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cisme de Valrose avait trouvé chez ses amis un écho qui faisait résonner plus haut en son âme les paroles de doute. Depuis de longues années déjà, elle n'était plus catholique de cœur. Elle estimait que toutes les religions sont une, par leur base et par leur destinée : satisfaire les besoins de la masse, être le viatique des âmes faibles, le vêtement cxtérieur des âmes fortes, utiles et nécessaires, certes, et pleines d'une sagesse politique, d'une beauté et d'une grandeur ésotériques, qui la plongeaient dans l'admiration des Grands Initiés, fondateurs des cultes. Dans son désir de piété pure, elle en voulait presque à leurs ministres actuels d'être plus barbares dans leur culte extérieur que les prêtres de l'ancienne Egypte. Dans les temples d'Isis, ceux qui ne craignaient pas les effrois sacrés, pouvaient, aidés des prêtres, gravir les degrés de l'initiation sainte, pénétrer au plus près de la vérité. Mais maintenant, quel prêtre voudrait prendre l'àme inquiète de celui qui doute et lui révéler le trésor qu'il cache au fond de son propre cœur, accueillir cet esprit qui se fatigue en vaines recherches et lui dire : <«< Viens, voici le repos, voici la lumière! La vérité est une depuis le commencement des siècles, à travers les mirages des croyances, à travers les superstitions folles des cultes. Çakya-Mouni l'a connue, et Pithagore et Platon et Moïse. Et le Christ l'a connue et l'a dite à ses ministres. Mais la vérité doit être recréée par chacun dans son âme; il faut pour cela que l'âme soit libre de toute entrave étrangère, de toute influence héréditaire. Mais moi dont la vie est consacrée à son culte, je puis t'aider en te montrant la route qui y mène, en écartant les obligés mensonges. »

Personne n'avait tenu ce langage à Valrose.

On avait cherché à étouffer ses désirs, non à les satisfaire. On lui avait dit : « Crois parce qu'il y a eu des martyrs! crois parce qu'il est impie de ne pas croire! » et elle s'était débattue seule contre d'envahissantes certitudes.

Et maintenant, comment en est-elle arrivée à se dire que Dieu est mort? Quel travail annihilant s'est fait dans son âme? Elle n'en saurait elle-même retracer les étapes. Elle sait seulement qu'elle n'éprouve aucune crainte, aucun désir de foi, que son âme est muette comme le ciel.

Mais si, elle n'est pas troublée, son âme, qu'elle est profondément triste! quelle solitude inexorable, quel néant désolé! La vie est brève et cruelle, la mort a ses affres effroyables, les aimés qu'on quitte ou qui vous quittent ne se retrouvent jamais. Jamais! ce mot ne saurait être conçu entièrement par un cerveau humain : il en éclaterait d'effroi et de douleur.

Il faut que les croyants aient bien peu réfléchi, se disait Valrose, pour traiter ceux qui ne croient pas avec ce mépris et cette haine. Ne devraient-ils pas plutôt inspirer une révérence attendrie, de ce que, ne croyant à aucune vie future, ils sont cependant bons, doux, charitables; de ce que, n'ayant aucune espérance, ils consentent encore à

sourire; de ce qu'ils ne haïssent pas mortellement ceux-ci, qui possè dent cet incomparable trésor la foi? Et comment, se disait-elle encore, les croyants qui perdent un des leurs peuvent-ils pleurer? Ne devraient-ils pas chanter les hosannah des éternelles joies? Mais les autres, les terrestres, ne peuvent verser des larmes, car leur douleur est plus grande que la mort elle-même.

Valrose avait donc, unique, sublime et misérable bien : la Vie. Et elle avait la volonté de la vivre, de la brûler à sa manière par les deux bouts, de la dépenser en un mot comme un trésor qui ne vous suivra pas au-delà de la tombe. Elle savait que la vie était un marché, qu'il fallait « prendre et payer». Eh bien, elle paierait, mais elle n'irait pas louchant, rôdant comme un pauvre. Elle ne se laisserait pas démoraliser par les circonstances, briser par les sentiments, annihiler par les douleurs; elle subirait l'inévitable, mais ne se résignerait pas.

Lorsqu'elle disait ces choses à Iseult, celle-ci la regardait avec une indéfinissable expression de mélancolie.

On porte son boulet ou on le traîne, lui dit-elle un jour. On ne s'en débarrasse jamais!

X

Edouard, s'il n'était pas un amoureux encombrant, n'en suivait pas moins le fil de ses idées, et cela le rendait perspicace. Il avait déeouvert facilement qu'un rival, et lequel, lui interdisait le cœur de Valrose. Il s'étonnait de ce choix et en parlait à sa belle-sœur avec une philosophie dédaigneuse.

Il est étrange qu'une créature raffinée et subtile comme Valrose, lui disait-il, aille s'éprendre de l'être ébauché qu'est encore Chaudieu. Bon petit garçon, sans doute, mais sans aucune profondeur. Je ne comprends pas le charme que peut avoir une épreuve si rudimentaire de la nature humaine. C'est transporter en occident des mœurs orientales.

- Il est peut-être fidèle, disait Iscult.

Toujours comme les animaux. Qui dit fidèle dit satisfait. Un être satisfait est bien un peu borné. L'homme ne vaut que par l'inquiétude de ses désirs.

Lorsqu'il sait les dominer, objecta Iseult, et qu'ils s'adressent à un objet de choix.

Sans doute; bien qu'à tout prendre, il entre bien peu de la réalité de l'idole dans le culte que nous lui rendons. Et ce qu'on aime le mieux dans elle, c'est ce qu'on en rêvc.

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Cela explique bien des choix masculins, dit innocemment Iscnlt. La faculté d'illusion volontaire chez l'homme est infinie.

Elle ne lui fit pas sentir que cette théorie devait excuser Valrose. Les hommes n'aiment point qu'on les prenne sur un fait d'illogisme.

Croyez-vous, reprit Edouard après un moment de silence, que Valrose sentimentalisera encore longtemps son idylle avec ce jeune garçon? Je ne puis concevoir ce qui l'empêche de la réaliser suivant les lois normales, et se débarrasser ainsi, dans un délai honnête, de cette obsession charnelle.

Peut-être le cœur est-il pris autant que les sens. Peut-être s'aiment-ils.

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S'aimer! et il cut un léger frémissement; puis, se dominant, il sourit avec un peu de mépris. Ce serait à désespérer de l'intelligence de la femme! Pour lui, je n'en parle pas; son cas n'est pas discutable: il la désire et c'est tout.

Et vous, ne la désirez-vous donc pas?

Quelle question superfluc, Iscult! Je la désire parce que je l'aime; je la désire parce que mon amour doit passer par la volupté pour être fidèle. Mais, comme vous le savez très bien, sa possession n'est pas mon but; elle m'est nécessaire, mais elle n'a que la valeur d'un geste signifiant l'amour.

Il soupira avec impatience, se leva, arpenta la pièce.

Iseult sortit, revint avec le chapeau, la canne de son beau-frère, et ouvrant la porte, le poussa dehors dans la direction de la maison de Valrose.

Elle le regarda partir, et comme il pouvait se retourner, elle ne pleura que lorsqu'il fut hors de vuc.

(A suivre.)

JEAN ROANNE

La fraction socialiste du Reichstag

Dans quelques mois va prendre fin en Allemagne la législature inaugurée en juillet 1893. La fraction socialiste du Reichstag va reprendre contact avec ses électeurs. Sortira-t-elle du Parlement aussi triomphalement qu'elle y est entrée il y a cinq ans? Son développemert continuera-t-il à suivre une progression croissante? Ses actes de demain ne seront-ils pas la négation des déclarations d'hier? Pour répondre il faut nous informer de l'évolution des doctrines, du rôle joué par la fraction au dernier Parlement, de ses relations avec les autres partis et avec le gouvernement. Les discussions relatives aux questions d'organisation, de discipline et de tactique étudiées dans les cinq derniers congrès de Cologne, Francfort, Gotha, Breslau, Hambourg, étapes annuelles où le parti s'arrête à considérer l'œuvre faite et à préparer les combats du lendemain, mettent également en lumière la physionomie nouvelle du parti.

La force d'un parti qui est minorité, dont les origines sont révolutionnaires et les doctrines inassociables à aucune autre parmi celles en cours dans le pays, c'est de s'acharner à porter haut, hors de l'atteinte de ses adversaires, l'étendard de sa foi politique. L'intransigeance, unc attitude raidie dans un geste, telle est sa seule tactique. C'est une tactique facile qui demande seulement de l'opiniâtreté. S'il s'en départ, s'il s'ennuie d'une action qui n'est qu'une perpétuelle négation, s'il veut faire de la politique active, il faut bien qu'il renonce à jeter l'anathème sur tous les partis et qu'il pactise avec l'un d'eux au moins, pour pouvoir agir efficacement. Dès lors, s'il n'est encore qu'une poignée, son sort est certain et il disparaît noyé dans la fraction la plus voisine avant d'avoir vécu. Pourtant, s'il s'élargit jusqu'à représenter près du tiers de la nation votante, doit-il rester abîmé devant les grands principes qui planent au-dessus de lui dans l'air, et, ayant fait le procès définitif des temps présents, se borner à décrire la cité future? Ici commencent les difficultés.

Nous sommes bien loin de cette année 1878 où le Chancelier de fer fit la dissolution du Reichstag, n'ayant pu en obtenir des lois d'exception contre les socialistes.

Le Parlement qui suivit se montra, comme l'on sait, plus docile et accorda ce qu'on voulut. Aujourd'hui les 44 socialistes du Reichstag ont derrière eux près de 2 millions de voix sur 7,400,000 votants. Il a été calculé que, proportionnellement aux voix qui les ont portés, ils devraient être au Reichstag au nombre de 100, si la délimitation des circonscriptions était faite d'une manière équitable. Malgré tout, ils sont une puissance et il n'est plus possible de leur mettre la camisole de force, comme on fit il y a vingt ans.

Le succès inespéré de 1893 a fait comprendre aux socialistes que le bulletin de vote mènerait au but plus sûrement que l'agitation révolutionnaire. Le manifeste communiste de 1850 annonçait que le prolétariat conquerrait l'Etat les armes à la main. On ne désavoue pas ce manifeste, mais on le conserve comme un parchemin vénérable qu'on ne lit pas.

Les doctrines et la tactique ont évolué parallèlement.

Dès l'apparition du premier volume du Capital, on s'était hâté de formuler des principes intangibles et indéformables. Or, en ces derniers temps, alors que le dogme paraissait définitivement établi et triomphant, la publication du quatrième volume du Capital a montré que la doctrine marxiste avait infiniment plus de souplesse qu'on n'imaginait. On apprit d'abord qu'elle laissait à la propriété individuelle un droit de vie très large son abolition n'avait jamais été mise en question, il s'agissait uniquement de socialiser les moyens de production.

Jusqu'ici, on considérait comme un point fondamental et indiscutablement acquis que la plus-value résultant de l'incorporation du travail humain au produit était le facteur unique de la valeur du produit. Or Marx, déclare en dernier licu, que la valeur et le gain sont également fonction du capital qui agit indépendamment de la quantité de travail humain mise en œuvre.

Ces additions et rectifications publiées seulement en ces dernières années, auraient créé un schisme si, depuis longtemps, les doctrines n'étaient passées au second plan et si l'attention entière des socialistes n'avait été absorbée par la tactique.

A la naissance du parti, il n'est pas un socialiste qui n'aurait dit : « Le socialisme sera révolutionnaire ou il ne sera pas. >>>

En effet, le marxisme fait table rase de la société contemporaine. Le régime actuel, tout au moins le régime économique actuel, doit disparaître. L'œuvre à faire est de destruction avant tout. Quelles armes ? L'entente internationale, la grève internationale, la grève militaire, enfin la mise en œuvre de tous les moyens imaginables pour arrêter le mécanisme, suspendre la vie organique des nations. Par simple évolution le capitalisme tirera à lui toutes les richesses du pays, qui se concentreront en un nombre de mains chaque jour moindre, tandis que la classe des prolétaires ira s'accroissant. Elle est le réceptacle où tomberont les vaincus du petit commerce et de la petite industrie. Les terres deviendront des latifundia et les paysans formeront un prolétariat rural. Un jour est proche où la société se retrouvera ainsi faite d'une part une poignée d'hommes détenant les richesses, de l'autre des peuples entiers proletarisés. Si la misère du prolétariat a atteint son point ultime et s'il est venu enfin à la conscience de sa puissance comme masse, il ne semble pas que la solution doive se faire attendre longtemps. L'œuvre du socialiste doit donc être de creuser le gouffre qui sépare le capitalisme du prolétariat, de favoriser la plethore monstrueuse de l'un et de pousser la misère de l'autre

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