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rappellent par plus d'un trait les héroïnes scandinaves, n'a pas échappé à une plus profonde et salutaire influence, celle dont Ibsen a ranimé, en en solidifiant les bases et en en reculant infiniment les limites, toute la production dramatique contemporaine. En particulier le respect que professent ou que réclament les personnages de M. Coolus pour l'absoluc liberté des êtres n'est pas sans rappeler un des thèmes favoris d'Ibsen. Cette conception de la liberté s'est d'ailleurs sensiblement transformée chez M. Coolus depuis son dernier drame, à ce point qu'il témoigne la même approbation reconnaissante pour Jean qui a respecté cette liberté en l'enfant malade qu'est Germaine et pour Sylvain qui, en Lysiane, ne craignit pas d'y attenter. Après trois ans de navigation solitaire, — remède à quel chagrin? il ne l'a pas confié Sylvain Brière vient de rentrer à Paris. Sa première visite est pour Marcel de la Lauraye, le jeunc ami, le frère d'âme, dont il guida les premiers rêves, et qu'il retrouve soucieux et affligé. Marcel est marié depuis peu; mais ce n'est pas Eve, sa femme, petite personne exquise, aimante et docile, qui le préoccupe ainsi. Ses craintes, ses inquiétudes, sa mère seule en est l'objet, sa mère, créature délicieuse, captivante, irrésistible, «la charmeresse, la fée » en qui persiste, triomphant, le don d'éternelle jeunesse, Lysiane, dont la bru pourrait presque être jalouse. Veuve depuis deux ans, Lysiane s'est misc à recevoir avec passion, donnant des fètes, invitant tout le monde et de tous les mondes. Marcel redoute entre toutes, pour sa mère, l'intimité spécialement dangercuse d'un certain Gaudrey, individu louche, dont le secret désir est d'épouser Lysiane et dont l'ambition ne reculerait devant aucun moyen pour arriver à son but. Voilà le danger que Marcel redoute et qu'il demande à son ami Sylvain de l'aider à conjurer. Longtemps Sylvain résiste, malgré les supplications de Marcel. Mais dès qu'il a revu Lysiane, qu'il a retrouvé son sourire, l'étreinte de sa main loyale et la grâce heureuse de son accueil, il se sent pris d'une ardeur soudaine à la sauver du péril prochain et d'ellemême. Un hasard ayant mis entre les mains des deux amis une correspondance plus que compromettante pour Gaudrey, Sylvain ne tarde pas à se débarrasser du personnage. Il le fait, dès la première entrevue, dans une scène magistrale de narquoise et hautaine ironie, que termine une phrase d'humilité supérieure et d'admirable élévation.

Gaudrey doit se soumettre. Il prétexte pour fuir une affaire urgente qui réclame sa présence à l'étranger. Lysiane a conscience qu'il ment; elle a conscience aussi qu'elle le perd, qu'elle ne le reverra jamais après cet adieu parmi les rires et les musiques d'une fête, et sa douleur s'aggrave d'une inexprimable anxiété. Ce n'est que plus tard, au bout de plusieurs semaines, qu'elle apprend, d'un étranger, Bordin, ami de Gaudrey, que la séparation doit être définitive. Bordin, avant, de s'en aller, lui laisse deviner la cause véritable de cette séparation et quelle influence osa si violemment agir sur sa destinée. Aussi, dès la venue de Sylvain Brière, le conflit éclate, véhément. Lysiane d'abord l'interroge, le somme de se justifier. Comment a-t-il pu contraindre

Gaudrey à ce départ précité ? Pourquoi ne l'a-t-il pas consultée ? Sylvain ne veut pas répondre. Il la supplie seulement d'avoir confiance, de ne pas lui en demander davantage. S'il a agi comme il l'a fait, ce fut pour la sauver d'une affection indigne... C'est alors que le débat s'élève et s'amplifie. Lysiane refuse d'admettre de telles raisons. Non, il n'est pas d'amour indigne. Celui qui sait se faire aimer a tous les droits, quand même il serait le dernier des hommes et en lui arrachant son amour, Sylvain a commis le pire des attentats, ayant porté atteinte à l'indépendance d'un être. Mais cet attentat, Sylvain prétend qu'il avait le droit de le commettre, que son amitié lui en imposait le devoir. Que m'importe votre amitié ? répond Lysiane. Remplacera-t-elle l'amour dont vous m'avez dépossédée ? Sa douleur devint injuste et si cruelle que Sylvain ne peut s'empêcher de défendre, non plus son acte, mais l'amitié même qu'elle méconnaît; et comme elle refuse de rien entendre, parlant d'aller rejoindre à Vienne l'homme à qui elle accorda son amour, Sylvain, épouvanté, s'emporte, en vient à lui défendre ce départ, laisse enfin échapper l'aveu, qui l'étouffe de son amour, né parmi ses luttes et ses angoisses, de son amour sacrifié. Elle reste impassible, muette et dure, elle ne veut pas comprendre et Sylvain s'éloigne en s'excusant d'un instant de folie où il a pu se laisser aller jusqu'à lui défendre quelque chose. Lysiane le suit des yeux enfin reste pensive devant cet adieu déchirant.

Cette scène est d'une parfaite beauté. Le conflit moral y apparaît dans toute sa grandeur sereine. Aisément M. Coolus aurait pu la préciser, la matérialiser davantage. Comme il a eu raison de n'en rien faire et de lui conserver son entière pureté tragique à laquelle elle doit la qualité rare de son émotion. Pourtant il manque un élément à l'équilibre de cette scène : M. Coolus n'a pas pris le soin de suffisamment nous intéresser à l'objet même du débat, l'amour de Lysiane pour Emilien Gaudrey. Nous admettons, avec Lysiane, le droit absolu à l'amour, même indigne; mais il est indispensable que nous nous intéressions à cet amour, que nous l'aimions, que nous puissions nous passionner pour lui. Il nous faudrait être séduits comme Lysiane, pour souffrir avec elle de l'attentat salutaire. Or, si l'auteur nous a montré Gaudrey indigne, il a négligé de le rendre séduisant. Sylvain alors a trop d'avantage et la lutte n'est pas égale.

Le dernier acte nous transporte sur le yacht de Sylvain Brière où Marcel et sa femme se sont embarqués. Bientôt Lysiane embarque à son tour, saluée par les hurrahs enthousiastes de tout l'équipage. Elle s'est décidée à quitter Paris, pour longtemps, très longtemps peutêtre, afin de rejoindre ses enfants et de revenir auprès de l'ami qu'elle a désespéré. Seule avec Sylvain, elle met la main dans les siennes. Sa main ne tremble plus, son cœur est sans colère. Elle a réfléchi et maintenant elle est reconnaissante à l'ami de l'attentat qu'il a eu le courage de commettre. Oui, l'attentat fut salutaire. A présent calmée, cette crise leur révéla à l'un comme à l'autre le profond, le durable amour qui les réunit à cette heure. Lysiane déplie une lettre et lit à

Sylvain l'adicu tendre et sans amertume qu'elle envoie à celui qui faillit briser sa vie. La voilà libre et du fond du cœur elle accepte l'union que Sylvain lui offre et qui leur réserve à tous les deux de grandes et pures joics encore. Sans doute, ce dénouement calme et radieux surprend un peu, après la violente secousse de l'acte précédent; mais il est frais et reposant, tout imprégné de cette douceur grave et tant soit peu mélancolique qui fait place aux ardeurs éteintes. La scène entre Lysiane et Sylvain, qui l'emplit presque tout entier est une des plus attendries et des plus savoureuses de l'ouvrage.

D'une façon générale l'écriture de M. Coolus s'est perfectionnée depuis l'Enfant Malade. Elle apparaît dans Lysiane plus châtiée, d'une éloquence plus sobre et plus scrrée. M. Coolus possède à cette heure une langue de théâtre tout à fait incomparable et dont la plé. nitude s'adapte à merveille à son réalisme lyrique. Son ironie aussi est plus contenuc, plus discrète, moins prompte aux sarcasmes aisés comme aux pirouettes verbales. De cela encore il faut le féliciter.

Lysiane est servie par une interprétation absolument unique. Des artistes tels que Mme Sarah Bernhardt et M. Guitry rendent aux œuvres de pensée l'inappréciable service de les animer à la scène d'une intensité ininterrompue d'expression due au relief de leur personnalité vigoureuse.

M. Guitry, après avoir conduit les deux premiers actes avec l'autorité qu'on lui connaît, a dégagé de la grande scène du troisième, avec une admirable simplicité de moyens, son maximum de grave et poignante émotion. Quant à Mme Sarah Bernhardt, jamais peut-être, bien qu'on ait eu souvent l'occasion de le dire, elle ne fut à ce point séductrice. Sans se départir un seul instant du charme enveloppant qui lui est propre, elle a, bouleversée et frémissante, emporté la scène capitale dans une magnifique ardeur de révolte douloureuse. Le rôle de Gaudrey exigeait un comédien expérimenté et sûr nul n'en aurait tiré un meilleur parti que M. Deval. M. Scheler a fait de son mieux dans celui de Marcel, qui est le plus ingrat de la pièce; sa physionomie assez incertaine n'emprunte quelque relief qu'à l'amour de Lysiane et à l'amitié de Sylvain; aussi bien une des difficultés principales du théâtre comme le conçoit M. Coolus est de ménager un suffisant intérêt aux personnages secondaires. Evc est mieux venue; par malheur le débit de Mlle Dolley est la plupart du temps impossible à saisir. M. Luguet (Bordin) dit juste et non sans finesse. Rarement débuts de jeune auteur sur une scène régulière, furent mieux secondés. J'aurais, il se peut, préféré moins de luxe et de méticuleuse précision dans les décors, pour une pièce de ce genre; mais cette opinion ne m'empêchera pas de rendre pleine justice au remarquable instinct d'artiste de Mme Sarah Bernhardt et à la bonne grâce fastueusement hospitalière de son accueil.

ALFRED ATHYS

Musique

Opéra : Reprisé de Thaïs, comédie-lyrique en 4 actes (le 3' acte entièrement nouveau) et 7 tableaux; musique de M. MASSENET. Opéra-Comique : Carmen (Débuts de M. Saléza et de Mme de Nuovina).

Thaïs, que l'Opéra vient de reprendre, augmentée d'un acte et d'un ballet, rentre dans la catégorie de ces œuvres dont on peut dire qu'elles sont nées sous une étoile peu favorable.

Dès le lendemain de la maussade soirée où Thaïs surgit sur les planches sévères de l'Opéra, elle connut les horreurs de l'amputation. Histoire de rendre plus légère sa marche au succès, la célèbre mime fut privée de son ballet. Et, ainsi réduite, humiliée en quelque sorte, on la livra en pâture aux ovations complaisantes des fidèles abonnés. Seulement, comme MM. Bertrand et Gailhard, en gens avisés qu'ils sont, ne comptaient que médiocrement sur l'irrésistible puissance de ses charmes frêles, et redoutaient certains écarts trop prononcés de la foule, il fut décidé que Thaïs ne se montrerait que bien accompagnée, soit de la Maladetta, soit de Coppelia, divertissements également chers au public et à la direction.

Cela ne pouvait satisfaire complètement M. Massenet, qui, en raison des circonstances, était obligé de partager avec les auteurs des ballets ci-dessus désignés les droits de la représentation dans laquelle son ouvrage était exécuté.

Néanmoins, le toujours aimable compositeur ne sonna mot pendant quelque temps; puis, prenant une subite résolution, il écrivit d'une traite un nouveau ballet et un acte entier. De cette façon, Thaïs pourrait se passer désormais de tout secours et occuper seule l'affiche de l'Académie Nationale de Musique. J'ignore encore, même après audition, si Thaïs a gagné à être renforcée d'un gros de notes; ce qu'il est difficile de nier, c'est qu'en ne répugnant point à faire, en faveur de sa Thaïs, un nouvel emprunt à son inspiration fort surmenée, M. Massenet a simplement tenté une innovation d'un intérêt capital pour les musiciens de théâtre ayant des pièces au répertoire de nos scènes lyriques. Car, si maintenant les compositeurs ont la faculté de remplacer par d'autres actes les actes de leurs opéras qui ont cessé de plaire, il devient évident que les œuvres ont de grandes chances de durer un temps indéfini. Grâce à M. Massenet, voilà les directeurs débarrassés de la responsabilité de choisir et du souci de monter désormais des ouvrages inédits. Ils n'auront plus qu'à retaper et à rajeunir tant bien que mal les vieilleries et tout le monde, ou peu s'en faut, sera pleinement satisfait.

Etait-il d'utilité artistique de remonter Thaïs? Je ne le crois pas, pour ma part. Mlle Sibyl Sanderson absente, il manque à l'œuvre son principal attrait.

Certes, le talent, la suprême habileté de l'auteur d'Esclarmonde,

l'élégance et le charme qui lui sont naturels se rencontrent partout dans la partition, et ce n'est pas sans éprouver une vive admiration pour M. Massenet que l'on suit ses ingénieux efforts pour masquer la faiblesse d'invention sous les fleurs d'une instrumentation exquise en son aérienne légèreté. Malheureusement, M. Massenet, qui s'est complu depuis longtemps à traiter sans cesse la même situation, devait fatalement, sinon arriver à l'épuisement, du moins se heurter à d'extrêmes difficultés pour trouver encore quelque chose d'intéressant et de neuf à exprimer.

Le Pierrot de Molière dit toujours la même chose, parce que c'est toujours la même chose. Les compositeurs, si merveilleusement doués qu'ils soient, ne jouissent pas de la liberté dont bénéficient les paysans de comédie. Et puis, franchement, M. Massenet s'est montré d'une partialité trop accusée en faveur de Thaïs. A elle seule vont ses intimes tendresses; tout lui est sacrifié. Aussitôt que la créature aux yeux de violette, aux bras frais comme deux ruisseaux paraît, l'orchestre s'éteint comme par enchantement, ne se permettant plus qu'un doux murmure d'adoration. La divine peut tout à son aise égrener les perles de son précieux gosier, battre des trilles et tenir des notes autant qu'il lui plaît, nul instrument ne la gêne. Par contre, c'est avec une aimable joie que le musicien fait se tordre de rage et råler d'impuissance le moine d'Antinoé. Les petits chacals noirs du saint désert de M. Anatole France ne s'amusaient pas davantage des tourments de chair du futur vampire que M. Massenet en sa cruauté jolie ne se rit des tortures d'opéra éprouvées par Athanael (le Paphnuce du roman). En l'honneur de l'anachorète épris de Thaïs, les cuivres, les cymbales et la grosse caisse font un bruit à n'entendre pas Dieu tonner, ct, pendant des heures, le pauvre ascète s'épuise vainement à lutter contre les violences coléreuses de l'orchestre. C'est un châtiment de plus infligé au maudit.

Mais si la musique de Thaïs no me jette pas dans l'extase par la puissance de son inspiration, par l'excessive richesse des idées développécs, par la passion s'exaltant dans l'infini de l'orchestre, par l'essor lyrique de la mélodie, par l'unité, la simplicité, la vérité et la véhémence de l'expression, et si, trop volontiers, elle manque à la logique de l'action intérieure et ne vit que pour et par les extériorités, elle possède une grâce discrète et perverse qu'il serait injuste de céler.

Le livret de Thaïs, renforcé de l'acte de l'Oasis, reste à peu près ce qu'il était. La donnée ne s'éloigne pas sensiblement de la trame du livre de M. Anatole France; cependant, dégagée des conversations, des paradoxes étincelants, des controverses curieuses, de la psychologie savoureuse et des descriptions prestigieuses et bizarres, privéc de l'atmosphère de poétique ironie du volume où, à chaque page, s'épanouit la fleur subtile du doute, cette donnée a des aridités de désert. Perdu dans une pareille solitude, le sphinx de Silsiléc luimême en eut pleuré de tristesse.

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