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pétris, à travers le tas élastique des étoffes bigarrées... Des trouvailles, là : de trois fillettes dansantes, le vert prasique de la jupe de l'une sur le blanc des dessous qui ont bien le blanc raidi, garçonnier, des dessous très amidonnés des fillettes; le jaune et blanc d'un chapeau de femme, etc... De même que dans un sujet tout lui est sujet, pour traduire tout lui est bon, même argot, ou gongorisme - cet autre argot, même le lexique du voisin. On démêle aisément, outre les grands ancêtres, mainte influence probable, Delacroix, Manet (tout indiqué lui, qui vient un peu des Espagnols), Monet, van Gogh, Pissarro, ToulouseLautrec, Degas, Forain, Rops, peut-être... Chacune passagère, aussitôt envolée que captée: On voit que son emportement ne lui a pas laissé le loisir encore de se forger un style personnel; sa personnalité est dans cet emportement, cette juvénilement impétueuse spontanéité (on conte qu'il n'a pas vingt ans, et qu'il couvrit jusqu'à trois toiles par jour). Le danger pour lui git dans cette impétuosité même qui pourrait bien l'entraîner à la virtuosité facile, au succès plus facile. Prolifique et fécond font deux, comme violent et énergique. Et cela serait tout regrettable, en face d'une si brillante virilité.

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LE NOUVEAU MICROBE.

LES PIÉTONS ÉCRASEURS

Le nouveau microbe.

Un mal qui répand la terreur,

mais dont il n'est point si déplorable que souffrent quelques milliers de Français puisqu'il a fourni à un écrivain de France l'occasion de ce petit chef-d'œuvre, Bubu de Montparnasse, serait, paraît-il, fort menacé par les médecins, irrespectueux de sa vieille noblesse, qui date au moins de François Ier. Mais ne nous alarmons point encore, ni ne nous hâtons de signaler son imminente disparition, ainsi que nous l'avons fait pour tant d'autres reliques, aux conservateurs de nos monuments nationaux. Il se lèvera encore de beaux jours pour « le mal français », ainsi nommé, comme on ne l'ignore point, parce qu'il vient de Naples ou d'Amérique. Les médecins n'en ont en effet trouvé, par le labeur de MM. Justin de Lisle et Louis Jullien, que le « microbe pathogène » et non le remède. Or, les microbes ne sont qu'une façon de traduire en notre siècle, ce que les âges précédents appelaient les « vertus », dormitives et autres.

Les microbes, qu'on prouvera sans doute bientôt n'avoir jamais existé et n'être autre chose que des ferments, ont cet avantage sur les «< vertus » précitées qu'ils sont concrets, visibles et qu'on peut en exhiber l'image au peuple dans des conférences.

Le microbe fraîchement inventé serait un charmant animal, non pas des plus grands long de 5 à 8 μu mais de taille bien prise, il manifesterait une prédilection gloutonne pour la gélatine, les pommes de terre à la glycérine, et le lait; il prendrait plaisir à se parer de toutes les matières colorantes qu'on veut bien mettre à sa disposition.

Il faut éviter, disent ses parrains, de le dessécher dans la flamme, ou à une température supérieure à 60o. Cette recommandation implique, en toute évidence, l'infaillible traitement du mal. Il suffirait de dessécher le patient dans la flamme ou à une température supérieure à 60°. Mais la science supplie le public de différer quelque peu cette méthode de guérison, car elle estime que les existences microbiennes ont droit à autant et plus de respect que les humaines, et elle n'a point encore trouvé le moyen de faire survivre le bacille, qui « meurt où il s'attache », au sujet infecté.

Les piétons écraseurs. — L'opinion publique s'est émue, à l'occasion de la course d'automobiles Paris-Berlin, de l'incident suivant : dans une des villes neutralisées, un enfant de dix ans a voulu traverser devant

l'un des véhicules qui roulait à l'allure très modérée de douze kilomètres à l'heure, et a été tué sur le coup.

C'est là, à notre avis, une chose excellente, pour des raisons que nous allons exposer. Les touristes à bicyclette ou à bicycle, en l'an 1888 ou 1889, étaient insultés en langue aboyée, mordus et incités à choir, jusqu'à ce que les chiens, ainsi qu'on le constate aujourd'hui, eussent pris l'habitude de se ranger, comme d'une voiture, du nouvel appareil locomoteur. L'éducation canine parachevée, les cravaches et autres engins de défense du cycliste en ces temps reculés ont pu aller rejoindre les démonte-pneus de l'âge de pierre.

L'être humain adulte en est venu, quoique plus lentement que son compagnon quadrupède, à laisser le passage libre aux véhicules rapides. L'homme à pied ne grouille plus par bancs sur les trottoirs cyclables, par contre l'ours y est assez commun, au voisinage des roulottes de nomades, et nous y rencontrames un jour, au mépris des règlements, jusqu'à un cheval surmonté d'un officier français.

L'être humain en bas àge, l'enfant, puisqu'il faut l'appeler par son nom, s'exerce au courage des guerres futures en traversant, par bravade, les routes devant les cycles et les automobiles. Notons qu'à l'exemple de certaine peuplade sauvage, qui manifeste sa valeur en montrant son derrière à l'ennemi, mais chez qui une telle témérité n'est point d'usage trop près de l'ennemi, l'enfant ne s'amuse à courir ce péril que quand le péril est encore éloigné, c'est-à-dire quand le véhicule n'arrive pas très vite. L'accident de Paris-Berlin s'est produit logiquement, par

suite de l'absurde idée de « neutraliser » les villes. Il est même extraordinaire qu'un seul enfant, et pas dix mille personnes ayant atteint depuis longtemps ce qu'on est convenu de dire l'âge de raison, n'aient point gambadé devant les coureurs qui leur donnaient le temps de le faire. En revanche, on remarquera qu'aucune collision n'a eu lieu sur la route, parcourue à près de cent kilomètres à l'heure.

Ajoutons, pour justifier notre titre, que le piéton court moins de risques que le cycliste ou le chauffeur; il s'expose à une simple chute de sa hauteur et non à une projection hors d'un appareil de vitesse, ni au bris de cet appareil précieux; donc, jusqu'au jour où cette folie n'aura point cessé, de laisser circuler des gens à pied, non munis d'autorisation préalable, de plaque indicatrice, frein, grelot, trompe et lanterne, nous aurons à vaincre ce danger public : le piéton écraseur.

ALFRED JARRY

Les Livres

Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann (1897-1900). (Editions de La revue blanche).

« La mort a lieu comme la naissance, par un acte de volonté ». (Conversations avec Eckermann, 1813).

'En vain je cherche une raison pourquoi Goethe ait voulu mourir : Quelques hommes meurent de désespoir; beaucoup, de simple lassitude; et la plupart d'ankylose, de définitive impuissance à suivre le mouvement des faits et des idées. Or Goethe avait surmonté la douleur; tout son être restait tendu vers l'action; son esprit fermé seulement aux rêveries religieuses et romantiques, gardait un accueil tout prêt à plus de nouveautés étranges qu'un siècle entier n'en peut amener. Tout rend donc invraisemblable le départ de Goethe en pleine force, et comme en pleine jeunesse ; les récits qui nous le rapportent éveillent, par maints traits de légende, une méfiance légitime. « Si pourtant Il vivait encore ! -avons-nous plus d'une fois songé. — De quel poids son avis ne pèserait-il pas dans nos discussions d'art et nos conflits sociaux ! Comme il saurait écarter nos préjugés et nos modes, pour discerner tranquillement en toute chose ce qui est vrai, c'est-à-dire fécond !...... » Goethe vit toujours; il pense, il parle ses pensées; il faut donc qu'Eckermann soit là, pour fidèlement les transcrire et les livrer au public. De là ce nouveau recueil, joint au premier par une parenté trop sensible pour qu'on hésite à le croire authentique, en dépit des grammairiens. Le prẻsent volume ne nous offre qu'un choix; on regrettera d'ignorer le jugement de Goethe sur les jeunes poètes allemands et sur la biologie moderne, sur Hauptmann et sur Hæckel; mais ses jugements sur la France sont plus intéressants pour nous autres Français. La traduction mérite tous éloges; elle rappelle, plutôt que Chasles ou Delérot, le Faust de Gérard de Nerval; elle enrichit de mille nuances la large simplicité du texte ; je soupçonnerais M. France d'en être l'auteur, si M. France savait l'allemand, et si telle page ne disait beaucoup de bien de M. France, et peu de bien de M. Plessis.

Il n'est plus besoin de définir le ton de ces Conversations. Chacun connaît cette hauteur de vues familière et sereine, où l'on accède sans vertige; cette raison toujours égale, qui, selon le plus ou le moins de surprise, paraît tour à tour bon sens ou génie; enfin ce dédain sans affectation pour tout ce qui est inférieur. Les sujets ici traités vont du Mysticisme au cas Millerand, et de la Sémantique aux courses de chevaux. Je voudrais tout parcourir et tout citer. Puisqu'il faut me borner, je parlerai peu des passages que je préfère, ceux où la pensée du maître reprend son attitude ancienne en face d'objets nouveaux; j'irai droit à ceux où Goethe, transformé par une longue vie, se complait à brouiller

l'image que je m'étais faite de lui. L'inconséquence est un droit des grands hommes; mais c'est un plaisir de la dénoncer.

Qu'il s'agisse des rapports normaux entre deux générations littéraires, des devoirs des écrivains dans le monde, du prestige de l'Académie, je reconnais le Goethe d'autrefois. Lui seul pouvait avec sûreté marquer ce qu'il convient d'entendre par « le respect de la tradition dans le style », distinguer l'image poétique de la métaphore concrète, et condamner au nom de la vie la langueur du symbolisme comme le froid éclat du Parnasse. Les pages sur la description et l'analyse dans le roman abondent en vérités évidentes autant qu'ignorées, qu'il faudra redire et qu'on ne redira pas mieux; personne, après les avoir lues, ne répétera le cliché de « Stendhal analyste ». Goethe, enfin, ne dément point sa nature, quand il loue avec finesse Verlaine, France, Barrès, Gide et Tristan Bernard, ni quand de façon magistrale il éreinte M. de Vogüé. Où commencent mes scrupules, c'est quand il s'agit de Molière Goethe l'élevait jadis au-dessus de tous les écrivains français; voici qu'à présent il le place au niveau de Beaumarchais; et cela pour des motifs trop simples, où se trahit le traducteur de Diderot plutôt que l'auteur de la Fille Naturelle. Il faut que Gœthe ait bouleversé tout son système de valeurs esthétiques, puisqu'il en vient à goûter le talent de Lorrain, de Mirbeau, d'Hervieu, de Jules Renard; et la merveille est qu'il semble ne pas s'en apercevoir : « Vous savez, dit-il, à propos de Renard, ce que j'entends par cette expression: une manière. L'écrivain qui a une manière, c'est celui qui a acquis la certitude de réussir à coup sûr un certain nombre d'effets, et qui « par là même » est conduit à user de ces effets avec une fréquence toute particulière. » Fort bien; mais en employant ce mot en guise d'éloge, Goethe oublie que la manière a signifié pour lui le contraire du style, le procédé de l'amateur dilettante. A-t-il fini par sentir les lacunes de l'art objectif et généralisateur? Comprend-il que, chez Renard, l'amour et la minutie de la matière; chez Ilervieu, l'âpreté voulue, ne sont pas de purs caprices, mais des moyens indispensables pour la production d'effets originaux ?...

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En politique, en morale, Goethe se fait gloire d'avoir soutenu la cause de la raison universelle contre les traditions étroites et contre l'égoïsme des petits groupements humains. Pendant sa retraite à Dornbourg, il aimait « regarder le monde raisonnable comme un grand individu immortel ». Dès cette époque, à la thèse tolstoïenne du rachat des fautes par le sacrifice, il aurait répondu comme aujourd'hui : « C'est envers l'humanité entière que doit se payer la dette ainsi contractée envers un seul, et elle se paie par l'action,.. L'intérêt isolé de tout homme nous échappe, tandis que nous pouvons pénétrer distinctement l'intérêt collectif de l'humanité ». Cependant il déclarait alors : « L'individu doit se faire le centre d'où puisse dériver la communauté ». Il fait trop bon marché de son individualisme d'antan; peut-être aussi méconnaît-il le sens qu'il donnait à la tradition : Loin de la réduire à

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