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L'acte de l'Oasis, en sa coloration amortie et d'une vaporeuse suavité, produit une impression agréable et reposante. Aucun cri d'humanité ne vient en troubler la sérénité estompée et mettre une note de fièvre parmi la foule de petites délicatesses de détail plus agréables les unes que les autres. Et, n'était une adorable et courte phrase murmurée par Athanael et Thaïs, sous un arbre aux luxuriantes ramurės, je n'aurais rien à mentionner particulièrement, si ce n'est le retour attendu de la fameuse « méditation » qui sert de thème principal à l'entr'acte du 3° tableau du 2o acte dans la première version de Thaïs. L'effet de cette méditation sur le public est si sûr qu'il eût été surprenant que M. Massenet se fût privé de son secours.

Mlle Berthet se donne une peine énorme pour imiter le moins mal possible Mlle Sibyl Sanderson, la Thaïs rêvée, sans arriver, hélas! à aucun résultat appréciable. Quel dommage que la bonne volonté ne tienne pas lieu de talent! Et combien, en écoutant Mlle Berthet, l'on regrette la voix pure et juste de Mlle Sanderson! M. Delmas, admirable comme à l'ordinaire, et M. Vaguet, chanteur impeccable, se tirent à leur honneur de l'interprétation des rôles fort ingrats.

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Dans Carmen, M. Saléza, ténor souvent applaudi à l'Opéra, a remporté un des plus vifs succès de sa carrière.

Artiste de conviction fougueuse, il prête au personnage de Don José des accents d'une vérité et d'une éloquence saisissantes.

Pour l'instant, Carmen, c'est Mme de Nuovina.

Dire que l'héroïne de Bizet, rendue avec toute l'exagération dont l'affuble cette chanteuse, me plaît considérablement serait mentir. Je ne hais rien tant, au contraire, que la recherche de l'effet par l'outrance. Mme de Nuovina a l'ambition, louable sans doute, de donner à sa Carmen une physionomie originale. Affirme-t-on une originalité tranchée parce qu'on sautille sans cesse, parce qu'on appuie lourdement sur les parties risquées d'un rôle, parce qu'on confond le commun avec le curieux, parce qu'on se démène et se trémousse inutilement? Tout le monde peut s'agiter dans le vide. Ce qui est plus rare et incontestablement plus artistique, c'est de dégager et de mettre en relief l'humanité d'un personnage, de le faire vivre en toute sincérité, de mettre de l'expression dans son chant et de ne pas bafouiller les paroles.

ANDRÉ CORNEAU

P. S. A signaler, aux Folies Dramatiques et à l'Athénée Comique, les reprises heureuses de la Fauvette du Temple et de l'Amour mouillé, deux opérettes de valeur musicale différente, qui jouirent des faveurs de la vogue, il y a quelques années.

La musique d'André Messager a conservé toute sa fraîcheur, et c'est plaisir d'écouter cet orchestre frétillant de vie d'où les jolis motifs s'échappent comme des volées d'espiègles et charmants oiseaux.

Petite Gazette d'art

M. Gustave Moreau vient de mourir. N'eût-il pas exprimé la volonté d'être enseveli sans aucune pompe qu'il eût fallu éviter les fleurs et les discours à l'enterrement d'un homme qui a détesté se donner en spectacle. Est-ce aversion d'un rêveur, épris fiévreusement des seules splendeurs qui s'imaginent, pour tout autre éclat ? Ou bien le ferme propos d'un sage, averti qu'on ne peut défendre du monde sa vie pour la consacrer à un labeur sérieux, qu'en la cachant? Du moins aucun artiste de son rang n'aura passé plus ignoré de ses contemporains, vécu plus strictement à l'écart. En dix années, ses dernières, il n'aura pas fourni l'occasion à ceux qui traitent des arts plastiques, d'examiner son œuvre. Si l'on excepte un étonnement qui, récemment, depuis qu'il enseignait à l'Ecole, allait croissant de louer si fréquemment de ses élèves entre les jeunes hommes que distinguaient des dons, l'acquis d'un métier, le respect d'un art et ce qui s'apprend du goût. Ce mérite est rare à quoi allaient les hommages qu'on imprimait à propos du maître véritable d'un atelier.

Mais il n'exposait plus depuis fort longtemps. Son abord était difficile. Ce n'est pas sans émotion que l'admiration due au peintre lui-même, la première fois, quand il meurt, le salue.

Mais, comme aux funérailles silencieuses, tout prétexte fait défaut d'outrepasser un geste, sa ferveur traduirait-elle la piété des enthousiasmes les plus passionnés que le défunt rencontra. Ses œuvres subtiles, bizarres, brillent dans des galeries qui les enferment, on dirait à l'abri de toute lumière qu'elles ne font pas. Comme souvent. le Luxembourg est le plus mal partagé.

Avant que se présente, bientôt peut-être, l'occasion d'examiner à loisir en quelque salle décoréc des parures où il se complut, son talent, il suffira qu'aujourd'hui nous songions à un art, qui non sculement a raffiné jusqu'à l'étrange la haine de toute vulgarité mais encore, poursuivant à l'extrême la splendeur que fait chatoyer un Claude Gelée ou par exemple Delacroix, s'est développé en sens presque contraire de quelques inventions contemporaines, aussi éprises de couleur éclatante et qu'il a été comme à rebours de leur effort.

Une maison nouvelle à l'enseigne qui promet du Foudji-Yama, se propose d'inviter les amateurs à des expositions où l'on pourra successivement admirer tous les maîtres de l'estampe japonaise. Elle commence par Hok'saï et Hiroshighé (1). Ce sont avec Outamaro les (1) 45, rue Taithout.

moins mal connus. Il n'est peut-être pas, quand on l'apprécie, de plaisir plus exquis que de feuilleter les estampes et des livres japonais, les plus purs, dont la fraîcheur et la netteté sont ravissantes, et mème celles que le temps et l'usure ont troublés. Pas un croquis de ces maîtres n'est indifférent et les belles pièces sont aussi pleines de sens et splendides que les merveilles les plus réputées des musées. Est-ce en art ou en raffinement qu'il faut dire? mais on se convainc qu'il n'est pas d'effort plastique au monde qui les surpasse, pas un souvenir ni de comparaison que leur grâce n'affronte victorieusement. C'est peut-être que Hiroshighé, que Hok'saï savent le secret d'inscrire, en la moindre feuille de papier léger, tous les éléments où peut recourir un peintre et qu'encore ils n'usent pour produire le plus grand effet que des moyens les plus simples. Leur aisance rencontre encore cette supériorité géniale de ne s'arrêter à la simplicité presque nue d'aucun paysage, que ne l'enveloppe une harmonie dont l'émotion est éloquente.

Outre le plaisir pur, indicible, que donnent ces feuillets, on s'instruit à les considérer sur l'effort de quelques-uns des plus intéressants parmi les peintres contemporains, que leur apparition a émus profondément. Et par exemple de Monet à Bonnard, il n'en est guère qu'ils aient laissé indifférent et beaucoup à qui ils ont fait une impression durable. Aucun de ceux qui sont curieux des destinées de l'art français en ce siècle et anxieux du secret de son avenir, ne peut se dispenser de considérer attentivement les estampes japonaises et de méditer sur un art parvenu à cette délicatesse de faire évanouir de soi tout ce qui n'est pas l'art même et dont la nouveauté pour longtemps encore est féconde.

N'était la conscience, qui ne va pas sans amertume, de la fin d'une institution, la quatorzième exposition des Indépendants n'ouvrirait aucun intérêt (1). La société qui naissait non sans une splendeur d'espoir au pavillon de la Ville, après une longue villégiature au triste palais du Champ-de-Mars, souvent vide et parfois glacial, revient, au terme d'une carrière qui fut glorieuse, mourir aux ChampsElysées. On eût pu croire que le libéralisme inusité des statuts servirait les desseins et l'infortune de quelques hommes au moins apportant des nouveautés. Mais ceux-là se sont produits à part. De quelquesuns qui étaient doués, Signac, Cross, Luce, seuls demeurent fidèles au rendez-vous que donne en réalité l'étonnant Rousseau. La faute n'est pas à ces artistes tout à fait remarquables, d'être demeurés plus longtemps et seuls comme à un poste, mais on ne les rencontre pas sans chagrin entre tant d'indifférents ni fous ni outrés et qui, simplement, peut-être comme il devait arriver, accaparent des murs mis à la dis

(1) Palais de Glace. Champs-Elysées.

position des passants. C'est sans peine que se distinguent de la cohue, M. Launay, Mlles Manet et Lisbeth, M. Francis Jourdain.

Mais il est à espérer que cette expérience du moins soit décisive et, qu'à quelques-uns qui comptent, les artistes qui représentent l'apport important d'une génération, se groupent enfin pour composer l'exposition périodique dont beaucoup de raisons font sentir le besoin.

Dans les galeries Durand-Ruel (1), M. Armand Guillaumin fait voir ses nouveaux tableaux, une série de paysages figurant en diverses saisons des sites de la Creuse, et qu'il a achevés récemment. Ce n'est pas un talent dont il ne faille pas tenir compte que celui de M. Guillaumin. Son labeur rencontre des harmonies qui pour être trop souvent ordinaires ne sont pas toujours sans charme et parfois ont de la délicatesse. On se plait à la rude ardeur d'un peintre qui façonne des formes violentes. Ce n'est pas M. Guillaumin qu'il faut accuser d'avoir élu, il en est qui disent des premiers, et, sans qu'il y ait autre chose qu'une rencontre, un art et une esthétique que quelques-uns dans le même temps ont adoptée, qui avaient du génie.

Aux mêmes galeries, une exposition de paysages de M. Loiseau a eu un très grand succès. C'est-à-dire que, reconnaissant des images accoutumées, beaucoup d'habitués de la maison se sont empressés d'acquérir à meilleur compte de ces sites de neige, bords de rivières, prairies, saulaies, inondatious, meules et peupliers frémissants, où manque seulement lè génic d'invention et l'art raffiné des Monet et des Pissarro. Ce sont des exercices ingénieux où sont appliqués, avec une grande habileté, tous les éléments que le peintre de paysage doit aux impressionnistes. Il faut les voir avant les modèles illustres, près de quoi il est naturel qu'ils pâlissent. Mais si l'auteur ne s'illusionne pas, n'est pas dupe de son adresse, on peut garder quelque espoir. Car s'il n'a pas prouvé qu'il possède le métier de peintre, il a démontré du moins qu'il en sait un, et quelques toiles bleues, plus personnelles, ne sont pas sans agrément.

Tout de même on cût étonné les premiers tenants de l'impressionnisme si on leur avait prédit que ce pourrait être quelque jour comme une industrie, que la reproduction fidèle de ces nouveautés qu'on ne venait voir alors que pour en rire.

Dans le magasin de M. Vollard (2) c'est M. Alfred Muller qui succède à MM. Bonnard, Vuillard, F. Vallotton, X. Roussel. Maurice Denis, Ranson, Serusier et Ibels. C'est une comparaison qui était

(1) 16, rue Laffitte.

(2) 6, rue Laffitte.

lourde à soutenir. M. Alfred Muller avait fait remarquer aux Indépendants des dons séduisants et un métier dont il commence à se servir avec sûreté. Il n'est pas impossible que les peintures et les dessins, encore qu'ils soient d'aspect un peu théâtral et du même coup superficiel, mais justement pour cette raison et parce que à défaut d'une impression profonde ils font sur le spectateur assez d'effet, il n'est pas impossible que les œuvres de M. Muller ne rencontrent bientôt le succès. Il paraît tout naturel que bientôt elles aient au Champ-deMars du succès.

M. Pierre-Emile Cornillier exposc à la galerie Georges Petit (1) des peintures, des sanguines et des illustrations, et Mlle Popelin de grandes aquarelles. M. Cornillier a en partage cette qualité qu'on apprécie fort et qu'on désigne le plus ordinairement du nom d'élégance. Elle se retrouve dans les œuvres profanes telle ou presque qu'elle est dans les sacrées.

THADEE NATANSON

AUBREY BEARDSLEY

Un artiste vient de mourir. Aubrey Beardsley naquit à Londres, il y a environ vingt-cinq ans : il est mort à Menton le 15 mars dernier. Ce fut, en Angleterre, l'occasion des nouvelles injures et de sots pardons.

Il y a quinze mois déjà, à Bournemouth, on l'avait cru mourant ; toutes les apparences le condamnaient. Cependant il répétait sans cesse: Si j'allais à Paris, je guérirais. Arrivé par miracle quai Voltaire, ses prévisions semblèrent se réaliser. Il se rétablissait. On alla le voir; des gens et des gens passèrent par sa chambre de convalescent, y semer l'espérance. Il retrouva même un instant la force de manier sa plume laborieuse.

Car il aimait Paris d'une façon directe et spéciale. Tout s'y voyait si nettement, disait-il. Il avait la vision distincte outre mesure. Et, ainsi doué, il voulait pouvoir distinguer les lignes les plus délicates, à perte de vue ; ce qui, à Londres, du moins, est difficile.

On trouve dans la violence de ses prédilections comme un garant de son génie. C'était un homme qui n'hésita jamais: avec sa physionomie si frêle, ses gestes anguleux, il avait ce cachet d'un grand homme. Tout ce qu'il était, tout ce qu'il faisait, était bien. Il prononçait. Et, pour lui, c'était arrêté, fini, une fois pour toutes.

Toujours content de lui-même, il avait peu de curiosité; il avouait naïvement d'étonnantes ignorances.

(1) 12, rue Godot-de-Mauroi.

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