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pris d'une certaine façon. Il ne doit pas être ombra » geux, jaloux, furieux, désespéré, mais tendre, simple, » délicat, fidèle, et pour le conserver dans cet état, ac»compagné d'espérance: alors on a le cœur rempli, et non pas troublé, etc. »

« Nous n'avons que faire, dit la Motte, de changer nos » idées pour nous mettre à la place des bergers amans..... » et à la scène et aux habits près, c'est notre portrait » même que nous voyons. Le poëte pastoral n'a donc pas » de plus sûr moyen de plaire, que de peindre l'amour, »ses desirs, ses emportemens, et même son désespoir. Car » je ne crois pas cet excès opposé à l'églogue: et quoique » ce soit le sentiment de M. de Fontenelle, que je regar» derai toujours comme mon maître, je fais gloire encore » d'être son disciple dans la grande leçon d'examiner, et

de ne souscrire qu'à ce qu'on voit. » Nous citons ce dernier trait pour donner aux gens de lettres un exemple de noblesse et d'honnêteté dans la dispute. Examinons à notre tour lequel de ces deux sentimens doit prévaloir.

Que les emportemens de l'amour soient dans le caractère des bergers pris dans l'état d'innocence, c'est ce qu'il seroit trop long d'approfondir; il faudroit pour cela distinguer les purs mouvemens de la nature, des écarts de l'opinion, et des rafinemens de la vanité; mais en supposant que l'amour dans son principe naturel soit une passion fougueuse et cruelle, n'est-ce pas perdre de vue l'objet de Léglogue, que de présenter les bergers dans ces violentes situations ? La maladie et la pauvreté affligent les 'bergers comme le reste des hommes; cependant on écarte ces tristes images de la peinture de leur vie. Pourquoi ? parce qu'on se propose de peindre un état heureux. La même raison doit exclure les excès des passions. Si l'on veut peindre des hommes furieux et coupables, pourquoi les chercher dans les hameaux? Pourquoi donner le nom d'églogues à des scènes de tragédie? Chaque genre a son degré d'intérêt et de pathétique : celui de l'églogue ne doit être qu'une douce émotion. Est-ce à dire pour cela qu'on ne doive introduire sur la scène que des bergers heureux et contens? Non : l'amour des bergers a ses inquiétudes; leur ambition a ses revers. Une bergère absente ou infidèle, un vent du midi qui a flétri les fleurs, un

loup qui a enlevé une brebis chérie, sont des objets de tristesse et de douleur pour un berger. Mais dans ses malheurs même on admire la douceur de son état. Qu'il est heureux, dira un courtisan, de ne souhaiter qu'un beau jour! qu'il est heureux, dira un plaideur, de n'avoir que des loups à craindre ! Qu'il est heureux dira un souverain, de n'avoir que des moutons à garder!

Virgile a un exemple admirable du degré de chaleur auquel peut se porter l'amour, sans altérer la douce simplicité de la poésie pastorale. C'est dommage que cet exemple ne soit pas honnête à citer.

L'amour a toujours été la passion dominante de l'églogue, par la raison qu'elle est la plus naturelle aux hommes et la plus familière aux bergers. Les anciens n'ont peint de l'amour que le physique: sans doute en étudiant la nature, ils n'y ont trouvé rien de plus. Les modernes y ont ajouté tous ces petits rafinemens, que la fantaisie des hommes a inventés pour leur supplice; et il est au moins douteux que la poésie ait gagné à ce mêlange. Quoiqu'il en soit la froide galanterie n'auroit dû jamais y prendre la place d'un sentiment ingénu. Passons au choix des images.

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Tous les objets que la nature peut offrir aux yeux des bergers, sont du genre de l'églogue. Mais la Motte a raison de dire que, quoique rien ne plaise que ce qui est naturel, il ne s'ensuit pas que tout ce qui est naturel doive plaire. Sur le principe déja posé que l'églogue est le tableau d'une condition digne d'envie, tous les traits qu'elle présente doivent concourir à former ce tableau. De là vient que les images grossières, ou purement rustiques, doivent en être bannies; de là vient que les bergers ne doivent pas dire, comme dans Théocrite: « Je hais les renards qui mangent » les figues; je hais les escarbots qui mangent les rai>>sins. etc. » De là vient que les pêcheurs de Sannazar sont d'une invention malheureuse; la vie des pêcheurs n'offre l'idée du travail, de l'impatience et de l'ennui. Il n'en est pas de même de la condition des laboureurs : leur vie, quoique pénible, présente l'image de la gaieté, de l'abondance et du plaisir; le bonheur n'est incompatible qu'avec un travail ingrat et forcé; la culture des champs, l'espérance des moissons, la recolte des grains, les repas, la retraite, les danses des moissonneurs, présentent des ta

que

bleaux aussi rians que les troupeaux et les prairies. Qu'on introduise avec art sur la scène des bergers et des laboureurs, on verra quel agrément et quelle variété peuvent naître de ce mêlange.

Il est une vérité générale, qui suffit au dessin et à l'intérêt de l'églogue. Cette vérité, c'est l'avantage d'une vie douce, tranquille et innocente, telle qu'on peut la goûter en se rapprochant de la nature, sur une vie mêlée de troubles, d'amertumes et d'ennuis, telle que l'homme l'éprouve depuis qu'il s'est forgé de vains desirs, des intérêts chimériques et des besoins factices. C'est ainsi, sans doute, que M. de Fontenelle a envisagé l'églogue, lorsqu'il en a banni les passions funestes.

L'églogue, en changeant d'objet, peut changer aussi de genre; on ne l'a considérée jusqu'ici que comme le ta bleau d'une condition digne d'envie, ne pourroit-elle pas être aussi la peinture d'un état digne de pitié ? En seroitelle moins utile ou moins intéressante ? Elle peindroit, d'après nature, des mœurs grossiers et de tristes objets ; mais ces images vivement exprimées, n'auroient-elles pas leur beauté, leur pathétique, et sur-tout leur bonté morale? Ceux qui penchent pour ce genre naturel et vrai, se fondent sur ce principe, que tout ce qui est beau en peinture, doit l'être en poésie; et que les paysans de Teniers ne le cèdent en rien aux bergers de Pater, et aux galans de Vateau. Ils en concluent que Colin et Colette, Mathu rin et Claudine sont des personnages aussi dignes de l'é glogue dans la rusticité de leurs mœurs et la misére de leur état, que Daphnis et Timarette, Aminte et Licidas dans leur noble simplicité et dans leur aisance tranquille, Lepre mier genre sera triste, mais la tristesse et l'agrément ne sont point incompatibles. On n'auroit ce reproche à essuyer que des esprits froids et superficiels, espèce de critiques qu'on ne doit jamais compter pour rien. Ce genre, dit-on, manqueroit de délicatesse et d'élégance; pourquoi ? Les paysans de Lafontaine ne parlent-ils pas le langage de la nature, et ce langage n'a-t-il point une élégante simplicité? D'ailleurs ce langage inculte auroit du moins pour lui l'énergie de la vérité. Il y a peu de tableaux champêtres plus forts, plus intéressans pour l'imagination et pour

l'ame, que ceux que Lafontaine nous a peints dans la fable

du paysan du Danube. En un mot, il n'y a qu'une sorte d'objets qui doivent être bannis de la poésie, comme de la peinture; ce sont les objets dégoûtans, et la rusticité peut ne pas l'être. Qu'une bonne paysanne reprochant à ses enfans leur lenteur à puiser de l'eau et à allumer du feu pour préparer le repas de leur père, leur dise: «< Sa» vez-vous, mes enfans, que, dans ce moment même, » votre père, courbé sous le poids du jour, force une » terre ingrate à produire de quoi vous nourrir? Vous le » verrez revenir ce soir accablé de fatigue et dégoûtant » de sueur. etc. » Cette églogue sera aussi touchante que naturelle.

Le poëte bucolique copie les actions et nous rend les discours des bergers; son style doit imiter le langage de ses acteurs Trop peu philosophes pour débiter des réflexions profondes, ils jouissent de trop de liberté pour laisser paroître un air de contrainte. Il faut que la peinture de la campagne, aussi intéressante que ses habitans, joigne à la naïveté de leurs moeurs l'agrément de leur séjour. Le vers pastoral toujours naturel, doit avoir, pour ainsi dire, la fraicheur, le duvet et le velouté des fleurs. Des bergers pensent moins qu'ils ne sentent, peignent plus qu'ils ne raisonnent à la finesse, qui est l'ouvrage de l'esprit, ils substituent la délicatesse qui est l'expression du sentiment. Le loisir dont jouissent les pasteurs, ne s'accommode pas de la précision, et les auteurs bucoliques aiment les détails, Combien la campagne en offre de gracieux! Quelle douce émotion, lorsqu'on nous offre la peinture de nos champs, séjour de la santé, asyle du repos, demeure de l'innocence! En lisant les descriptions champêtres, nous nous croyons' débarrassés du tumulte des villes, du souci des affaires, des fatigues de l'intrigue, de la honte de l'esclavage, dé la servitude des égards: le parfum des fleurs frappe notre odorat, la variété de leurs couleurs charme nos yeux; le murmure des ruisseaux, les sons flûtés du rossignol séduisent nos oreilles. Couchés sur un tendre gazon, rafraichis par l'aile embaumée du Zéphir, défendus des rayons du soleil par le dais mollement agité d'une verdure mobile, nous éprouvons qu'un sang plus pur coule dans nos veines, et l'image d'un lieu où tout respire la gaieté, nous la communique. Cette illusion est peut-être plus agréable que la réa

de

lité; et comme l'imagination est plus près du cœur que les sens, nous sommes plus émus par la peinture que par la vue des objets champêtres. Il faut donc que le poète bucolique les mette souvent sous nos yeux. Les raisonnemens les plus justes, les observations les plus neuves les réflexions les plus solides ne produiront jamais l'heureuse illusion qu'enfanteront ces images.

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(M. DE JAUCOURT.)

Il semble qu'on ne doive rien ajouter à ce. que M. le chevalier de Jaucourt et M. Marmontel ont dit de l'églogue dans les articles précédens; il faut, après les avoir lus, lire Théocrite et Virgile et ne point faire d'églogues. Elle n'ont été jusqu'à présent parmi nous que des madrigaux amoureux qui auroient beaucoup mieux convenu aux filles d'honneur de la reine-mère qu'à des bergers.

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L'ingénieux Fontenelle, aussi galant que philosophe, qui n'aimoit pas les anciens, donne le plus de ridicules qu'il peut au tendre Théocrite, le maître de Virgile; il lui reproche une églogue qui est entiéremeut dans le goût rusti que; mais il ne tenoit qu'à lui de donner de justes éloges à d'autres églogues qui respirent la passion la plus naïve, exprimée avec toute l'élégance et la molle douceur conve nable aux sujets.

Il y en a de comparables à la belle ode de Sapho, traduite dans toutes les langues; que ne nous donnoit-il une idée de la Pharmaceutrée imitée par Virgile, et non égalée peut-être? On ne pourroit pas en juger par ce morceau que je vais rapporter; mais c'est une esquisse qui fera connoître la beauté du tableau à ceux dont le goût démêle la force de l'original dans la foiblesse même de la copie.

Reine des nuits, dis quel fut mon amour;
Comme en mon sein les frissons et la flamine
Se succédoient, me perdoient tour à tour.
Quels doux transports égarèrent mon ame!
Cominent mes yeux cherchoient en vain le jour;
Comme j'aimois! et sans songer à plaire !
Je ne pouvois ni parler, ni me taire.....
Reine des nuits, dis quel fut mon amour.
Mon amant vint, ô momens délectables!

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