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avec les deux poèmes antérieurs, et les changements d'impressions qui pourraient survenir à une publication totale de l'œuvre dans laquelle l'auteur pourrait ajouter des clartés. Les Campagnes hallucinées, c'est le livre des campagnes bues par la ville, toutes forces vives attirées par le travail de la ville, la séduction des Bourses qui fait déserter les champs. Les Villes tentaculaires chantent l'énormité des villes, mais aussi les misères, les débauches fatales, les souffrances, nécessairement occasionnelles, des trop grands groupements; les villes sont des fourmilières de crimes et de misères sur lesquelles planent les idées.

Sur la Ville d'où les affres flamboient
Règnent, sans qu'on les voie

Mais évidentes, les idées.

Ces trois vers terminent les Villes tentaculaires, et après commencent les Aubes.

La campagne est nue, dévastée, les horizons incendiés; l'ennemi a mis le feu, le paysan lui-même, harassé de son labeur inutile, a propagé le fléau. Dans cette rase étendue de douleurs, des cortèges alternent: ce sont des mendiants, des ouvriers, des paysans chassés par l'ennemi, et tous s'en vont vers Oppidomagne la grande ville, Londres, París, Babylone, la grande ville, seule force restée debout, seule densité puissante dans le pays, la résultante énorme et riche d'un temps ой

Tout appartient à la houille, terrée

Jadis dans la nuit close.

Des rails noueux, sur les plaines armées

De signaux d'or, se tordent;

Des trains rasent les clos et perforent les bordes :
Les cieux vivants sont dévorés par les fumées ;
L'herbe saine, la plante vierge et les moissons
Mangent du soufre et des poisons.

C'est l'heure

Où s'affirment, terriblement vainqueurs,
Le feu, les plombs, les fontes ;

Et l'on croit voir l'enfer qui monte!

Et, parmi ces cortèges, un est funéraire : c'est celui de Pierre Hérénien, le père d'Hérénien, le tribun d'Oppidomagne; on mène le vieillard mourir chez son fils; mais ses instants de viene le permettront pas, et le vieil Hérénien meurt dans la plaine, les yeux tournés vers l'énorme incendie qu'il prend pour le soleil et dont il dit, en croyant ressentir la divine chaleur de l'Astre: « Je la devine, je l'aime, je la comprends; c'est d'elle qu'à cette heure même sortent les seuls renouveaux encore possibles! » Hérénien, suivi de toute la campagne, de tous les cortèges, se dirige avec ce corps vers Oppidomagne: on ne l'y laissera entrer que seul, la ville est trop peuplée. et n'a de place que pour ses

habitants et ses soldats. D'absorption trop énorme elle est devenue farouche et solitaire.

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A l'intérieur d'Oppidomagne, un gouvernement et des soldats, un tribun, Hérénien, et une foule, et bientôt une armée assiégeante. Le drame devient double, il y a celui du tribun et de sa foule impatiente de ne plus souffrir, avide de résultats immédiats, et celui qui se joue entre Hérénien le tribun, la force par la pensée, et le gouvernement, le puissance par le fait. Il arrivera, une fois encore, que les sages, les puissants, les constitués tromperont les croyants des fois nouvelles. Ona fait de telles promesses à Hérénien, des promesses de bien public, qu'il rallie aux pouvoirs le peuple, qu'il arrache le peuple à la grève pour le mener à la défense. Trompé par le pouvoir, il est honni par le peuple, et les pierres cassent ses vitres, et les injures accompagnent son nom. Mais bientôt, désabusé, sûr de sa bonne foi, le peuple lui revient, et voici le projet que mûrit Hérénien: pour le bien de tous, détruire les patrics, réunir les défenseurs et les assaillants d'Oppidomagne par la communion en ses idées. Et les portes de la ville s'ouvrent aux ennemis désarmés, et la paix et la fête succèdent à la guerre, et la guerre est tuée; mais des coups de fusil gouvernementaux ont, ce jour même, tué Hérénien. Vers son cadavre, exposé dans une festivité nouvelle, on fait rouler les débris de la statue de la Cité, emblème de l'état de choses que sa vie et sa mort ont détruit.

Tel est, en ses grandes lignes, ce drame violent, sonore, pas neuf de tendances, pas très neuf d'éléments, et qui porte cependant, en sa combinaison, en son amalgame, des caractères d'énergie renouvelée ; intéressant, curieux par son style puissant et saccadé, singulièrement impur, parfois baroque, mais puissant, élevé, lyrique. Ca roule de tout, mais ça roule en torrent.

La tessiture de ce style est en prose coupée de vers; la prose se resserre en vers lyriques quand elle veut devenir formelle, quand elle veut gesticuler; mais encore pas toujours; à des scènes, les paroles capitales sont en prose et les hors-d'œuvre sont en vers. On dirait que Verhaeren n'a pas, sur cet emploi alterné du vers et de la prose, des notions fixes, et pourtant il serait difficile d'indiquer un endroit où il se soit nettement trompé, ce qui prouve qu'en dehors de la technique et même du sujet, il y a là une force qui s'agite, qui gronde et qu'on écoute à travers les lignes et les vers, malgré les gaucheries, les bizarreries, les complications inutiles, les départs inexplicables de la tirade en vers et le défaut de transition de la prose au vers. Ce n'est pas aussi neuf que l'a cru l'auteur, ce n'est pas bien fait (même en acceptant son esthétique, bien entendu), et pourtant c'est d'un énorme mouvement. En son mélange de défauts et de qualités, cette œuvre est très représentative de la robuste et luxuriante création de Verhaeren. Il voit (de procédé) avec des verres grossissants; mais, en voyant énorme, il a souvent la chance de se hausser à l'épique.

GUSTAVE KAHN

LA PHILOSOPHIE

Intro

CHRISTIAN CHERFILS: Un essai de religion scientifique. duction à Wronski, philosophe et réformateur, par Christian Cherfils (Fischbacher) (1).

« O toi qui flottes autour du vaste monde, combien je sens que je t'approche, infatigable Esprit ! » - « Tu ressembles à l'Esprit que tu conçois, pas à moi. » En ce cri exalté de Faust, en cette réponse glacée de Méphistophelès, « l'esprit qui toujours nie, » l'admirable génie de Goethe a concrété toute la passion métaphysique de l'humanité venant se heurter à l'objection péremptoire que Kant le premier formula. L'homme peut-il appréhender une réalité objective à travers les formes de sa connaissance? Le désir métaphysique répond oui, mais la Critique de la raison pure répond non et exile le moi de l'Univers. On sait qu'à peine ce bannissement prononcé, le second Kant, celui de l'impératif catégorique, s'ingénia à révoquer sa première sentence. A sa suite, Fichte et Schelling s'efforcèrent de renouer les relations de naguère entre le moi et le monde extérieur. L'œuvre de Wronski est une tentative analogue pour rompre l'exil.

Wronski, nous dit M. Cherfils, fut le premier Kantien de langue française. Mais, à ses yeux, l'œuvre propre de Kant consiste moins à avoir fait du temps et de l'espace une dépendance stricte du sujet, qu'à avoir considéré les connaissances rationnelles «< comme étant des fonctions propres de notre savoir, n'ayant en elles-mêmes aucune réalité extérieure, n'étant rien en dehors du savoir. » L'erreur de Kant est d'avoir déduit que ses connaissances n'avaient point de réalité objective. Wronski conclut à leur inconditionnalité. Indépendantes de toute réalité extérieure, elles échappent par là à toute relativité, elles ont une valeur transcendante. Leur vérité ne dérive pas du principe de causalité, mais se fonde antérieurement à ce principe, et implique une certitude absolue. L'antinomie entre l'être et le savoir n'apparaît pas encore ici conciliée. Pour la résoudre, Wronski conçoit, avant cet état de distinction entre être et connaissance, un état de savoir absolu, tel qu'il est en Dieu, et comme conséquence de ce caractère absolu, une identité primitive entre l'être et le savoir. En cet état, « le savoir inconditionnel opère en lui-même la séparation du savoir et de l'être et il introduit ainsi spontanément, dans cette identité primitive, la diversité primitive résultant de cette opposition entre le savoir et l'être. » Le savoir est donc créateur de lui-même, tant dans son état d'identité primitive avec l'être qui constitue son inconditionnalité, que dans son état de diversité primitive, état dans lequel le savoir et l'être se conditionnent réciproquement, sont relatifs l'un à l'autre.

Telle est la loi de création posée par. Wronski. Pour qui l'accepte, l'antinomie entre l'être et la connaissance fait place à une correspon

(1) V. sur Wronski mathématicien, La revue blanche du 1o mars 1897, et sur Wronski philosophc, La revue blanche du 15 avril 1897.

dance de ces deux termes entre eux. C'est là à vrai dire un système d'idéalisme absolu dans lequel, l'une des deux données du problème est absorbée par l'autre, et qui aboutit logiquement à cette définition, << la réalité est la chosc sue », et, à cette conception transcendante de « l'être expliqué ou construit par le savoir. >>

D'accord avec Kant, pour inférer de l'inconditionnalité des lois morales, leur caractère impératif, Wronski rattache le problème religieux, par le chaînon de la morale, au problème philosophique et résout l'un par l'autre. La certitude mathématique, introduite dans la philosophie, va se substituer dans la religion à la croyance. Mais << si la foi est abolie par les doctrines de Wronski, c'est, énonce le commentateur, à la manière dont l'apôtre dit qu'elle sera abolie dans le ciel, par vision. » Wronski, sans distinguer entre les diverses religions, les considère quant à la propriété qu'elles possèdent en commun de révéler des problèmes « d'une infinie intensité sentimentale et d'une infinie indétermination cognitive. » Les dogmes sont pour lui des porismes religieux, c'est-à-dire des problèmes susceptibles d'être résolus. Tous, malgré leur apparente diversité, comportent une même solution. C'est ce qu'on accordera aisément. On ne saurait refuser aux dogmes, en raison même du mystère qui les enveloppe, une valeur symbolique, ni à la raison le pouvoir de modeler leur plasticité à signifier une loi morale unique, si l'être est accordé à cette loi morale. La suprématie finale de la raison est figurée dans la religion chrétienne par le paraclétisme et l'attente de cet avènement correspond au messianisme qui a pour but d'amener « la substitution du christianisme accompli au christianisme provisoire ».

Toute cette partie de l'œuvre apparaît à travers le clair exposé de M. Cherfils, d'une extrême élévation. Elle est appelée sans doute, lorsqu'elle sera plus connue, à exercer une forte influence sur nombre de cerveaux enclins à réaliser les idées dans la vie.

Cette introduction d'ailleurs était un livre attendu par la curiosité de plusieurs. Car si l'œuvre mathématique de Wronski, contestée par les uns, glorifiée par des savants tels qu'Yvon Villarceau, pour ne citer qu'un témoignage français, a passionné nombre d'intelligences, combien son œuvre philosophique ne doit-elle pas soulever un intérêt plus direct! Or, elle est d'un accès si peu aisé que depuis un demisiècle, elle est demeurée presque secrète et que, si l'on excepte quelques ouvrages étrangers le livre de M. Cherfils est le premier à nous en donner une vue d'ensemble. Tâche ardue, et dont il faut féliciter l'auteur d'avoir assumé l'effort. Car la pensée de Wronski, universelle quant à son objet, n'a pas été condensée par lui en un bloc qui nous en dévoile d'un seul coup l'ordonnance et nous en livre la compréhension. C'est parmi la multiplicité des traités et des opuscules que l'auteur de cette introduction a dû rechercher les éléments du plan. général dont il détermine les lignes.

Ce livre comble donc une lacune; il ne saurait manquer, par les horizons qu'il fait entrevoir, d'inspirer le désir d'unc initiation plus

complète à deux catégories de lecteurs. Les uns seront attirés vers l'œuvre de Hoëné Wronski par l'espoir d'y trouver une solution positive à leurs préoccupations métaphysiques, et les autres résolus à ne se point départir, à l'égard de tels problèmes, d'une attitude contemplative, seront du moins tentés de considérer pour sa beauté architecturale, cette construction idéologique qui décèle un des plus vigoureux efforts de l'esprit humain pour se réaliser dans l'absolu. JULES DE GAULTIER

LES VOYAGES

FÉLIX HAUTFORT: Au Pays des Palmes, Biskra (Ollendorff). Cavalcades, danses nocturnes au son des fifres et des cornemuses, au fracas des tams-tams et des derboukas; rues saintes, par bonheur profanes, où des almées à l'œil cerné de koheul, frôlent le voyageur en lui soufflant au visage la fumée de leurs cigarettes; panoramas, jardins publics où soixante-douze variétés de palmiers se pressent, laissant à peine filtrer le regard sur l'infini bleu ; kaouadji, cafés silencieux et clos où l'on vient s'étendre sur des nattes; quinconces de citronniers et d'orangers qui embaument; horizons où le soleil chavire dans un océan d'or; fantasia, « chevauchée surhumaine, filant dans un nuage de poussière comme des formes irréelles que balaierait un vent de bourrasque »; chasses au faucon ; oasis... Dans tous les coins, à tous les spectacles, dans tous les lieux avoisinant Biskra, reine du désert, avec un peu d'emphase, mais du talent. M. Hautfort promène nos illusions.

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Nous tournons la page : « Les eaux de Biskra sont diaphorétiques, diurétiques et résolutives... Elles agissent très heureusement sur un certain nombre de maladies, parmi lesquelles nous citerons le catharre de l'appareil respiratoire, le lymphatisme, la scrofule, la syphilis, les affections catarrhales des bronches et du larynx, les maladies de l'utérus, sauf en cas de congestion... Depuis un an environ, la Compagnie qui a créé le casino, a fondé un établissement de bains... Un tramway Decauville, confortablement installé, circule plusieurs fois par... >>

Perle du désert, adieu!

EDMOND COUSTURIER

ERNEST DURAND-MORIMBAU: Une Université allemande avant la guerre (Paris, Clerget, éditeur).

Bien qu'il ne m'appartienne pas de parler des publications françaises, sous cette rubrique, je voudrais dire cependant quelques mots du charmant petit livre de M. Ernest Durand-Morimbau qui nous présente d'une façon très vivante le monde d'une Université allemande, il y a trente-cinq ans, avant Sadowa et Sedan.

Dans le cadre coquet de la petite ville de Würzbourg sur les bords du Mein, nous voyons les étudiants groupés en corporation autour de leur Université. Ces corporations ne sont pas une étiquette, clles ont

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