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esprits au milieu d'une guerre funeste, dans le prodigieux dérangement des finances, qui rendait cette guerre plus dangereuse, et qui irritait l'animosité des mécontents, enfin parmi les épines des divisions semées de tous côtés entre les magistrats et le clergé, dans le bruit de toutes ces clameurs, il était très difficile de faire le bien, et il ne s'agissait presque plus que d'empêcher qu'on ne fit beaucoup de mal.

CHAPITRE XXX VII.

Attentats contre la personne du roi.

CES émotions du peuple furent bientôt ensevelies

dans une consternation générale, par l'accident le plus imprévu et le plus effrayant. Le roi fut assassiné, le 5 janvier, dans la cour de Versailles, en présence de son fils, au milieu de ses gardes et des grands officiers de sa couronne. Voici comment cet étrange évènement arriva.

Un misérable de la lie du peuple, nommé RobertFrançois Damiens, né dans un village auprès d'Arras, avait été long-temps domestique à Paris dans plusieurs maisons; c'était un homme dont l'humeur sombre et ardente avait toujours ressemblé à la démence.

Les murmures généraux qu'il avait entendus dans les places publiques, dans la grand'salle du palais et ailleurs, allumerent son imagination. Ii alla à Versailles comme un homme égaré; et dans les agi

tations que lui donnait son dessein inconcevable, il demanda à se faire saigner dans son auberge. Le physique a une si grande influence sur les idées des hommes, qu'il protesta depuis, dans ses interrogatoires, << que s'il avait été saigné comme il le demandait, il n'aurait pas commis son crime. »

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Son dessein était le plus inoui qui fût jamais tombé dans la tête d'un monstre de cette espece; il ne prétendait pas tuer le roi, comme en effet il le soutint depuis, et comme malheureusement il l'aurait pu, mais il voulait le blesser; c'est ce qu'il déclara dans son procès criminel devant le parlement:

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Je n'ai point eu intention de tuer le roi : je l'au«rais tué si j'avais voulu; je ne l'ai fait que pour « que Dieu pût toucher le roi, et le porter à re« mettre toutes choses en place, et la tranquillité « dans ses états; et il n'y a que l'archevêque de « Paris seul qui est cause de tous ces troubles. » Cette idée avait tellement échauffé sa tête, que, dans un autre interrogatoire, il dit:

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« J'ai nommé des conseillers au parlement, parceque j'en ai servi un, et parceque presque tous « sont furieux de la conduite de M. l'archevêque ». En un mot le fanatisme avait troublé l'esprit de ce malheureux au point que dans les interrogatoires qu'il subit à Versailles on trouve ces propres paroles:

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Interrogé quels motifs l'avaient porté à attenter à la personne du roi, a dit que c'est à cause de la religion.

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Tous les assassinats des princes chrétiens ont eu cette cause. Le roi de Portugal n'avait été assassiné

qu'en vertu de la décision de trois jésuites. On sait issez que les rois de France Henri III et Henri IV ue périrent que par des mains fanatiques; mais il y avait cette différence que Henri III et Henri IV furent tués parcequ'ils paraissaient ennemis du pape, at que Louis XV fut assassiné parcequ'il semblait vouloir complaire au pape.

L'assassin s'était muni d'un couteau à ressort, qui d'un côté portait une longue lame pointue, et de l'autre un canif à tailler les plumes, d'environ quatre pouces de longueur. Il attendait le moment où le roi devait monter en carrosse pour aller à Trianon. Il était près de six heures; le jour ne luisait plus; le froid était excessif; presque tous les courtisans portaient de ces manteaux qu'on nomme par corruption redingotes. L'assassin, ainsi vêtu, pénetre vers la garde, heurte en passant le dauphin, se fait place à travers la garniture des gardes du corps et des cent-suisses, aborde le roi, le frappe de son canif à la cinquieme côte, remet son couteau dans sa poche, et reste le chapeau sur la tête. Le roi se sent blessé, se retourne, et à l'aspect de cet inconnu qui était couvert, et dont les yeux étaient

égarés, il dit: « C'est cet homme qui m'a frappé, qu'on l'arrête, et qu'on ne lui fasse point de mal. » Tandis que tout le monde était saisi d'effroi et d'horreur, qu'on portait le roi dans son lit, qu'on cherchait les chirurgiens, qu'on ignorait si la blessure était mortelle, si le couteau était empoisonné, le parricide répéta plusieurs fois : « Qu'on prenne garde à monseigneur le dauphin, qu'il ne sorte pas de la journée.

A ces paroles l'alarme universelle redouble; on ne doute pas qu'il n'y ait une conspiration contre la famille royale; chacun se figure les plus grands périls, les plus grands crimes et les plus médités.

Heureusement la blessure du roi était légere; mais le trouble public était considérable, et les craintes, les défiances, les intrigues, se multipliaient à la cour. Le grand-prévôt de l'hôtel, à qui appartenait la connaissance du crime commis dans le palais du roi, s'empara d'abord du parricide, et com mença les procédures, comme il s'était pratiqué à Saint-Cloud dans l'assassinat de Henri III. Un exempt des gardes de la prévôté ayant obtenu un peu de confiance, ou apparente ou vraie, dans l'esprit aliéné de ce misérable, l'engagea à oser dicter de sa prison une lettre au roi même (1). Damiens

(1) SIRE,

Je suis bien fâché d'avoir eu le malheur de vous ap procher; mais si vous ne prenez pas le parti de votre peuple, avant qu'il soit quelques années d'ici vous et monsieur le dauphin, et quelques autres, périront. Il se rait fâcheux qu'un aussi bon prince, par la trop grande bonté qu'il a pour les ecclésiastiques, dont il accorde toute sa confiance, ne soit pas sûr de sa vie ; et si vous n'avez pas la bonté d'y remédier sous peu de temps, il arrivera de très grands malheurs, votre royaume n'étant pas en sûreté; par malheur pour vous que vos sujets vous ont donné leur démission, l'affaire ne provenant que de leur part. Et si vous n'avez pas la bonté pour votre peuple d'ordonner qu'on leur donne les sacrements à l'article de mort, les ayant refusés depuis votre lit de justice, dont le châtelet a fait vendre les meubles du prêtre qui s'est sauvé; je vous réitere que votre vie

écrire au roi! un assassin écrire à celui qu'il avait assassiné !

n'est pas en sûreté, sur l'avis qui est très vrai, que je prends la liberté de vous informer par l'officier porteur de la présente, auquel j'ai mis toute ma confiance. L'archevêque de Paris est la cause de tout le trouble par les sacrements qu'il a fait refuser. Après le crime cruel que je viens de commettre contre votre personne sacrée, l'aveu sincere que je prends la liberté de vous faire me fait espérer la clémence des bontés de votre majesté. Signé DAMIENS.

Cette lettre se trouve page 69 du procès de Damiens, donné au public par le greffier criminel du parlement avec la permission de ses supérieurs.

Au dos de ladite lettre est écrit, paraphé,"ne varietur, suivant et au desir de l'interrogatoire du nommé François Damiens, en date du neuf janvier mil sept cent cinquante-sept, à Versailles, le roi y étant.

Signé DAMIENS. LE CLERC DU BRILLET, et DUVOIGNE, avec paraphe.

Et plus bas est écrit:

AU ROI.

Suit la teneur d'un écrit signé Damiens.

COPIE DU BILLET.

MM. Chagrange. Seconde. Baisse de Lisse. (1) De la Guyomie. Clément. Lambert.

Le président de Rieux Bonnainvilliers.
Président du Massy, et presque tous.

Il faut qu'il remette son parlement, et qu'il le soutienne, avec promesse de ne rien faire aux ci-dessus et compagnie. Signé DAMIENS,

(1) Ce misérable estropie presque tous les noms de ceux dont il parle.

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