naturel. L'élégance suppose le choix de l'expression: or, le moyen de choisir, quand l'expression naturelle est

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unique? Le moyen d'accorder cette vérité, ce naturel, avec toutes les convenances des mœurs de l'usage et du goût; avec ces idées factices de bienséance et de noblesse, qui varient d'un siècle à l'autre, et qui font loi dans tous les temps? Comment faire parler naturellement un villageois, un homme du peuple, sans blesser la délicatesse d'un homme poli, cultivé?

C'est là, sans doute, une des plus grandes difficultés de l'art, et peu d'écrivains ont su la vaincre. Toutefois il y en a deux moyens le choix des idées et des choses, et le talent de placer les mots. Le style n'est le plus souvent bas et commun que par les idées. Dire comme tout le monde ce que tout le monde a pensé, ce n'est pas la peine d'écrire ; vouloir dire des choses communes d'une façon nouvelle et qui n'appartienne qu'à nous, c'est courir le risque d'être précieux, affecté, peu naturel; dire des choses que nous avons tous confusément dans l'ame, mais que personne n'a pris soin encore de démèler, d'exprimer, de placer à propos; les dire dans les termes les plus simples et en apparence les moins recherchés; c'est le moyen d'être à la fois naturel et ingénieux.

Le sage est ménager du temps et des paroles.

Qui ne l'eut dit comme Lafontaine? Qui n'eut comme lui:

Qu'un ami véritable est une douce chose;
Qu'il cherche nos besoins au fond de notre cœur !

pas dit

Ou plutôt, qui l'eut dit avec cette vérité si touchante ? Le moyen le plus sûr d'avoir un style à soi, ce seroit de s'exprimer comme la nature, et le poète que je viens de citer en est la preuve et l'exemple; mais si le vrai seul est aimable, il faut avouer qu'il ne l'est pas toujours. Il est donc important de choisir dans la nature des détails dignes de plaire, et dont l'expression naïve et simple n'ait rien de grossier ni de bas par exemple, tout ce qu'on peint des mœurs des villageois doit être vrai, sans être dégoûtant; et il y a moyen de donner ces détails de la grace

et de la noblesse.

Il en est du moral comme du physique; et si la nature

est choisie avec goût, les mots qui doivent l'exprimer seront décens et gracieux comme elle. L'art de placer, d'assortir les mots, de les relever l'un par l'autre, de mé nager à celui qui manque de clarté, de couleur, de noblesse, le reflet d'un terme plus noble, plus lumineux, plus coloré; cet art, dis-je, ne peut se prescrire ; c'est l'étude et l'exercice qui le donnent, secondés du talent, sans lequel l'exemple est infructueux et le travail même inutile.

On demande pourquoi il est des auteurs dont le style a moins vieilli que celui de leurs contemporains; en voici la cause ; il est rare que l'usage retranche d'une langue les termes qui réunissent l'harmonie, le coloris et la clarté : quoique bisarre dans ses décisions, l'usage ne laisse pas de prendre assez souvent conseil de l'esprit, et sur-tout de l'oreille on peut donc compter assez sur le pouvoir du sentiment et de la raison, pour garantir qu'à mérite égal, celui des poëtes qui dans le choix des termes aura le plus d'égard à la clarté, au coloris, à l'harmonie, sera celui qui vieillira le moins.

Un sort opposé attend ces écrivains qui s'empressent à saisir les mots, dès qu'ils viennent d'éclore, et avant même qu'ils soient reçus. Ces mots que la Bruyère appelle aventuriers, qui font d'abord quelque fortune dans le monde, et qui s'éclipsent au bout de six mois, sont dans le style, comme dans les tableaux ces couleurs brillantes et fragiles, qui, après nous avoir séduits quelque temps, noircissent et font une tache. Le secret de Pascal est d'avoir bien chosi ses couleurs.

Le dictionnaire d'un écrivain, ce sont les poëtes, les historiens, les orateurs qui ont excellé dans l'art d'écrire. C'est-là qu'il doit étudier les finesses, les richesses de sa langue; non pas à mesure qu'il en a besoin, mais avant de prendre la plume; non pas pour se faire un style des débris de leurs phrases et de leurs vers mutilés. Mais pour saisir avec précision le sens des termes et leurs rapports, leur opposition, leur analogie, leur caractère et leurs nuances, l'étendue et les limites des idées qu'on y attache, l'art de les placer, de les combiner, de les faire valoir l'un par l'autre; en un mot d'en former un tissu où la nature vienne se peindre comme sur la toile, sans que l'art paroisse y avoir mis la main. Pour cela ce n'est pas assez

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