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Il détestait le vague, l'indécis, tout ce qui est mystère. Les plus beaux vitraux, même les nuances des verres antiques iridisées le laissaient froid. Dans la littérature, il sautait d'un bond de l'époque d'Auguste (voir son émouvante traduction de l'Ave atque vale de Catulle) aux écrivains français du XVIIe siècle. Il mangeait, buvait ce qu'on lui présentait, sans préférences.

Tout enfant, Beardsley manifesta un talent extraordinaire pour la musique.

Il était recherché dans les salons. A douze ans, il fallut que le petit Aubrey renonçât à sa gloire de pianiste pour entrer au collège, devenir un lettré, subir l'infortune de porter un nom que ses compagnons pouvaient trouver ridicule.

Huit ans plus tard, éclosion des plus remarquables. Tout de suite il eut une popularité. Les dramaturges de music-halls ornèrent leurs strophes de son nom. Les éditeurs soucieux de faire fortune offrirent leurs soins. Les costumes de femme s'arrangèrent à son vouloir. Les concerts wagnériens se peuplèrent de ses types. Et lui... ne faisait que dessiner, sans s'émouvoir, n'était qu'Aubrey Beardsley.

Survinrent les théories; on finit par l'expliquer. Pour les uns, c'était un monstre qui voyait tout de travers: que voulaient dire, par exemple, ses faunes vêtus de dentelles? ses femmes hideuses et bien convaincues de leur attrait, ou belles à l'air screin, impitoyable? Selon les autres, il fallait patienter, attendre: Beardsley deviendrait sage; bientôt, las d'étonner les bonnes gens, quand sa drôle d'imagination serait fatiguée, il dessinerait comme tout le monde ; il se montrerait enfin sérieux.

Sérieux! Que voulaient-ils, ses juges, ses admirateurs? Son sérieux était justement de se moquer, mais gentiment, sans nuire. On eût beau attendre autre chose de lui. Il trouvait ses modèles au hasard, les envisageait de sa façon à lui; et, quand il ne voulait pas se déranger, il se prenait lui-même pour modèle. De là, ces stupides déchiffrements de ses symboles.

On a appelé sa Mort de Pierrot une « triste biographie »; de même pour d'autres de ses compositions. Certes, le Pierrot qui meurt, c'est Beardsley; et dans ce groupe de personnages qui auprès du lit marchent sur la pointe des pieds, qui mettent le doigt sur la bouche, il a tourné tout simplement au profit de son art les signes évasifs, les apitoiements dissimulés qu'un malade perspicace sait surprendre autour de lui. Mais, c'est le symbole même qui intéresse l'artiste, et non par ce qu'il symbolise.

Dans les neuf pages qu'il a faites pour l'illustration du Rape of the Lock d'Alexandre Pope (pages du reste au premier rang de ses meilleures) tout est charme (faut-il dire l'insigne distinction de toute ligne qu'il traça?), tout est propre, bien portant, de bonne mine. Ce n'est pas que la sagesse se montre enfin; c'est plutôt que là, l'innocente indispensable moquerie était présente déjà, dans le poème.

L'œuvre de Beardsley se trouve un peu partout: dans les revues : the Savoy, the Yellow Book; dans quantité de livres publiés. On trouve aussi, chez Smithers, une collection de cinquante dessins. qui contient d'ailleurs un catalogue de ses images rédigé tant bien que mal.

Il y a un an, il s'était fait baptiser. Son naturel se déclara immédiatement dans l'étude acharnée qu'il fit de Bossuet, de Saint Alphonse de Liguori. Il aima les prières composées par Saint Thomas d'Aquin.

Dès son arrivée à Menton, durant l'automne de 1897, le renom de sa douceur, de sa résignation se répandit. Et pendant le martyre de ses derniers huit jours, ces jours de sang étrangleur vomi à slots, de remèdes cruels, la colonie poitrinaire, par le canal du prêtre qui le confessait, se procurait des chapelets semblables au sien et priait à la mode.

JOHN GRAY

Les Livres

LES ROMANS

MAURICE MAINDRON: Saint-Cendre (Editions de La revue blanche).
ADAM Les Tentatives passionnées (Ollendorff).

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Je ne tenterai pas l'analyse du roman de M. Maindron SaintCendre. Il est trop ondoyant, trop multiple, trop riche; et d'ailleurs tout le monde le lira. Je ne crois pas qu'on ait jamais tiré de l'histoire une fantaisie plus réaliste

et une vérité plus savoureuse. L'époque, les personnages, les décors font penser au charmant livre de Mérimée, à cette Chronique du Règne de Charles IX

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un peu surfaite à mon goûtmais si fine, si brève, si frappante. Le style, dans sa truculence joviale, évoque parfois le Capitaine Fracasse. Et pourtant ce roman a un goût spécial, bien à lui, qui ne doit rien à rien, et qui paraît composé d'éléments presque contradictoires : une abondance comme gasconne, mêlée à une précision érudite et discrète; une richesse infinie d'imagination et d'aventure, avec une pénétration forte et même sévère des personnages. Et je ne sais vraiment qu'en dire, sinon qu'il est amusant au delà de tout, particulier au point que rien n'y ressemble, qu'on peut le lire, le relire, le laisser et le reprendre où l'on voudra, en y trouvant toujours un plaisir dont on n'aura jamais de honte. On ne sait vraiment quelle place M. Maindron ne mérite pas dans la littérature où il vient de jeter une si riche et si réjouissante nouveauté.

Le roman de M. Maindron doit son titre à Louis-Alexandre de Villebrune, marquis de Saint-Cendre, qui en est l'aîné et le héros. Il est extraordinaire. On sentira revivre en lui tout ce qui peut séduire, hanter et épouvanter dans l'âme troublée de son siècle. Il fut un ami de Baïf et de Marc-Antoine Muret, fit lui-même des sonnets et des stances, pindarisa, ronsardisa, et dans son hôtel de la rue de la Hucherie, sacrifia des boucs à Bacchus parmi des courtisanes nues. Il se battit partout. aima partout, abusa de sa fortune. de ses amis. de l'in

dulgence royale, et finit par se faire calviniste, pour recommencer sa vie sur nouveaux frais. M. Maindron l'a peint avec un art étonnant de puissance et de simplicité : aimé de toutes les femmes, les aimant toutes, aimant toujours, ne pensant avant tout qu'à aimer, preste et fureteur comme Chérubin, impérieux et lassé comme Don Juan, mais sans vanité, sans rhétorique, joyeux et uni dans la séduction, attirant les femmes et poussé vers elles par une attraction simple, irrésistible et naturelle; homme de guerre, impétueux et chevaleresque dans une mêlée, mais aussi partisan retors et dur, connaissant les stratagèmes, les embuscades, goûtant les plaisanteries féroces, jouant par inutile bravade avec la vie, même d'innocents, même d'amis; élégant et brutal, généreux et sans pitié; - et toujours gardant sa verve, sa fantaisie, sa bonne humeur, avec un peu d'afféterie renaissante et de mauvais goût à l'italienne.

Il remplit le livre de ses aventures, de ses amours et de sa simple gaîté. Et les épisodes, les personnages, les paysages l'encadrent avec une variété et une vérité infinie. On goûtera le dur Clérambon, amer et sournois dans sa misogynie, avare et méticuleux, qui compte ses reîtres et ses écus, amasse dans son harem des femmes de Chypre, et consulte son astrologue avant de partir en guerre; le colossal Jean Leychanaud; Dartigois, industrieux et proverbial; Lannelet; La Bastoigne dont l'admirable caricature pourrait sortir d'un pamphlet de D'Aubigné; Croisigny dont la sobre figure est travaillée avec la précision sèche de Mérimée. Les femmes sont innombrables et charmantes: Gabrielle des Vignes, la femme de Saint-Cendre, séparée de lui, mais toujours amoureuse, inconsolable et languissante, Catherine Dartigois, Macée, Isabeau et Julie, toutes aimées et délaissées, et l'inquiétante figure de Gibonne, et Diane de Follenbrais, dont le portrait, en vingt lignes éparses, est un chef-d'œuvre. Et il faudrait citer tous les épisodes: la mort du petit page François de Champoisel qui est charmante de tendresse délicate, la vie au château de la HauteGausse, la revue des reîtres chez Clérambon; leur arrivée à Seissat. La suite des tableaux où le village de Seissat se gagne à la religion réformée est de la plus joyeuse couleur, et le portrait de « la demoiselle, maîtresse du rittmestre saxon, M. de Bernstein », est une page qu'attendent les anthologies...

Mais je devrais tout dire, tout rappeler. C'est un livre charmant. Il faut le lire, et je ne vois personne qui ne puisse se réjouir de l'avoir lu. Je crois qu'il n'y a rien de plus rare qu'un livre amusant, et dont le charme ne soit gâté par aucun scrupule. Amusant est trop peu dire d'ailleurs. Il y a dans Saint-Cendre une joie presque rabelaisienne, une joie de savant, amassée, précisée et retenue. Ce serait le plaisir d'un Sainte-Beuve d'induire de ce livre le caractère et la vie de M. Maindron qui doivent être d'une diversité bien particulière. Mais, avec de bonnes notes biographiques, un Sainte-Beuve fera cela dans cent cinquante ans.

Je suis sûr d'étonner M. Paul Adam, en lui disant à qui j'ai songé en lisant Les Tentatives passionnées. J'ai songé à Banville, à ses contes, et surtout aux Contes Féeriques. Je sens bien les différences et les contrastes: la forme de Banville si liée, si régulière, si périodique, et le style d'Adam nerveux, sensitif et interrompu; l'effort chimérique de l'un et l'effort réaliste de l'autre. Mais par la poésie ou par la pensée tous deux font du moindre conte une nouveauté, une échappée inattendue sur la vie, une création véritable. Et tous deux répandent avec une profusion égale la richesse lyrique de leur imagination. En M. Paul Adam il y a décidément, et avant tout, un poète lyrique. C'est ce que ce volume de nouvelles enseigne mieux que ses meilleurs romans. Donner une idée créatrice à chacun de ses livres, voilà qui est déjà bien rare, mais à la plus courte nouvelle d'un recueil de cinq cents pages! Le seul récit important du volume, le Seuil de la Vie, est un petit roman plein d'émotion et de vérité, où j'ai cru retrouver quelques souvenirs d'un admirable reportage publié jadis par le Journal. Et de l'œuvre entière se dégage, sous mille formes, une philosophie cohérente, tranquille, que M. Adam, à chaque nouveau livre, me paraît exprimer avec plus de certitude, de détail et de maîtrise.

LÉON BLUM

LES POÈMES

EMILE VERHAEREN: Les Aubes (Bruxelles, Deman).

Est-ce un drame? c'est dialogué, il y a des personnages et des catastrophes ; d'un autre côté, l'auteur nous prévient que les Aubes sont le troisième et dernier cahier d'une série commencée par les Campagnes hallucinées et les Villes tentaculaires, c'est-à-dire par deux cahiers de poèmes, composés chacun de facettes diverses, très vaguement reliés par l'idée générale. Donc les Aubes sont plutôt la conclusion dialoguée d'un livre dont des poèmes exposaient le sujet. Drame tout de même, peut-être pas écrit pour le théâtre, peut-être aussi composé pour une scène aux habitudes larges et libres, dans une technique large et libre, avec des ambitions de nouveautés dans les dispositions matérielles. Un homme du métier élèverait des difficultés à Emile Verhaeren si celui-ci voulait faire réaliser ses indications de mise en scène. Mais les objections des meilleurs hommes du métier ne sont bonnes que pour un temps; et si aucun des critiques-jurés n'accordait que les Aubes sont un drame, cela n'aurait point d'importance, personne ne connaissant moins le théâtre que ceux qui en font spécialité. Enfin si les Aubes ne sont pas encore un drame, faute d'affiches et de chandelles allumées, c'est un poème dramatique qui exigera un jour qu'on statue sur son compte, en tant que drame.

C'est en tant que poème dramatique tout à fait indépendant que nous pouvons le considérer aujourd'hui, en réservant les modifications d'aspect que pourront lui faire subir une juxtaposition plus complète

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