Imágenes de página
PDF
ePub

sans autre savoir-faire que leur sincérité tout unie. Les mouvements encore brusques révèlent les membres souples délicieusement minces et vigoureux. Aux mains cordiales, au bout des doigts ininformés, on croirait voir poindre des pousses vertes. Les allures de pur instinct ont une si directe, si libre franchise!

Il se dresse comme un jeune arbre, et, comme lui,frissonne d'ardeur, frissonne de langueur fraiche et, dans le vent du printemps, secoue ses trésors de folles floraisons.

C'est le souffle léger et pur et vibrant du printemps. C'est une entraînante belle matinée.

Jean de Chaudieu vit Valrose et tout de suite il l'aima.

V

Mais Valrose l'aima profondément.

Il lui avait plu tout d'abord, et, comme toutes les femmes de son âge envers un homme très jeune, elle se complut en des sentiments maternels, à des conseils d'une affectivité encore détachée. Ensemble, ils discouraient sur la littérature et les arts. Elle s'intéressait au détail de sa vie matérielle et avait des indulgences de très aînée. Il jouait avec la petite Lottie, et Valrose leur donnait le même âge.

Lorsqu'il baisait les doigts de Valrose, c'était un baiser presqu'envolé avant de s'être posé.

Il partit au bout de quelques semaines.

Valrose était maintenant de nouveau seule dans son jardin. Dans ses heures de flâneries à travers les buissons des somptueuses pivoines, elle s'arrêtait souvent, inconsciente encore, pour se retourner et écouter.

Jean lui écrivit tout de suite. C'étaient de brèves lettres, fraîches et légères petites feuilles.

« Oh madame ! J'ai fait cette nuit un rêve étrange. J'étais votre <«< jardinier. J'arrosais vos fleurs et je vous suppliais, comme récom« pense, de me laisser cueillir une de vos roses rouges. Et vous refu«< siez. Alors je pleurais. Et vous aussi, vous pleuriez, figurez-vous ! <«<< tout en ayant l'air de vous moquer de moi. Je me suis réveillé <<< triste. >>

Puis, quelques jours après, ces quatres lignes :

« Je vous suis si reconnaissant! Vous me tencz licu de toute chose. « Vous remplacez tout ce que je désire, les ceuvres d'art et les hori<«<zons inconnus. Vous êtes mon ciel d'Orient. Mais qu'il est haut et transparent ! »>

Ces courtes lettres qui ne contenaient guère qu'une phrase, d'expression variée, mais de pensée toujours semblable, plaisaient à Valrose. Rien n'y était rapsodique ni violemment enslammé ; et si, parfois, les mots s'attendrissaient, au moment où elle se redressait pour se

défendre d'une furtive émotion douce, le billet suivant la rassurait par son ton allègre et détaché.

« Je vous amuse? Si c'était réciproque? Montaigne, après s'être <«< amusé de son oie, se pose cette question : Peut-être, au fond, «< amusé-je aussi mon oie? Vous n'êtes pas Montaigne quoique <«<< vous ayez son esprit et je ne suis pas une oie, je vous jure, quel<< que esprit qu'ait une oie. >>>

[ocr errors]

Valrose répondait par quelques lignes pleines d'un intérêt affectueux, mais sans aucune coquetterie de tendresse.

La joie de cette correspondance lui était encore toute inconsciente quand, brusquement, les lettres cessèrent.

Là fut le coup de foudre.

Elle ne se demanda pas si elle l'aimait. Elle sut que cela était. Elle avait accueilli la jeunesse ; l'amour était entré. « O feu, torche d'incendie ou flambeau de lumière ! »

Ce silence, brusque, inexplicable, lui fut un chagrin si vif, si inattendu, qu'elle en exagéra la valeur. Sans en avoir honte, elle endura, avec une petite humiliation de se voir si juvénilement faible et sensible.

Au bout de quinze jours, les billets reprirent avec mille enfantines et souriantes excuses et une jolie anxiété de se savoir pardonné.

Valrose répondit avec sa bonté la plus spirituelle et Jean fut ému et charmé.

« Vous êtes comme une maman très bonne et merveilleusement << spirituelle; je ne sais comment j'ai pu vivre quinze jours sans voir « votre écriture, sans vous dire tout ce que vous êtes pour moi. Je « rêve à cause de vous, par vous, des choses inénarrables d'un <«< charme infini. Mais voilà trois mois que je ne vous ai vue; laissez<«< moi venir quelques heures retrouver la réalité de mes chères << visions. Ecrivez que vous me voulez bien. »

Et Jean revint.

« L'absence a des effets singuliers, dit Fromentin dans Dominique. « On s'est quitté sans presque se dire au revoir; on se retrouve, et « l'amitié a fait en vous de tels progrès que toutes les barrières sont << tombées, toutes les précautions ont disparu. Ce long intervalle, « espace de vie, n'a pas contenu un seul jour inutile, et ces mois << d'absence vous ont donné tout à coup le besoin mutuel des confi<< dences, avec le droit plus surprenant encore de vous confier. »

La sensation de ce revoir cut la brusque force d'une marée, alors que sont minées les digues qui l'avaient refoulée jusqu'à ce jour. Mille raisons complexes, l'absence et de longues heures de loisir, le serrement de cœur qu'elle avait éprouvé des quinze jours de silence, la vague excitation causée par l'atmosphère sensuelle des Bach-Sonian où elle allait maintenant chaque jour, et surtout l'aveu qu'elle s'était formulé à elle-même qu'elle aimait Jean, tout avait sensibilisé Valrose à un point extrême.

Elle éprouva de ce revoir une émotion délicieuse,

Jean s'en aperçut. Elle l'aimait donc ? Cet espoir lui donna un trouble tendre. Les sentiments qu'il avait cultivés pour elle dès le preinier jour ne demandaient qu'un léger encouragement pour déborder.

Le charme de sa jeunesse est augmenté de tout l'éclat d'une passion naissante, et les témoignages qu'il sait en donner ont la grâce engageante d'une timidité heureuse.

Valrose eut un éblouissement. L'amour!

C'était l'amour!

VI

Mais Valrose n'était pas femme à se laisser griser par les douceurs d'une jeune tendresse, sans regarder à quoi elle pouvait se laisser entraîner. Ou plutôt, il n'était pas question pour elle de se laisser entraîner.

Elle aimait, soit. Jean de Chaudieu l'aimait aussi, sans aucun doute, bien qu'il ne lui eût pas dit : « Je vous aime. »

Eh bien, était-ce une raison pour bouleverser son existence, pour y changer quoi que ce fût? Elle saurait bien empêcher que Jean dépassât la limite des douces attentions permises, et, quant à elle, cet amour enchanterait, éclairerait sa vie intérieure, serait l'intérêt tendre et gai de ses trente ans.

Sans doute, il faudrait veiller à ne laisser prise à aucun attendris

sement.

Elle veillerait.

VII

Dès le premier jour je vous ai aimée. Aujourd'hui je vous le dis, parce que je sens votre cœur plus attentif aux choses tendres. Il me semble que, depuis quelque temps, il s'est glissé une douceur dans l'honnêteté de vos yeux. N'est-ce pas qu'il était impossible que nous ne nous aimions pas ?

Bach-Sonian se pencha souriant et ému vers Valrose. Ils étaient assis dans le verger sur un banc qu'ombrageaient des marronniers aux fleurs roses. L'atmosphère était lourde, et tout était dans ce silence angoissé des heures anxieuses qui précèdent l'orage.

Valrose, d'un geste hésitant, posa sa main sur le bras de BachSonian et leva sur les siens ses yeux graves.

D'un geste brusque il lui prit les mains et interrogea anxieusement son regard. Elle ne le détourna pas.

Ce fut une minute très longue. Tout ce que des yeux peuvent se dire d'amour et de compassion, de douleur et d'affectueuse compréhension, ces yeux-là se le dirent, en langage clair, clair comme les larmes non versées qui rendirent éblouissants les yeux de Valrose.

Bach-Sonian appela à l'aide toute sa volonté, se redressa.

En silence, Valrose l'accompagna jusqu'à la grille. Elle cucillit une rose d'or qui fleurissait auprès, et la lui tendit.

C'est pour Iseult, dit-elle doucement.

- Elle sait, répondit-il.

Et d'un geste infiniment caressant et souple, il effleura la bouche de Valrose avec la rose d'or.

VIII

Le lendemain, comme presque chaque jour, Valrose se rendit chez madame Bach-Sonian.

Elle avait beaucoup réfléchi à l'attitude qu'elle devait prendre envers Edouard qui aimait, et Iscult qui savait. Après tout, elle n'avait qu'à être elle-même, en toute franchise et simplicité. S'il y avait des gens avec qui il était permis d'être soi même, dans une situation aussi délicate, c'était bien avec ces deux êtres si peu banals, si simples dans leur complexité.

Iscult la reçut, dont les yeux insondables semblaient plus que jamais déborder de mélancolie.

Oui, ces yeux-là savaient.

Valrose, d'un mouvement spontané, lui prit la main et la baisa.

Que voulez-vous ! lui dit Iseult de cette voix légère comme un souffle et si touchante dans son émotion réfrénée : ce n'est pas votre faute si vous ne l'aimez pas !

[ocr errors]

Valrose ouvrit de grands yeux presque indignés.

Mais vous, Iseult?

Je ne veux pas qu'il souffre, dit Iseult simplement.

Valrose songea profondément, puis elle dit:

[ocr errors][merged small]

Il faut donc que je l'aime ?

Oui. Puisqu'il vous aime.

Et Valrose songea encore profondément, puis elle s'écria avec véhé

mence :

Mais, Iseult, c'est impossible ! Il ne peut pas m'aimer ! Il vous aime : je le sais, je le sens ! Et comment peut-il en être autrement ! Vous êtes depuis toujours, j'imagine, nécessaire à sa vie, — il a formé votre esprit, votre âme le complète. Je ne puis me l'imaginer sans vous !

- Chère, répondit Iscult, il m'aime beaucoup, c'est vrai; mais il vous adore; je suis sa consolation, mais vous êtes sa joie ! Je suis sa chose vous êtes le désir de son cœur... Il ne faut pas être jalouse de moi.

Valrose, pour toute réponse, glissa aux genoux d'Iseult, et d'énervement tendre, d'admiration indignée, pleura de tout son cœur. Une pareille résignation la bouleversait.

Sa forte personnalité s'en révoltait presque et, séchant ses larmes.

tandis qu'Iseult, de ses longues mains habiles, caressait ses cheveux, elle lui dit avec une voix raffermie :

- Voyons, Iseult, c'est de la folie ! Votre beau-frère m'aime, ditesvous, et vous voudriez que je l'aime pour qu'il soit heureux. Ce n'est pas normal, car vous l'adorez; vous ne devez pas le céder ainsi à un caprice, ou même à un autre amour. Dans l'excès de votre mystique douleur, vous chérissez votre chagrin. Et moi je dis qu'il ne faut pas ! Il n'y a pas sur la terre pour lui d'être aussi charmant, aussi désirable que vous. Ille sait; il faut seulement qu'il s'en ressouvienne. Désirable! dit Iseult avec sa voix pure, désirable! Il ne peut me désirer, puisqu'il m'a toujours.

-Les fats, s'écria Valrose. Mais on ne peut posséder d'un être l'âme ou le corps! On les pénètre un instant, voilà tout, et encore ! Tenez, dit-elle en se relevant, je m'en vais pour aujourd'hui, je suis un peu secouée. Adieu.

Elle était à la porte. Brusquement elle se retourna, et mettant ses mains aux épaules d'Iseult :

Est-ce qu'on aime pour toujours? demanda-t-elle.

Dans les yeux profonds d'Iseult passa une grande onde de voluptueuse douleur.

Valrose ne demanda pas d'autre réponse.

Et ce fut ce jour-là que, sous la pluie de fleurs fragiles que semait le vent d'orage, elle se dit :

[ocr errors]

Chaque fois qu'on aime, il faut que ce soit pour toujours.

IX

<< Mais quand Zarathustra fut seul, il se dit en son cœur: Est-ce « possible! ce vieux saint dans la forêt, ne sait pas encore que Dieu « est mort. »

Edouard s'arrêta de lire et leva les yeux. Iseult, la physionomie immobile, les bras croisés, regardait droit devant elle.

Dans quel abîme sans fond?

Valrose, les coudes appuyés à une grande table de bois noir, la tête dans ses mains, ne bougeait pas.

Edouard se leva, déposa doucement le livre qu'il lisait et, allumant une cigarette, se mit à marcher de long en large. Sa physionomie exprimait un souci de compassion, comme peut en ressentir une grande personne à la vue de la souffrance passagère et nécessaire d'un enfant aimé.

Il y avait longtemps pour lui que Dieu était mort. Il avait surmonté l'effroi et la tristesse immense de cette constatation. Il savait que Valrose ne croyait plus, mais qu'elle n'osait se regarder en face.

Bien souvent, depuis ces mois qui venaient de s'écouler, leur conversation avait roulé sur ces sujets sacrés; bien souvent le scepti

« AnteriorContinuar »