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LA RÉVOLUTION DOUANIÈRE ALLEMANDE

Le monde est maintenant fixé sur les intentions du gouvernement allemand en matière économique. Depuis plus d'un an, la lutte se déroulait dans l'Empire entre les agrariens, qui revendiquaient une protection allant jusqu'au prohibitionnisme, et les industriels qui réclamaient la prohibition du régime quasi libéral innové en 1892.

La bataille a été rude, et surtout féconde en péripéties et en surprises. A certaines heures, l'agriculture qui se prétend ruinée par les traités de commerce, dictait à la Commission fédérale des tarifs draconiens. A d'autres, les métallurgistes, les filateurs, les commerçants qui ont répandu dans les deux hémisphères les produits germaniques, reprenaient le dessus. Ils invoquaient la prospérité acquise par l'Allemagne à l'ombre des conventions Caprivi : ils signalaient le péril politique qu'encourrait l'État, s'il rompait ses engagements avec les puissances alliées ou vassales de l'Europe centrale, septentrionale et méridionale. Il n'était pas jusqu'à l'opposition de la droite féodale à certaines vues de Guillaume II qui ne devînt un instrument entre leurs mains. Et pourtant ils ont été battus.

Leur défaite est d'autant plus étrange, que le chancelier de l'Empire, le successeur des Bismarck, des Caprivi, des Hohenlohe, est sinon un homme de génie, du moins un homme d'habileté. Il s'était affirmé, en tout, l'ami du juste milieu, traitant avec un souriant mépris le dogme libre échangiste et la doctrine protectionniste, écartant les formules toutes faites comme indignes d'une époque où la pratique s'érige en suprême maîtresse. D'un tel ministre, on devait attendre un projet transactionnel. Il était bien le dernier en qui l'on pût discerner un complice éventuel des agrariens.

Mais un trait souligne encore la singularité de la victoire prohibitionniste; elle heurte quelques-uns des plans les plus mûris en apparence de Guillaume II. C'est une idée ancrée chez l'Empereur que l'Allemagne est destinée à supplanter l'Angleterre dans les échanges internationaux : c'est une théorie bien souvent exposée par lui que le pavillon germanique doit couvrir les mers, flottant sur une marine de plus en plus compacte. Comment concilier ces visées avec l'adoption d'un programme douanier, qui, frappant les importations étrangères, réduira fatalement les ventes de nos voisins au dehors?

Une seule explication peut être donnée avec quelque raison, du triomphe des agrariens. Elle n'est pas économique, car il n'est pas vrai que les traités de 1891, - amplifiant, avec les exportations, la production et la consommation intérieure,-aient sacrifié l'agriculture au commerce;

elle est politique ou plutôt sociale. L'évolution vers le protectionnisme ultra constitue outre-Rhin une avance à l'adresse des partis conservateurs que le monarque entend rallier contre les partis dits subversifs. Ceux-ci ne se peuvent acheter. L'Empereur ne les désarmerait qu'en démantelant, qu'en détruisant le régime qui se symbolise en lui. Ils ont grandi sous Bismarck, qui réprimait la propagande par des textes draconiens, et qui surimposait les denrées de première nécessité. Ils ont multiplié leurs forces sous Caprivi et Hohenlohe, qui ont détendu leur police et allégé les taxes; même un libéralisme plus accentué ne réussirait pas à les endormir un instant. Entre eux et le système de droit divin qui, en fait, demeure celui de l'Allemagne contemporaine, la guerre est impla

cable.

Les agrariens vendent volontiers leur concours, pourvu qu'on y mette le prix. Ils ont dirigé jadis contre le gouvernement une opposition sans trêve, parce qu'ils se croyaient abandonnés par lui et qu'ils ne tiraient pas de prix assez rémunérateur, à leur gré, de leurs froments et de leurs seigles. Mais si le souverain leur accorde les surtaxes qu'ils réclament, les nobles féodaux de Prusse lui prêteront leur appui fidèle contre les ennemis de la Couronne et de la Société. Le marché vient de se conclure. La révolution douanière de l'Empire n'a pas d'autres bases.

Il reste à envisager ses conséquences qui seront nombreuses et importantes.

Dans l'ordre économique, elle paralysera l'essor étonnant que la production et les échanges germaniques avaient pris au cours des dix dernières années. Par ses exportations, l'Allemagne s'était classée au premier plan, tout près de l'Union américaine et de l'Angleterre. Sa métallurgie, ses industries chimiques et textiles avaient réalisé des progrès gigantesques. Dans les trois quarts de l'Europe, ses négociants n'avaient pas de rivaux. Du jour où le Reichstag aura adopté le droit de 7 francs sur les blés, cette primauté disparaîtra. Nos voisins subiront - mais agrandie et plus durable la crise qui a fondu sur la France, de 1891 à 1896, après l'application des Tarifs Méline.

Dans l'ordre social, le plan soumis au Parlement fédéral engendrera des effets diamétralement opposés à ceux qu'a prévus Guillaume II. Il a pensé dompter le socialisme en resserrant contre lui les forces conservatrices, mais il n'a pas voulu reconnaître, ou il n'a pas compris, que l'heure est passée où le groupement du conservatisme suffisait à refréner l'élan démocratique.

Ce ne sont pas les agrariens de la Poméranie, du Brandebourg et de la Silésie qui feront reculer l'armée prolétarienne; ils sont déjà entamés par elle dans leurs propres fiefs. L'erreur de l'Empereur est même double, car d'une part, il surexcite l'attaque socialiste en aggravant, par ses taxes de consommation, le sort des classes inférieures, et de l'autre il verse dans l'opposition les industriels et les commerçants sacrifiés.

Dans l'ordre diplomatique enfin, le nouveau tarif est de nature à faire effondrer toutes les combinaisons échafaudées jadis par Bismarck et

respectées par ses premiers successeurs. L'Autriche-Hongrie et l'Italie n'étaient pas liées uniquement à l'Allemagne par des conventions militaires. Leurs intérêts économiques constituaient pour le cabinet de Berlin la plus sûre des garanties de fidélité. Bismarck avait aussi soutenu comme un axiome incontestable que son pays devait vivre en bonne intelligence avec la Russie. En négociant le traité de commerce de 1893, Caprivi avait écouté cet enseignement. Enfin l'ascendant moral exercé par l'Empire sur certaines contrées voisines ou éloignées, Belgique, Hollande, Suisse, Roumanie, reposait exclusivement sur le libéralisme de son régime`douanier. Aujourd'hui, l'Autriche-Hongrie et l'Italie s'insurgent avec fracas; la Russie se prépare à de formidables représailles; les autres contrées ont suivi la publication du tarif élaboré avec une inquiétude qui dégénérera sûrement en hostilité. Vraiment, pour un conservateur, Guillaume II aime bien les ruines.

PAUL LOUIS

SYNDICATS CONTRE SYNDICATS

Les vacances, vides d'événements majeurs, sont propices aux consultations, déclarations, exposés de programmes et de principes. Le public, qui, lui aussi, se repose, y prête le degré d'attention des moments où l'on dit, avec cet autre : « A demain les affaires sérieuses ». N'a-t-il pas tort?

De fait, en cette période, les affaires sont sérieuses, celles du moins où les organisations syndicales, patronales et ouvrières commencent de donner leurs avis. Et les journalistes ne devraient pas être les seuls à peser, - par métier et pour écrire quelque chose, la signification et l'importance des résolutions qui nous en arrivent depuis quelque temps.

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Il est un peu trop facile de profiter du désaccord constaté pour s'abstenir car des mécontents et des contents les raisons peuvent être inégales - et il est un peu trop léger de tirer argument d'un mécontentement unanime pour se désintéresser car de ce mécontentement final les motifs créateurs peuvent être divers, opposés même, et, au véritable examen, signifier oui plutôt que non pour ceux qui en dernier lieu décident, les parties une fois entendues.

Institution de conseils du travail et projet de loi sur les retraites ouvrières, ces deux objets d'importance que l'heure leur présente sont le thème de protestations vives et passionnées et d'encouragements timides. L'esprit simpliste ne s'y reconnaît pas : toutes les protestations ne viennent pas des patrons, et les encouragements ne sont pas des seuls ouvriers. Et l'esprit simpliste découvrira peut-être à cette occasion que des innovations de cette sorte posent en effet des questions complexes, que les intéressés ou les corps organisés qui les représentent ne voient peut-être pas du premier coup toutes ces questions, et

répondent seulement à telle ou telle, à celle qui frappe la curiosité ou la passion ou l'intérêt du moment, sans résoudre celles des difficultés connexes qui se trouvent n'être pas, pour l'instant, « à l'ordre du jour de ces consciences collectives.

Il faudrait raisonner en détail ces raisons. La matière en vaut la peine. Mais il est juste d'attendre que toutes les voix, le plus de voix possible soient entendues.

FR. DAVEILLANS

L'ORIGINE DES POUCETTES

Qui est l'inventeur des poucettes?- C'est une question que beaucoup de correspondants nous ont posée lorsque, récemment, cet instrument fit l'objet d'une circulaire ministérielle.

En compulsant les « Archives départementales de la Seine-Inférieure », dans les layettes contenant l'histoire de la Tournelle des galériens à Rouen, nous tombâmes, sinon sur l'inventeur des poucettes, du moins sur l'un de leurs premiers fervents.

Le 26 may 1789, le sieur Guilbert, concierge de ladite Tournelle, rédigeait une supplique où on lisait :

<«< Et vous remontre respectueusement que par le grand nombre de célérats et furieux prisonniers qu'il a eu sous sa garde, qu'il lui a été cassé et forcé plusieurs paires de poucettes-menottes, trois paires de menottes jettez dans les commoditez avec une paire de serre-ponces et une quantité de jambières qu'y sont tant cassées que couppées.....

...

vous observant que les trois paires de menottes et la paire de serrepouces jettez dans les commoditez sont sans ressources et perdues. »

Le crédit fut accordé. Et, dans le « Détail estimatif des fournitures neuves et des réparations à faire aux fers et menottes de la prison des galériens de Rouen », nous trouvons, à la rubrique << Fournitures neuves », la mention suivante :

« Une paire de serre-pouces avec un cadenat conformes à la demande du concierge estimée..... 4 livres 10 sols. >>

Les poucettes ou serrc-pouces existaient donc avant le 26 mai 1789. Si cet instrument eût été absolument nouveau, il y aurait eu, semblet-il, des questions et des observations de la part des fonctionnaires chargés de vérifier et d'approuver les comptes. La supplique du concierge et le détail estimatif donnèrent lieu à trois lettres : une du 29 mai 1789 à M. Samandi; une du 2 juillet 1789 à M. Deforges, et une du 10 juillet 1789 de M. Débonnaire Deforges; dans ces lettres on parle des fers et des menottes sans spécifier les serre-pouces implicitement compris dans l'appellation menottes. Les serre-pouces n'attirent nullement l'attention, ce qui permet de croire avec vraisemblance qu'ils n'étaient pas une innovation.

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