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cette parade italienne de la vic errante, tous les soirs il enlevait la princesse désiréc et qu'un cortège de peines et de désespérances le suivait. Et puis, tout de même, la jalousie se glissait parfois. Ce sourire fixe de Lorely en scène ne se posait-il pas parfois sur un sourire; hasard évidemment! enfin assez net, quoique bref, pour qu'un coup d'épingle entrât dans ses chairs près du cœur, et bien certainement il avait été plus heureux en leur solitude près des rades tranquilles.

Deux mains se posaient sur ses yeux, et Lorely lui dit :

-Oh! le vilain! qui regarde du côté du passé, vers les terres que nous venons de quitter, au lieu de cligner des yeux pour apercevoir le bel avenir qui rit d'or, là-haut, dans les nuages; oh! le vilain bonhomme de songes! Regardez-moi, et bien franc, bien clair, pas avec vos yeux de jadis; non, c'est encore vos yeux troubles, comme d'un puits profond plein d'eau bleu turquoise malade, ce n'est pas ça; souriez; bien, vous y êtes, à vos yeux de contentement. Non, ça n'y est plus! Ah! je vais t'exorciser ton fantôme, le reflet du reclus que j'ai trouvé, emmené, guéri. Ris, ou je me fâche! Voyons, tu n'es pas content de faire plaisir à ta Lorely?

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Mais si.

Que ce « mais si » est froid, languissant, pâle comme s'il allait mourir. Il arrive appuyé sur deux valets, Complaisance et Commisération, et qui ont l'air échiné, comme après quarante kilomètres de courses accomplies quoi qu'ils en aient. Renvoyez, Monsieur, ċes sentiments pires. Je ne veux point de votre indulgence, je ne veux point de votre indulgente courbure sur mon pauvre individu, ni de ta pose de botaniste étudiant une fleur, entends-tu. Tu as été très gentil de me ménager un beau cirque, mais si tu me donnes ça còmnie une poupée, pour m'amuser un moment, pendant que tu seras triste à ton aise, à cause du Sphinx, des Ilotes-Rois et des automnes qui meurent en des hivers, je m'en retourne.

- Où ça ?

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Je n'en sais rien, mais quelque part où cela t'ennuiera que je sois. J'ai mes droits, Monsieur, et je le sais.

Alors Franz souriant :

La femme est une esclave et ne doit qu'obéir.

Oui, mais à qui?

Mais, mais...

Te voilà collé, et c'est encore au moyen du vieux jeu. Dis un peu que la femme est fausse comme l'eau, pour voir.

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Ce ne serait pas poli.

Pour qui?

Pour la femme.

Dis-le tout de même, je ne t'en voudrai pas.

La femme est fausse comme l'eau.

Alors pourquoi te trouves-tu en mer?

Parce que je suis sur un solide bateau avec une bonne machine...

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Tu as confiance.

Oui, en un tas de choses démontrées qui ont abouti à cette machine.

l'eau.

Alors tu dois avoir confiance en la femme au même titre qu'en

Mais ce n'est pas en l'eau que j'ai confiance : c'est en la machine.

-

Alors la femme n'est pas une machine ?

Certes non.

Il n'aurait plus manqué que tu m'assimiles à une machine.
Mais qui dit cela?

Des gens, tu ne les connais pas.

Et toi, tu les connais?

Je connais tant de monde. Ah! ah! le voilà jaloux.

Oh! certes non.

C'est peu gentil de n'être pas jaloux, un petit peu, au moins.
Mais je le suis.

Tu l'as été cet hiver?

Parfois.

Et cet été?

Souvent.

Et de qui?

De personne et de tout le monde, de l'air respirable.

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Eh bien, tant mieux! cela me fait plaisir; cela te donne du ton

cela te rattache à la vie; tu ne diras pas le contraire.

7

Je m'en passerais.

De qui étais-tu jaloux quand tu étais dans ton château?
Des gens qui étaient dehors.

Et maintenant?

De tous ceux qui voudraient entrer dans mon nouveau château. Eh bien, sans vanité, tu en auras quelque occasion à Londres; mais sois tranquille, tu ne souffriras jamais que de chimères et, cruelles pour cruelles, elles te grifferont moins que tes anciennes.

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Tu vois bien que je triomphe, et, puisque je triomphe - je vais te faire une grande grâce.

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Je me laisserai mener au buffet, car j'ai très faim. Aide-moi à marcher, ne vacille pas comme ça. Là, c'est très-bien.

En vue des côtes. C'est Douvres, le paysage connu, l'invasion

brusque des douaniers anglais et les petits télégraphistes aux côtés du train. Et Franz:

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Tu télégraphies?

A qui? je n'ai personne à qui télégraphier.

Ce bon Cramer.

Merci, il nous verra toujours assez tôt pour notre plaisir. Et toi, par hasard, ne voudrais-tu pas télégraphier?

- A qui? je n'ai personne.

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A ton tendre frère, à ta vieille Dorothée.

Non. J'écrirai à Dorothée.

Alors nous n'avons personne que nous aimions assez pour lui télégraphier.

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Ni l'un ni l'autre.

C'est d'une belle unité de vie.

Mais cette unité, que je voudrais plus totale, tu cherches à la désunifier.

En quoi?

En paraissant au cirque.

Ah! Tu as promis. Tu reviens sur ta promesse.

Non certes, mais après, après cette saison...

Je te redonnerai encore des vacances et nous retournerons dans le Midi.

Voyons, Lorely, penses-tu que je serai heureux tous les soirs où tu joueras?

Parce que tu n'entends rien à rien. Tu n'aurais qu'à déplacer la question. Au lieu de te dire : « Qu'il est ennuyeux de voir ces milliers d'yeux braqués sur une personne que je veux à moi seul, et, pour ainsi dire, la tutoyant! » que ne dis-tu : « Je suis envié par des milliers de personnes ! » et tu scras enflé d'une joie pure.

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Et maintenant?

Elle ne me suffit plus.

Nous avons déjà étudié ce terrain, je te le rappelle, dans la petite auberge.

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Et pourtant le cirque, le bruit de ton nom, ton portrait qu'on expose, ce sont mes rivaux.

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Pauvre petit, tant que tu n'auras que ceux-là!

Ce sont ceux-là qui font surgir le prince Charmant!
Qu'est-ce que tu ferais si le prince Charmant...
Brisons là.

Et si je disais: Rompons là; c'est la même chose.

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O Lorely, quelle joie trouves-tu au maniement de la méchanceté?

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Mais, en ce moment-ci, je ne suis pas méchante. Je me borne à répondre coup pour coup.

Lorely, tu es une féministe.

- Et quel mal? Qu'as-tu à reprocher au féminisme? Qu'en penses-tu?

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Qu'il a déjà reçu sa solution.

Ah bah!

La vie ordinaire.

Mais chez les Turcs...

L'association, que le crédit des femmes fut assez fort pour faire dénommer polygamie...

-Tu es insupportable; je regarde le paysage.

Et les grands prés verts et les buttes d'arbres vers Seven-Oaks, et le détour d'une route avec un bicycliste.

Et Franz sortit un journal.

Ça c'est trop, s'écria Lorely... les hostilités ne doivent pas aller jusqu'à ce déploiement de nouvelles étrangères à nous. Regarde le paysage avec moi.

Et bientôt, ce furent les bâtisses des banlieues, les disques multiples, les marches plus lentes des trains et le passage en sens contraire des wagons de continentaux, de tant de box avec, aux fenêtres, les têtes ébouriffées, la casquette sur la nuque de jeunes nationaux aux toilettes sans prétention, et les murs des maisons isolées, barrés d'affiches multicolores.

-Tiens, s'écria Franz, c'est toi!

— Mais oui, mais oui. Cramer a commencé. Ça n'a pas l'air d'être mal fait.

Le train de sa placide allure entrait en gare.

III

Chez eux, à l'appartement que Cramer avait retenu, dont il avait rectifié les ornements, consolidé le confortable, dans l'antichambre, la première vision qui frappa les yeux de Franz, ce fut une aveuglante Lorely, pourpre, or, ivoire, émeraude.

Une désespérante exactitude d'après des documents photographiques lui imposait, dans la bigarrure de l'affiche superbe comme un exceptionnel perroquet ou comme un paon, une Lorely qui n'était pas la sienne, celle dont il s'était refait une image synthétique, d'après tant d'émotions vis-à-vis d'elle et d'après ses états variables de tous les instants, — mais qui sans doute incarnait celle du populaire des villes traversées. Elle se raidissait, simplifiée, avec un sourire fixe que ce diable d'artiste anglais avait dû saisir dans tous les Empires et les Alhambras, pour le figer ainsi sur ces dents éblouissantes, un

peu longues... Enfin c'est un anglais... Mais c'est très heureux que ce ne soit pas tout à fait d'une ressemblance parfaite... grâce à des détails, mais enfin...

Lorely, dit Franz, où feras-tu placer cette affiche... qu'on la

mette...

Mais, où tu voudras, chanta presque Lorely, radieuse devant cette belle image, et toute épanouie de se sentir encore plus belle. Mais je ne sais trop...

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Comme d'habitude, mon petit Franz.

Enfin, tu te débrouilleras, mets-la où tu voudras...
Mais pas ici?

Non, si près de la porte, face à l'entrée, c'est bien une idée de Cramer. Il peut venir bien des gens, des gens de hasard...

table.

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Mais qui l'auront tous vue sur tous les murs.

Crois-tu?

Je pense que le sieur Cramer n'a point ménagé ses affiches.
Tiens, mettons-la, si tu veux, dans ce salon, qui est confor-

Oui, il est accueillant, hospitalier, presque aimable.

- Très confortable, appuya Lorely, se renversant sur un fauteuil à bascule. Alors, la vois-tu, cette affiche, entre ces deux fenêtres? - Oui et non ; j'y verrais plutôt un portrait de toi, un vrai portrait tout à fait ressemblant.

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Mais c'est un portrait, c'est moi, en activité, en représentation!
Je ne trouve pas, c'est... c'est une affiche.

Allons, dis que tu ne veux pas d'affiches dans ton salon.

En effet, c'est peu intime.

Tu y mettrais sans doute d'autres affiches, mais pas celle-là. Mais non, je t'assure, tu me cherches des idées lointaines; tu te figures...

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Rien; tu ne tiens pas à la mettre ici, nous lui trouverons une place dans la chambre à coucher.

Oh non! C'est là que ce ne serait pas assez intime, tu plai

santes.

Enfin, il faut bien se décider.

Non, dit Franz souriant, il ne faut qu'une seule Lorely dans la chambre à coucher.

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Eh bien! dans le salon. Reviens voir comme elle est belle. Sur une plate-forme de rocher verdoyant, que, sans aucun souci d'une vraisemblable flore, l'artiste avait jonché de crocusjaune d'or tenus par des amours aux ailes diaprées de papillon, d'anémones peureuses où grelottaient de minuscules génies, d'énormes tulipes embrasées, de lys, où s'enlaçaient à la tige de sveltes dryades blanches, — Lorely, vêtue d'or, avec les vertes guirlandes et les pétales au blanc d'ivoire de larges fleurs tord ses cheveux, que ses deux mains ont saisis fortement près de la nuque, et le reste de la chatoyaute crinière s'éploie sous les efforts du vent, en une très large plaque d'or ho

-

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