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tôme! >> Pour nous qui avons vu le chevalier d'Assas tombant sous la foudre qu'il pouvoit détourner, le pontife Belzunce et le jeune chevalier Rose au milieu des pestiférés de Marseille, nous chercherons à la vertu des compagnes et des guides plus nobles que la fortune et la volupté.

Quittons les systêmes ambitieux de Zénon et d'Epicure; en vain l'esprit de Montaigne s'y arrêtoit souvent avec complaisance, ils n'ont point fixé son cœur. Doué d'un jugement ferme et sûr, il semble se jouer à travers le dédale des antiques opinions; il feint d'y chercher le principe de la vérité; quelquefois se livrant avec confiance aux fausses lueurs du scepticisme, il s'avance, il court s'enfoncer dans un abyme; mais toujours il reparoît le flambeau de la raison à la main, qui l'éclaire et sur l'effrayante vanité de l'homme et sur tout ce qui forme la conscience du genre humain.

Cherchez en effet une vertu sur laquelle Montaigne n'ait pas eu le sentiment de tous les cœurs vertueux, une action éclatante sur laquelle la probité de son esprit se soit trompée Montaigne stoïcien admire Caton expirant avec la république mais le stoïcien disparoît lorsqu'il nous représente Timoléon à Corinthe, Posthumius à Rome, et la mère de Pausanias à Lacédemone. Il trouve toujours des expressions plus nobles, plus animées, plus pénétrantes lorsqu'il parle d'amitié et de générosité vous sentez avec lui que la confiance, la magnanimité dans les périls, dans les offenses, dans toutes les circonstances pénibles ou dou

teuses, offrent toujours plus de sureté et d'honneur que l'irrésolution, la vengeance et les petites passions qu'entraîne la dissimulation. S'il nous offre à ce sujet les réflexions les plus solides, il cite toujours les plus dignes exemples, et son ame se peint toute entière, lorsqu'il nous montre Alexandre qui se dévoue à la mort, parce qu'il ne sait pas soupçonner un ami; le grand duc de Guise qui pardonne à son meurtrier; Auguste demandant à Cinna son amitié; Jules César enfin qui, ayant tout fait pour désarmer ses ennemis, s'abandonne généreusement aux dieux et à la fortune. Ses pensées sont des maximes de constance et de courage, de bonne foi et de franchise même envers l'ennemi le plus perfide, de modération jusque dans la vertu, de désintéressement et de simplicité, de patience et de résignation dans la douleur, de dignité dans toutes les actions, de fidélité, d'amour ou de respect pour le prince et pour la patrie !

Mais il cherchoit vainement autour de lui les vertus qu'il trouvoit dans sa raison et dans son cœur. Le siècle où nous vivons, disoit-il avec amertume, est si plombé, que l'imagination même de la vertu en est à dire : Cependant ce siècle même tenoit encore à une des plus mémorables époques du monde.

L'imprimerie, la chute de l'empire d'orient, la découverte d'un nouvel hémisphère, la réforme de Luther avoient donné une grande impulsion à l'esprit humain ; et si cette réforme n'eût pas brisé les

liens de la confédération européenne, l'Europe, par la puissance de sa civilisation et par la magnificence de son génie, eût présenté le plus imposant spectacle aux regards de la postérité. Mais le beau siècle de Léon X fut pour ainsi dire arrêté dans son cours; les fureurs du fanatisme s'étendirent sur tout l'occident, et la France en fut particulièrement la victime. C'étoit alors que vivoit Montaigne. A sa naissance, il avoit vu l'aurore la plus brillante; sa triste vieillesse n'apercevoit plus qu'une nuit sombre et terrible. L'ambition, l'avarice, la vengeance, la cruauté devenoient tour à tour légitimes. L'homme parricide, l'homme sacrilège, s'écrioit-il avec douleur, est donc parmi nous un homme de bien et d'honneur! Eh!faut-il s'étonner que Montaigne ait conçu presque du mépris pour l'espèce humaine, et que dans sa retraite il ait poursuivi nos misères et nos folies dans toute leur profondeur ! Tels ont vécu Tacite et Juvénal, qui, n'ayant sous les yeux qu'une nature vile et corrompue, ont voulu la peindre dans son effrayante nudité *. C'est donc ainsi qu'il faut juger ces longues pages employées au récit de tant d'actions forcenées, de suicides, de dévouemens à la fatalité, de meurtres et d'assassinats faits avec plus ou moins de courage. voit dans tous ceux qui l'environnent la conscience étouffée par la force des passions et du crime; il trouve les mêmes passions dans l'histoire, et sa

Ch. 29, de la Vertu.

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raison n'aperçoit plus dans la conscience que le vain ouvrage des institutions humaines. Il tâche à s'affermir dans cette pensée, qui n'est qu'un sophisme déplorable, et pour obscurcir ses propres lumières, il cherche en des relations souvent suspectes, il note, il rassemble toutes les coutumes bizarres, extravagantes et criminelles; copié depuis en cela par un écrivain trop célèbre, qui en a conclu comme lui que le juste et l'injuste n'existoient que par le caprice de l'usage ou des lois. Mais la conscience pourroit-elle ainsi se tromper elle-même ? Si l'homme abuse de sa liberté; si sa conscience, qui n'est que la raison appliquée aux choses morales, se trouve enfin enchaînée par des habitudes déréglées, sera-t-il absous en montrant les chaînes qui l'accablent? Pourquoi donc ces longues énumérations de peuples qui vivent esclaves des coutumes les plus grossières, qui se livrent à la dissolution, à la cruauté, à l'idolâtrie, au parricide? L'homme de bien y opposera toujours le sentiment intime de la liberté, attribut nécessaire de l'intelligence. Montesquieu lui montrera partout les peuples d'autant plus près de la barbarie, qu'ils sont éloignés du christianisme. Enfin Montaigne lui-même avouera devant lui que les simples lumières naturelles ne suffisent plus au genre humain,

Oui, ce fut ainsi que Montaigne, après avoir parcouru le cercle vicieux de l'ancienne philosophie, fut cependant ramené par sa propre raison à la sagesse religieuse des modernes. Et que l'on

ne dise point que nous osons détourner le sens de quelques maximes souvent contradictoires; le plus long traité de son livre est tout entier consacré à cette grande discussion. D'abord il considère l'homme seul, sans secours étranger, armé seulement de ses armes et despourveu de la cognoissance divine qui est tout son honneur, sa force et le fondement de son estre. Comparant nos facultés physiques à celles des animaux, combien l'homme lui paroît inférieur ! combien même l'invariabilité de leurs facultés intellectives, c'esta-dire de leur instinct conservateur, semble l'emporter sur notre raison toujours variable ! Quelquefois sans doute il s'élance trop loin dans l'immense labyrinthe de ses opinions; il humilie trop l'espèce humaine, et tous ceux qui la veulent borner aux simples facultés matérielles, semblent avoir puisé leurs argumens dans sa doctrine. Mais il s'avance toujours d'un pas ferme et sûr, il poursuit l'homme dans le fort de sa vanité; après avoir battu en ruine systêmes, opinions, sciences, lois, mœurs et religion, opposé l'homme à l'homme la raison à la raison, il le renverse et l'abaisse audessous même de la brute qui rampe à ses pieds et il s'écrie avec un ancien philosophe : O la vile chose et abjecte que l'homme, s'il ne s'élève audessus de l'humanité! Mais, ajoute-t-il comme jadis le divin Platon, l'homme s'élevera si Dieu lui preste extraordinairement la main ; il s'eslevera abandonnant et renonçant à ses propres moyens, et se laissant hausser et soulever par

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