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Paris. C'est la ville avec sa cathédrale, sa Sainte Chapelle, l'hôtel Saint-Pol et ses innombrables clochers, les méandres de son fleuve, qui sert de décor à Saint-Paul sur le Chemin de Damas; c'est près de Montfaucon que se passe le martyre de Sainte-Catherine; c'est dans les fossés de Vincennes, à l'ombre de son donjon, que Job reçoit la visite de ses amis; c'est dans la Sainte Chapelle qu'a lieu l'Annonciation, tandis que, pour le Saint Martin partageant son manteau, qui appartient au Louvre, Jehan Fouquet a peint avec la plus méticuculeuse précision le Petit Pont, le Petit Châtelet et toutes les maisons à pignon qui surplombaient la Seine.

Après la conquête des Jehan Fouquet, le triomphe le plus important du duc d'Aumale a été le rapatriement des centaines de portraits aux deux crayons, dus pour la plupart aux Clouet ou à leur école, qui étaient passés en Angleterre, chez lord Carlisle, depuis la dispersion de la collection Lenoir.

C'est la société entière du xvIe siècle qui réapparaît dans ces portraits scrupuleusement véridiques. Ces dames, ces galants, ces fanfarons auxquels nous intéressèrent Brantôme, Bonaventure Despériers, d'Aubigné, les voici au complet. Chez les femmes comme chez les hommes, les traits n'ont pas encore acquis la finesse de race épuisée des grands amoureux des siècles suivants. Ce sont de fortes charpentes, des êtres solides, bien en chair, au nez proéminent, — qui a cependant diminué depuis Charles VII et Louis XI. L'expression est dans les yeux, souvent pétillants de malice. Là est le secret des passions d'alors, charme de l'esprit plutôt que du visage. Prenons comme exemple la séduisante Diane de Poitiers, maitresse de deux rois. Par ses portraits déshabillés nous la savons belle de corps, mais de visage ordinaire, cependant si intelligente! Il y eut au reste des dames exquises, comme la délicieuse madame Robertet, la femme du trésorier de Louis XII et de François Ier.

Les portraits de Chantilly sont donc le commentaire perpétuel des chroniqueurs. Et quand le dernier Clouet meurt, c'est Etienne Delaune, c'est Quesnel, c'est Dumoustier qui prennent la succession et sont non moins véridiques. Leur crayon peut lutter avec celui des plus impeccables italiens. Les effigies qu'ils ont laissées voisinent sans désavantage avec deux précieux dessins de Giovanni Bellini et de Vittore Carpaccio, le maître et l'élève, qui se pourtraiturèrent mutuellement.

Outre cette suite d'effigies aux deux crayons, il y a également à Chantilly de nombreux portraits peints dus aux Clouet, à Corneille de Lyon et aux autres portraitistes français de la Renaissance. Mieux qu'au Louvre, où ils sont si mal représentés, mieux même qu'à Versailles, où ils sont en nombre mais de conservation médiocre, on peut étudier ici ces maîtres peu connus. Et très vite on distingue le faire de ces portraitistes dont les œuvres si souvent sont confondues. Jehannet se dégage des autres Clouet, et Corneille de Lyon, qui savait

si bien enlever des chairs de femmes sur les fonds verts qu'il affectionnait, apparaît avec toutes ses caractéristiques qualités.

Mais que de choses sont encore à voir! Les vitraux du château d'Ecouen, un peu surfaits, et l'autel de sa chapelle, œuvre de Jean Goujon, qui n'est pas assez connu. Aucune trace de cette souple mollesse affectionnée par le sculpteur pour ses œuvres profanes, mais une ornementation nerveusement incisée dans la pierre dure qui semble plutôt gravée que sculptée. Vite un coup d'œil dans les appartements du vieux Chantilly où subsiste la singerie : un tour de force où un maître décorateur du xviro siècle a multiplié, sur le fond blanc des boiseries, avec la fantaisie, le sans gêne et le goût dont pouvait faire montre un Watteau, des singes cabriolant parmi des arabesques empruntées à la Chine.

Le duc d'Aumale en galant homme tiņt à utiliser les talents de ses confrères de l'Institut. Ces messieurs ont en général médiocrement répondu à la confiance de leur mécène. La punition sera dans les débinages à huis-clos qui ne sauraient manquer de se produire quand ces messieurs iront villégiaturer dans le domaine dont ils ont la garde. Mais cela n'a d'intérêt que pour guignol.

CHARLES SAUNIER

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Musique

Opéra La Cloche du Rhin, drame lyrique en trois actes de MM. GEORGES MONTORGUEIL et GHEUSI; musique de M. SAMUEL Rousseau.

Cet ouvrage sans grande prétention au chef-d'œuvre, toujours intéressant, nullement agressif, loyalement conçu, d'honorable réalisation, est, assurément, de beaucoup supérieur à la moyenne des œuvres des compositeurs prix de Rome que l'Opéra est obligé de jouer, tous les deux ans, pour obéir aux injonctions peu sévères de son cahier des charges.

Le sujet du livret imaginé par MM. Montorgueil et Gheusi n'est tiré d'aucune légende.

Tout d'abord fixons l'état des lieux où se déroule l'action.

Un burg, nid de vautours, érigé sur une cîme dominant le cours paisible du vieux Rhin, habité par des hommes de proie fidèles au culte d'Odin, et dont l'un, Hatto, a cent ans comme le Job,

Tout chargé d'attentats, tout éclatant d'exploits,

de Victor Hugo. Non loin de ce repaire crénelé, un cloitre, où de blanches théories de vierges célèbrent la jeune gloire de Jésus, et au

faîte duquel est suspendue une cloche mystérieuse qui, frôlée par l'aile des anges, rend un son qui est un signal de mort pour les infidèles.

La lutte est engagée entre la religion druidique expirante et le christianisme naissant.

Une jeune vierge du cloître est faite prisonnière et conduite dans le burg. Konrad, petit-fils de Hatto, s'éprend d'elle et lui fait l'aveu de son amour. Liba, prêtresse d'Odin, veille; elle enflamme le courage de Konrad, et le rue sur les chrétiens qui menacent le burg; puis, profitant du départ du jeune homme, elle ordonne de précipiter la vierge dans le fleuve pour fléchir la colère des Dieux et, aussi, pour préserver Konrad des regards de la chrétienne. Konrad revient vainqueur ; mais il ne cesse de songer à celle qu'il aima de toute la force de son être. Désemparé d'amour, il abandonne le burg en proie à l'incurable tristesse, et, errant sur les rives du Rhin, il appelle à grands cris douloureux l'absente adorée.

Le hasard l'amène à l'endroit où vont être immolées les victimes réclamées par Odin. Nouveau Polyeucte, Konrad renverse l'autel et s'oppose au sanguinaire sacrifice.

Le peuple irrité se jette sur lui, le frappe et abandonne son corps percé de coups à la faim rôdeuse des loups. Heureusement, Konrad n'est pas mort. Il invoque sa bien-aimée, laquelle surgit du sein des flots et, grâce à un truc ingénieux, marche sur les eaux, vient prendre Konrad par la main et l'emporte, enivré de délices, au séjour radieux des éternelles extases.

Ce livret d'une couleur légendaire heureuse contient des situations, sinon absolument inédites, du moins très susceptibles d'inspirer suflisamment un musicien. La fin est d'un charme poétique indéniable. La partition écrite par M. Samuel Rousseau, si elle n'affiche pas une originalité frémissante, est solidement établie et atteste, chez son auteur, une fort respectable conscience d'artiste.

Les trois actes de la Cloche du Rhin regorgent de sérieuses qualités, et pas n'est besoin de prêter une extrême attention à la scène de la bataille (2o acte) traitée avec sûreté et un rare bonheur ou à telle autre partie de l'ouvrage pour se convaincre que M. Samuel Rousseau est un compositeur de tempérament dramatique, en possession du sens et de l'entente du théâtre.

Dans un article, publié récemment, par une revue de musique, M. Rousseau a tenté d'expliquer ce qu'il a voulu faire dans son drame lyrique.

Je ne m'arrêterai pas plus qu'il ne convient aux lignes dans lesquelles le musicien avoue son faible pour le traditionnel morceau : « Il faudra en revenir et le plus fréquemment possible, affirme-t-il, à ce bon vieux morceau avec lequel nous retrouverons la forme et le rythme, qualités indipensables à notre concept musical français. >> Toutes les opinions sont libres.

Et ce n'est pas moi qui reprocherai jamais à M. Samuel Rousseau

de chercher à faire vivre en bonne intelligence le « morceau » et le leit-motio. Les entreprises les plus extraordinaires ne sont pas pour m'effrayer et un compositeur est toujours maître d'agir à sa guise. Le résultat seul importe.

Nombre de pages de la Cloche du Rhin ont de la force et de l'accent. L'orchestration. un peu lourde parfois, est loin d'être indifférente.

Et quand j'aurai cité le duo du second acte d'où se détache la jolie phrase: « Entends-tu ce murmure » ; la phrase de Liba au troisième acte: « Vierges à l'ombre vénérable des chênes », le chœur : « le ciel est clair » qui ont du caractère; les déclamations violentes de Hatto au premier acte, et la scène finale de l'œuvre, je me contenterai de reproduire simplement, en manière de conclusion, ce suprême passage emprunté à l'article de M. Rousseau : « J'ai tenté de garder la mélodie avec sa libre envolée et son charme, fait de franchise et de quiétude, en la rattachant à l'œuvre par l'usage continu du leit-motiv; j'ai essayé de satisfaire à la fois l'oreille du public et le cerveau du musicien; de chanter et de commenter, d'émouvoir et d'intéresser. >> L'interprétation est remarquable avec Mlle Ackté et M. Vaguet, délicieux tous deux.

C'est une bien curieuse artiste que Mlle Ackté. Jolie, d'une grâce chaste et étrange, cette jeune fille, aux yeux pleins de rêve, d'élégante silhouette et de frêle corsage, possède une voix rare au timbre pur, et, ce qui n'est pour gâter rien, un remarquable tempérament dramatique. Sans cris inutiles, sans gestes fous, sans attitudes ridicules, sans exagération d'aucune sorte, elle vit le personnage qu'elle incarne et lui prête un charme d'une simplicité exquise.

La création d'Hervine classe Mlle Ackté au premier rang.

Et je constate, non sans un vif plaisir, que MM. Bertrand et Gailhard, en n'hésitant pas à procéder au rajeunissement très nécessaire de leur troupe, furent particulièrement bien inspirés.

L'admirable Delna, Mlle Ackté et la belle Lucienne Bréval forment, maintenant, un trio d'artistes de talent comme notre Académie nationale de musique n'en a point eu à offrir au public depuis longtemps.

M. Vaguet, ténor sachant mettre du style dans son chant et doué d'une voix ravissante, est en train de se tailler une grande situation à l'Opéra.

MM. Noté et Bartet sont excellents.

Les décors sont magnifiques, celui du troisième acte particulièrement, et il n'y a que des éloges à adresser à l'orchestre et aux chœurs.

ANDRÉ CORNEAU

UN LIVRE DE JULES RENARD

Une préface grave et entière où je goûte avec amour le ton perdu des moralistes, la foi religieuse dans le travail, la fierté d'écrire, la vertu d'une conscience difficile: classicisme, optimisme et jansénisme, Des mots et des traits d'enfants, menus, précieux ou profonds. Des paysages concentrés et forts. Des portraits que je ne peux comparer qu'aux plus achevés de La Bruyère, le Mangeur de prunes, le Collectionneur d'estampes. ou Diphile, l'amateur d'oiseaux, — des portraits dont on suit lentement l'étude et le progrès, qui livrent peu à peu des physionomies achevées touche à touche, où chaque état ne révèle souvent qu'une seule forme caractéristique, un unique détail nouveau, une courte phrase révélatrice, et qui accusent leur vie et leur singularité par une sorte de juxtaposition nécessaire. Voilà ce que je veux signaler dans les Bucoliques, la dernière œuvre de M. Jules Renard.

Il en faudrait parler avec plus de minutie ; je ne connais pas de livre où le sentiment d'ensemble soit plus nécessairement le résultat, l'addition grossie des impressions de détail. Et je sens aussi que pour juger M. Renard il faudrait donner au critique des moyens et des termes qui lui manquent. J'employais la langue des graveurs ou des peintres, et ce n'était pas une affectation. Voit-on personne chez qui le talent s'allie plus étroitement avec la manière, la pensée avec la matière, et les sentiments avec les mots?

S'il faut résumer mon jugement en une formule, je dirai pourtant que les Bucoliques sont l'œuvre d'une sorte de réalisme lyrique. La nature y est vue de près, en détail, face à face, par un peintre qui rejette avec le même mépris les mensonges du roman et les trahisons de la perspective. Et l'ajustement de ces tableaux appliqués révèle une poésie diffuse et persistante, qui est peut-être la poésie même du paysan. M. Renard voit la terre comme on l'aime, avec un lyrisme minutieux et possessif. Je sais combien il chérit La Fontaine. Mais c'est bien l'instinct le plus fort de sa pensée qui lui prête, pour étudier le visage d'une chaumière, l'âme silencieuse et ridée d'un paysan, les ébats d'enfances rustiques, toute la ténacité savante d'un psychologue minutieux. Il comprend la volonté cachée des hommes, la voix des choses et le langage des animaux. Il sait les mots qui révèlent aux ignorants le sens des mots, des mouvements et des gestes. Son talent c'est de savoir les deux langues, et je le comprends bien quand il signe : Jules Renard, interprète de la nature.

SOUS LE SABRE

M. Jean Ajalbert vient de réunir en volume, dans les Editions de La revue blanche, les articles qu'au plus fort de la tragique affaire, il publiait jour par jour. C'étaient de très beaux articles, et Sous le

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