Imágenes de página
PDF
ePub

une vie réelle, des usages, une discipline, un cérémonial, un costume, des bannières et il nous semble vivre, dans ces pages émues de souvenirs, au milieu de la foule bariolée et pittoresque des corps de métiers du temps de Hans Sachs. Les corps de métiers ont disparu sous l'action du nouveau régime du travail. Les universités scules ont con servé les traditions d'antan.

Nous retrouvons l'étudiant allemand dans sa vie de tous les jours à la Kneipe (brasserie de la corporation), à la Restauration, au FechtBoden (salle d'armes). L'auteur nous fait assister à des duels à la rapière et aussi à des duels de bière (Bier-Mensur) les seconds autrement redoutables que les premiers. Car la condition première pour appartenir à une corporation est d'avoir un estomac d'une capacité respectable qui puisse supporter les beuveries gargantuesques auxquelles il est quotidiennement soumis. Tous les jours, absorption d'un nombre fantastique de Seidel (chopes) entrecoupées d'éructations et suivies le lendemain de Katzenjammer (cris de chats) — mal aux cheveux.

Cependant, par des voies inexplicables, cette truculence s'unit à un sentimentalisme nébuleux absolument immatériel. Caractéristique de l'âme allemande si peu modifiée depuis Luther.

L'enseignement à tirer ici pour nous, c'est l'entente cordiale entre les corporations; le lien solide qui unit ces jeunes gens établit un contact immédiat entre eux et leurs maîtres et donne à l'enseignement une force de pénétration que n'ont pas les leçons de nos universitaires professées devant un public anonyme. Naturellement un tel résultat n'est possible que si la vie intellectuelle n'afflue pas sur un point unique. Or, en Allemagne elle est partout aussi vivace, à Berlin, Koenigsberg, Iéna, Cassel, Würzbourg, Kiel, etc. Chez nous, malgré des tentatives récentes, on n'a guère réussi à refouler un peu de la vie intellectuelle du centre à la périphérie.

Je note dans le livre de M. Durand-Morimbau une jolie anecdote. Lorsque l'auteur fut présenté à la corporation dont il devait faire partie, les étudiants allemands chantèrent pour la circonstance une chanson française qui se trouve depuis un temps immémorial - par quel singulier hasard ? dans le Lieder-Buch des corporations. J'en donne ici un couplet :

En Angleterre nous irons

Chercher la guerre sans flacons!
C'est pour le prouver de l'artillerie,
Aic, aïe, aïe!

Ah! ce brave compagnon

Compagnon!

Qui sait tirer sans canons!!

Impossible de deviner, dans cette jeunessc si accueillante et si fraternelle pour un Français, les hommes, qui huit ans après, fouleront le sol français, fanatiques d'unc idée fixc héritée de leurs pères :

venger Iéna. Et la vérité apparait ici clairement, que les haines de la Prusse ne sont pas les haines de l'Allemagne et que la Bavière et nombre de petits Etats furent employés de force par la Prusse à son affaire particulière.

MÉMENTO BIBLIOGRAPHIQUE

[blocks in formation]
[ocr errors]

HENRI LASVIGNES

Guillaume Dall: Christine Myriane, Ollendorff, 3 fr. 50.

- Jean Royère: Exil doré, Vanier, 3 fr. - Charles-Adolphe CantacuChimères en danger, Perrin. Paul Hubert: Verbes mauves, Léon Delabonne : Dans le vent, Vanier, 3 fr.

THEATRE. · Armand Ephraïm et Jean La Rode: L'Incendie de Rome, Ollendorff, 3 fr. 50. Gabriel Trarieux: Joseph d'Arimathée, Fischbacher. Louis Payen: Vers la Vie, Montpellier, Firmin et Montane. · Henri Mazel: L'Hérésiarque, Mercure de France, 3 fr. 50. E. Grenet-Dancourt et Gaston Pollonnais: Celle qu'il faut aimer, Ollendorff, 1 fr. 50.

HISTOIRE.

[ocr errors]

Frédéric Masson: Napoléon et sa famille, II (1802-1805). Ollendorff, 7 fr. 50. - Frantz Funck-Brentano: Légendes et Archives de la Bastille (préface de Victorien Sardou), Hachette, 3 fr. 50.

PHILOSOPHIE. Christian Cherfils: Un Essai de religion scientifique (Introduction à Wronski, philosophe et réformateur), Fischbacher, 5 fr.

SOCIOLOGIE. Dr. Léon Winiarski: Essai sur la mécanique sociale, Revue Philosophique.— A. Hamon : Déterminisme et Responsabilité,“Schleicher, 2 fr. 50. SCIENCES PSYCHIQUES. - Guillaume de Fontenay: A propos d'Eusepia Paladino (les séances de Montfort-l'Amaury, 25-28 juillet 1897), compte-rendu, photographies, témoignages et commentaires, Société d'Editions scientifiques, 6 fr. - La Sainte Bible polyglotte contenant le texte hébreu original, le texte grec des Septante, le texte latin de la Vulgate et la traduction française de l'abbé Glaire avec les différences de l'hébreu, des Septante et de la Vulgate, des introductions. des notes, des cartes et des illustrations, par F. Vigouroux, prêtre de Saint-Sulpice (Ancien Testament, tome I, le Pentateuque, 1r fascicule, la Genèse), Roger et Chernoviz.

PHILOLOGIE.

CHRONIQUE. Alexandre Hepp: Les Quotidiennes lettres anonymes, Flammarion, 3 fr. 50.

CRITIQUE.

-

[ocr errors][merged small]

Henri Hantz: Le Symbolisme et la Poésie symboliste, Constantinople, Levant Herald and Eastern Express. 1.-L. Gondal, S. S.: La Provenance des Evangiles, Roger et Chernoviz. Louis Guétant: Réponse à M. Soleilhac, Stock. Albert Soubies: La Musique en Russie, Henry May, 3 fr. 50. VOYAGES. Jean Carol: Chez les Hova (Au Pays rouge), Ollendorff, 7 ́fr. 50. Dieppe, Rouen, Julien Lecerf.

DICTIONNAIRES. Paris-Hachette (1.000 gravures, 4.000 articles, 100.000 adresses, (Hachette, 3 fr. 75. — Anuariò de la Prensa Argentina, Jorge Navarro Viola, Buenos Aires.

LITTÉRATURE ITALIENNE.- Felice Cavallotti: Italia e Grecia, Catania, Niccolo Giannotta, I fr. Luigi Capuana : L'Isola del Sole, id., id., id. Cesare Lombroso: In Calabria, id., id., id.

LITTÉRATURE ANGLAISE.

Alexander Pope: The Rape of the Lock, an heroicomical poem in five cantos (embroidered with eleven drawings by Aubrey Beardsley), London, Leonard Smithers. Good reading about many books selected by their authors (third year), London, T. Fischer Unwin. With the « Red vans » in 1897, London. Office of the english Land Restoration League, 1 penny. - Benjamin Swift: The Destroyer, London, Fischer Unwin, 6 sh. NOUVEAUX PÉRIODIQUES. Le Midi fédéral, social et littéraire, hebdomadaire, 1. place du Capitole, Toulouse, 5 cent.- Bulletin mensuel de la Société d'Etudes féminines. 29, rue de Richelieu, Paris.- Le Droit de vivre, hebdomadaire, 12, impasse Briare, Paris, 10 cent. Revue universitaire (nouvelle série), organe international d'Enseignement supérieur, mensuel, 26-28, rue des Minimes, Bruxelles, I fr.

[blocks in formation]

Valrose

PREMIÈRE PARTIE

I

«Chaque fois qu'on aime, il faut que ce soit pour toujours! » De légères fleurs de cerisiers tombaicnt. Valrose se baissa pour en ramasser quelques-unes qui gisaient à terre comme de petits papillons morts. Un vent aigre courbait tous les arbres fleuris; leurs branches noires se détachaient à peine sur les nuages du ciel lourd. Pourtant, le printemps était avancé; les lys fleurissaient et les iris mauves; les premières roses aussi tentaient de s'ouvrir. Quand le vent se calmait, quand brusquement un rais de soleil perçait l'opacité triste du ciel, on entendait la voix rapide et claire d'un ruisseau qui courait dans le verger. Et c'étaient, dans les arbres fruitiers, par les allées bordées de lauriers-roses et d'orangers, de grands cris d'oiseaux et des chants. Valrose considéra le ciel, hocha la tête, regarda autour d'elle. Puis, sa voix fraîche retentit.

[ocr errors][merged small][merged small]

D'une stature au-dessus de la moyenne, elle marchait harmonieusement, la tête très droite, dans une pose un peu hautainc.

[blocks in formation]

Ses cheveux d'un châtain chaudement accentué s'ébouriffent aux rafales. Elle marche, aspirant largement des odeurs que le vent arrache au cœur des fleurs courbées, qu'il porte un instant et rejette_violemment à tous les coins du ciel.

Maman, maman !

Ma petite fille chérie !

Une petite fille court vers elle, qui lui sourit pleine d'une grâce vive; elle lui tend les bras et Lottie se précipite aussi vite que peuvent la porter ses petites jambes de six ans. Elle la soulève, la prend dans ses bras, et, comme la pluie commence à tomber, elle l'emporte en courant.

[ocr errors]

Valrose a trente ans. Elle est veuve.

D'un mariage dont les joies d'amour, les chagrins complexes ont été intenses, elle sort trempée, dégagée de maintes entraves de monde. d'éducation.

Son humeur est franche, droite, d'un jet. Altière en elle-même et

portée au mépris des détails, elle dédaigne son propre orgueil. Peu l'entrave son opinion de la veille, ou même celle de la minorité intelligente.

Elle a lu, réfléchi. Elle en est, moralement, à ce point, où l'esprit, déçu par la vanité des vieilles formules, hésite, épris de vérité pure, mais craint de se trouver nu, faible et veule, en face d'une déité terrible au visage dur.

Elle croit le bonheur possible, un bonheur âpre, conquis par la volonté et l'intelligence. Elle le conçoit dans le développement harmonieux de toutes les forces que la nature a mises en nous. C'est une lutte, une action forte; ce n'est pas un repos.

Depuis deux ans qu'elle est veuve, sa vic est uniforme et facile. Elle vivait seule, sérieuse et réfléchie, dans ses travaux intellectuels. Et sans qu'elle s'en doutât; son cœur reposé attendait.

III

Cette année-là, son deuil était fini, Valrose retourna un peu dans le monde.

Et tout d'abord le destin jeta les Bach-Sonian (1) au travers de sa

route.

Elle, d'expression suave et grave, avec, au fond du sourire, quelque chose d'effréné, au fond des yeux je ne sais quoi de meurtri et comme d'irréparable.

Bien qu'elle cût un corps élégant et fut faite sur le modèle des femmes longues et droites des primitifs, on croyait toujours la voir penchée et repliée sur elle-même. Elle avait la voix la plus douce qui fût : un degré au-dessus du silence. Ses mains diaphanes, minces. longues, avaient des façons de se mouvoir caractéristiques d'une profonde et savante sensualité.

Lui, était d'une race forte, avait une physionomie saine d'homme du nord, la grâce molle d'un grand ours; et, dans le petit œil bleu froid, comme aussi dans la forme de la mâchoire, quelque chose d'un jeune requin. Sa voix était pure et douce. Ses mains, comme celles de sa belle-sœur, avaient une physionomie, étaient expressives au suprême degré. Il parlait peu et lentement, mais son mot était toujours pittoresque ou technique.

(1) Madame Bach Sonian avait épousé le frère de M. B.-S, dont il est question ici. Elle était veuve depuis quelques années; elle continuait à vivre, comme du temps de son mari dans une intimité très grande avec son beau-frère. Ils demeuraient comme alors porte à porte. L'extrême réserve de leurs manières, la façade parfaite qu'ils surent toujours mettre entre eux et le monde empêcha celui-ci d'aller plus loin que d'exprimer quelques suppositions. Encore portaient-elles surtout sur l'étonnement qu'on éprouvait à ne pas les voir s'épouser. Il est pos· sible qu'ils finissent par le faire, si Edouard de Bach-Sonian renonce, comme il est probable, à espérer de se faire aimer de Valrose.

Il parlait pour dire quelque chose, et son geste peu abondant, mais infiniment souple et descriptif, ajoutait à sa parole de l'au-delà, brisait la forme sèche un flot d'imagination s'en échappait.

Valrose, profondément intéressée par l'aspect compliqué et mysté rieux de ces deux êtres, répondit avec intérêt à leur accueil très fran chement attirant. Incapable de jouir simplement et sans arrière-pen. sée d'une société subtile et rare, elle s'acharna à la divination de l'énigme qu'ils étaient pour le public.

Iseult de Bach-Sonian, pensa Valrose après quelques mois, vit, jouit, souffre, se meurtrit d'amour pour son beau-frère, d'amour immense, profond, vif, sensible et sensuel, toujours neuf, toujours saignant, conscient jusqu'à l'acuité. En vérité, elle a donné vie, sens, cœur, volonté, âme à cet amour. Si elle n'en meurt pas. c'est que les sources de la vie ne correspondent pas aux fibres profondes des âmes!

Pour lui, Edouard, la clef de son mystère est celle-ci : la sensualité, la jouissance intelligente et raffinéc, légère et profonde, intellectuelle et physique et artistique, sceptique et ardente.

IV

Au moment où Valrose s'adonnait au charme émotif de la société des Bach-Sonian, un être apparut qui l'arracha à cette absorption, qui, à côté de la vie mentale, vivement excitée par ces cérébraux, créa dans son cœur et dans ses sens un autre courant de vic.

C'était presque n'importe qui. C'était un de ces êtres que leur manque de réelle personnalité abandonne plus tard en pleine banalité. Mais, au moment de leur jeunessc, il font naître quelque espoir, par la réceptivité de leur intelligence, par leur qualité de charme, par cette beauté inconsciente et ardente que dégagent certaines aubes de vie et que l'amour développe et élève momentanément au-dessus de leur vraic nature.

A ces aurores, l'amour, vite allumé, flambe joyeux et léger, sans aucune complication que le désir du moment, la joie d'éprouver des sensations nouvelles et plus raffinées, le petit attendrissement presque humble, mais bien inconscient encore, de se sentir quelqu'un,- puisqu'ils aiment, la peur naïve que toutes les femmes soient les madones qu'elles paraissent et le désir qu'elles le fussent. Leur geste n'a pas d'importance, est instinctif, irraisonné il souligne peut-être, mais n'explique rien. Leur silence ne recèle aucun mystère; c'est l'hypnotisation de la poule sur le ruban de craic. Ils rêvent peu, et, s'ils rêvent, c'est comme lorsqu'ils pensent, la plupart du temps cela n'a qu'un intérêt local.

:

Oui, Jean de Chaudicu, à tout prendre, est bien l'intelligent quelconque...

Mais c'est de la jeunesse ! Les yeux charmants sont frais et neufs.

« AnteriorContinuar »