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moment précis de leur existence. Et comme ils n'ont pas la patience d'attendre cet idéal, qui d'ailleurs peut ne plus passer sur leur route, ils se contentent d'un à peu près. Car, deux inconnus, de sexe différent, mis en présence dans les limites de l'âge d'amour, auront toujours en eux une somme de fluide, si minime soit-elle, qui les poussera vers l'étreinte, cette étreinte dût-elle être unique. Ainsi de part et d'autre, commencera l'inépuisable série des grands ou petits adultères, voire même des simples tromperies sans lendemain. Désormais, le bonheur n'est plus possible pour ce couple désuni; et cela pour mille raisons.

Certes, l'adultère en est une; mais il n'est pas la principale. En effet, grâce aux nombreuses commodités de notre civilisation, un mari etunc femme peuvent se tromper mutuellement et abondamment pendant de longues années, tout en ignorant leurs infidélités réciproques. Or, comme la connaissance seule de la chose entraîne la souffrance, l'état d'ignorance dans lequel ils demeurent leur permet encore de conserver l'illusion.

Mais en dehors de l'adultère, il y a bien d'autres causes, plus infimes en apparence, plus graves en réalité, qui viennent chaque jour contrarier le bonheur conjugal, au point de le rendre impossible. Dès qu'ils ne sont plus l'un pour l'autre l'objet d'un désir constant, l'homme et la femme ne tardent pas à se laisser aller au penchant naturel de leur égoïsme. Toutes les petites concessions réciproques que la passion rendait, non sculement faciles, mais agréables, disparaissent. A moins qu'il n'y ait - ce qui est bien rare — une communion absolue entre les pensées et une concordance parfaite entre les appétits, la paix du foyer se transforme en un état de guerre permanent. Les amants d'autrefois deviennent des ennemis acharnés, dont la lutte, pour être sourde, n'en est pas moins cruelle. C'est une série de coups d'épingles et d'égratignures qui, pour des âmes sensibles, sont plus douloureuses que de larges blessures.

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L'être humain, quelles que soient les circonstances qui l'entourent, s'oriente avec persistance vers le bonheur. Aussi, chacun des conjoints cherchera selon son tempérament à se consoler des malheurs de son ménage. Pour la femme, la consolation principale, pour ne pas dire unique, sera l'adultère. Et cela se conçoit. Jeune fille, elle n'a connu l'amour que de nom; ses premières années d'union ont éveillé dans sa chair toutes les ardeurs qui y sommeillaient. Si, comme je le suppose ici, elle a fait un mariage d'inclination, `son mari a été son premier amant. Il est donc tout naturel que lorsque cet amant disparaît, au moment où sa jeunesse et sa beauté sont mûres pour la volupté. elle veuille le remplacer et aille vers l'adultère.

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Mais l'adultère à moins d'une très grande liberté difficile à concilier avec le mystère n'est pas et ne peut pas être le bonheur. Il s'y mêle d'abord l'idée de partage, toujours pénible pour les âmes délicates. Ensuite, c'est de l'amour volé, de l'amour pris à la bâte et

en cachette. Je veux bien admettre que le fruit défendu ait son charme; mais il a aussi son amertume.

Quelle ne sera pas la souffrance de la femme, en rentrant à son foyer, de s'asseoir en face de l'homme qu'elle commence à détester, alors que son cœur et ses sens sont bien loin, auprès de l'aimé qu'elle vient de quitter! Sous son regard dédaigneux et hostile toutes les tares de l'époux, que l'amour avait voilées jusqu'alors, apparaîtront en pleine lumière. Son indifférence deviendra de la haine, une haine qui, pour être sournoise, n'en sera que plus terrible. Sa conscience lui dit bien qu'elle a tort, que cet homme n'est pas responsable du mal qui la tourmente, que seule la Société est la grande coupable. Mais son sentiment ne lui permet pas de raisonner, sa nature cède à l'impulsion du moment, et le mari, jouant le rôle de paratonnerre, attire sur sa tête toutes les électricités nerveuses.

Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, il sera dans son tort. S'il demeure silencieux on l'accusera d'indifférence. S'il bavarde, on lui reprochera sa futilité. S'il se renferme dans un scepticisme supérieur, il passera pour un imbécile. Si sa philosophie l'incite au rôle de conciliateur, on trouvera de l'ironie dans sa parole et on le traitera d'impertinent. Tous les menus faits que la vie journalière du ménage entraîne avec elle seront autant de sujets de scène. Les parents, les enfants, les domestiques, les commerçants, les voisins, le concierge, fourniront de continuels prétextes pour atteindre le mari, c'est-à-dire l'être gênant. Selon leur caractère et selon celui de l'ennemi dont elles visent la tranquillité, les unes bouderont, les autres s'emporteront, toutes joueront le rôle de victimes. Car trouver le moyen de se faire plaindre tout en étant coupable, est une des grandes ruses de la femme; et le nombre de celles qui, au sortir des bras de l'amant, reprochent au mari de ne pas les faire respecter est incalculable.

Mais, dira-t-on, grâce aux dons de la nature, l'homme est le détenteur de la force. Il pourra toujours dominer sa compagne et lui imposer silence. C'est une solution, en effet. Malheureusement, elle répugne aux esprits délicats; de plus, elle ne simplifie rien. D'abord, la femme aura recours au merveilleux talisman qu'elle possède : les larmes. Elle pleurera avec abondance, comme elle sait pleurer, c'està-dire en donnant l'impression d'une grande souffrance, alors que, neuf fois sur dix, ses glandes lacrymales seules sont en cause. Si l'homme a un cœur sensible, il regrettera sa brutalité, quémandera son pardon, assumera pour lui tous les torts. Si, blasé par l'expérience ou d'âme grossière, il veut à tout prix triompher par la puissance de ses muscles, la femme se réfugiera dans sa faiblesse, se fera toute petite et soumise, laissera l'orage passer, avec la certitude de prendre sa revanche. Et elle la prendra, sa revanche, elle la prendra au centuple, sournoisement, tranquillement, avec la joie immense de savourer sa vengeance.

Voilà donc, pour la femme, la perspective de l'adultère : le bonheur tourmenté auprès de l'amant, de perpétuelles discordes auprès du

mari. On m'objectera, je le sais, que toutes les épouses ne sont pas adultères; soit, je veux bien l'admettre. Mais je répondrai que dans le cas actuel, il s'agit d'un mariage d'amour. La femme est donc une passionnée; son cœur a déjà battu, ses sens ont déjà vibré. Forcément, logiquement, elle redemandera à l'amour les voluptés dont elle a goûté l'ivresse et dont elle est sevrée. Aussi, bien que cela paraisse un peu paradoxal, on peut affirmer que le mari qui a contracté une union de ce genre est certain, plus que tout autre, d'être trompé dans l'avenir. Il aurait tort de se plaindre outre mesure, car, avant d'arriver à l'inévitable et universel malheur, il aura connu des joies qui valent la peine d'être vécues et dont le souvenir est toujours une consolation.

Aussi bien, pour le mari dont l'épouse restera fidèle, la vie du ménage sera tout aussi intolérable, sinon davantage. Un malaise perpétuel planera sur le couple. Peut-être l'homme et la femme n'aurontils rien à se reprocher; ils souffriront cependant l'un pour l'autre et l'un par l'autre. C'est que tous deux attendent et espèrent le bonheur, et ils savent que le bonheur n'est plus possible entre eux. Ils en arrivent alors à se considérer comme des obstacles réciproques et, s'ils se résignent néanmoins à porter la lourde chaîne qui les rive, c'est avec la mort dans l'âme et la haine dans le cœur.

Faussement, dans leurs rapports quotidiens, leurs regards expriinent une sympathie voulue. Cette sympathie est toute d'apparence, de surface, mais, au fond de leur pensée, leurs sentiments réels se traduisent par une animosité que rien ne saurait désarmer.

Si la femme n'a plus l'adultère pour tromper l'ennui dont elle se meurt et ouvrir à son rêve la porte de l'inconnu, son caractère ne tarde pas à s'aigrir. Active, énergique, elle voudra dominer, jouer le rôle du maître. Elle s'immiscera dans les affaires de son mari, lui dictant en toute occasion la ligne de conduite qu'il devra suivre. Elle lui soufflera ses désirs et lui insinuera ses ruses pour qu'il avance plus rapidement dans sa carrière ou s'enrichisse plus vite dans son

commerce.

Jamais, d'ailleurs, elle ne sera satisfaite de la situation qu'il occupe. Et ce seront de perpétuelles scènes de ménage, avant le dîner, pendant et après, et même jusque dans l'alcôve, scènes au courant desquelles elle lui reprochera âprement ses maladresses, son incapacité, lui citant en exemple la prospérité de ses rivaux ou de ses amis. Ces derniers ne seront pas longtemps les familiers de la maison, car elle les éliminera un à un, à moins qu'ils ne soient pour elle des auxiliaires utiles. D'une façon générale, tout homme qui se marie agirait sagement en brisant la veille de ses noces toutes ses amitiés d'enfance. Si sa femme doit le tromper, il y a beaucoup de chances pour que ce soit parmi ses amis qu'elle choisisse son premier amant. Si elle lui reste fidèle, elle sera jalouse d'eux, jalouse de leur ascendant sur celui qu'elle rêve d'asservir sous son joug. Tous les moyens lui seront bons pour combattre leurs conseils, pour détruire leur

autorité. Elle insinuera contre eux les pires per fidies, exploitera leurs oublis, travestira leurs sentiments, certaine du triomphe. Et elle triomphera.

Si la femme est molle et paresseuse et qu'il lui soit indifférent de commander dans la maison, le tableau change de couleurs, mais n'en devient pas plus séduisant. Tandis que madame passera son temps à rêvasser sur des chaises longues ou à dissiper sa fortune en achats frivoles et inutiles, les domestiques s'arrogeront les droits des maîtres absents. La poussière s'accumulera sur les murs et les meubles, les repas ne seront jamais servis à l'heure, les viandes seront desséchées ou mal cuites, les vêtements garderont leur boue, le linge manquera de boutons. Sans doute, dans les premiers temps, l'homme voudra faire preuve d'énergie. « Suis-je le maître, oui ou non?... » s'écriera-t-il; et les bonnes se succéderont de mois en mois. Puis, ne se voyant ni soutenu, ni secondé, il finira par laisser aller les choses, et se contentera d'un à peu près acceptable, par crainte du pire. Car les serviteurs, rusés comme des singes et instruits par l'expérience, sauront abriter leur paresse derrière celle de madame. Si bien que le malheureux époux ne pourra plus réprimander l'une sans heurter l'autre et s'attirer de la sorte les plus cruels ennuis.

Il ne faut pas croire, d'ailleurs, que la femme soit plus heureuse. L'impartialité me force à reconnaître que, si elle assume parfois le rôle de bourreau, elle joue non moins souvent celui de victime; car, dans le mariage, il y a égalité de souffrance.

Pour l'homme aussi, l'adultère est le grand dérivatif aux tourments du foyer. Et cela se conçoit, puisque l'amour est le bonheur suprême pour lequel l'humanité s'agite. Toutefois, pour des raisons multiples. l'adultère n'aura pas dans l'esprit du mari la même importance prépondérante qu'il prend chez la femme. L'explication en est simple. L'homme, sauf quelques cas particuliers, n'arrive pas vierge jusqu'au mariage. Il a déjà éparpillé son cœur un peu partout et l'amour n'est plus pour lui une révélation. Sa femme est sa dernière maîtresse. Sans doute, il la trompera le jour où il commencera à la regarder sans désir. Mais, déjà blasé sur les émotions sentimentales, il conservera sa tranquillité d'esprit. Ses tromperies seront uniquement sensuelles. Ce seront des aventures d'un jour ou d'une semaine auxquelles son âme ne participera pas. Pour bien préciser la différence qui existe entre les deux genres d'adultères, je dirai volontiers que la femme apporte dans le sien la qualité, tandis que l'homme se contente de la quantité.

Les résultats, pour le ménage, sont d'ailleurs les mêmes. En rentrant dans son intérieur, le mari fera sentir sa mauvaise humeur en s'enfermant dans un mutisme lourd de haine. Et comme l'homme, à de très rares exceptions, ne possède pas l'admirable don de la dissimulation, qui est l'apanage du sexe féminin, sa colère, pour demeurer silencieuse, n'en sera pas moins visible et brutale. Tous les défauts de sa femme, physiques et moraux, lui apparaîtront en pleine lumière

à présent que l'amour n'est plus là pour les transformer en autant de qualités. Fort de la supériorité de son cerveau et de la solidité de son instruction, il raillera son ignorance, oubliant qu'il n'a rien fait pour élever jusqu'à lui cette âme jeune et confiante, alors qu'il était le maître bien-aimé. Muré dans son égoïsme grossier, il piétinera lourdement sur toutes les délicatesses qu'il ne comprendra pas et considérera comme des sensibleries imbéciles. Son orgueilleuse vanité l'empêchera de prononcer les douces paroles du pardon, et si, par hasard, il se montre clément, ce sera dans l'intérêt de sa tranquillité ou par crainte de l'opinion publique.

Il oubliera les jours de rêve et les nuits de volupté qu'il doit à sa compagne pour lui reprocher amèrement d'avoir su le prendre par des sortilèges et des mensonges. S'il est avare, il épluchera ses dépenses une à une et réduira son budget au minimum indispensable. L'achat d'une toilette deviendra un sujet de bataille. A table, il imposera ses goûts, et, le soir, il règlera les sorties et les plaisirs au gré de ses fantaisies. Son despotisme s'affirmera dans les moindres détails.

Ainsi, après quelques mois ou quelques années de vie commune, l'homme et la femme deviennent des bourreaux réciproques. C'est entre eux une guerre perpétuelle jusqu'à ce que l'un des deux abdique. Ni l'un ni l'autre pourtant ne sont coupables. Leurs âmes sont bonnes, leurs cœurs sont nobles, leurs esprits sont généreux. Ils n'ont qu'un désir : être heureux; et, c'est parce qu'ils ne peuvent exaucer ce désir qu'ils souffrent et font souffrir les autres. Le mariage est la cause unique de leur malheur; et non point seulement leur propre mariage, mais la conception générale du mariage sur laquelle repose notre société, c'est-à-dire l'idée d'éternité dans l'amour qui veut que la femme n'appartienne durant toute sa vie qu'à un seul homme. En vain, depuis des siècles et des siècles, la nature proteste contre une telle barbarie; en vain, la douleur humaine clame sans fin les plus lugubres lamentations qui aient jamais retenti sous le ciel; en vain, l'universel adultère montre que le pacte conjugal avec la fidélité réciproque pour sanction n'est qu'une chimère dont il est impossible d'être dupe; le Mariage n'en subsiste pas moins, immuable comme la Bêtise. trompeur comme la Religion, cruel comme la Guerre.

ARMAND CHARPENTIER

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