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Salon de 1822 (Dante et Virgile) :

« Ce tableau n'en est pas un, c'est une vraie tartouillade.

« E. DELÉCLUZE. » (Moniteur Universel)

« Vu d'assez loin pour que la touche n'en soit pas apparente, ce tableau produit un effet remarquable. Vu de près la touche en est si hachée, si incohérente, quoique exempte de timidité, qu'on ne saurait se persuader qu'au point où le talent d'exécution est parvenu dans notre école, aucun artiste ait pu adopter cette singulière façon d'opérer.

« C.-P. LANDON. »

(Annales du Musée de l'Ecole moderne des Beaux-Arts.)

Salon de 1827 (Mort de Sardanapale):

« C'est plutôt la bonne volonté que le talent qui manque à M. Delacroix; il ne compte comme progrès que ceux qu'il fait dans le mauvais goût et l'extravagance. « D. »

(Observateur des Beaux-Arts.)

« MM. Delacroix, Scheffer, Champmartin, coryphées de l'école nouvelle, n'ont obtenu aucune récompense, mais pour les en dédommager, on leur accordera chaque jour deux heures de séance à la Morgue. Il faut encourager les jeunes talents. >>

(Observateur des Beaux-Arts.)

« De loin, effet à la manière des décorations. De près, barbouillage informe.» (Journal des Artistes et des Amateurs, 1829)

Sur la Pieta (Eglise Saint-Denis du Saint-Sacrement) :

« Agenouillez-vous donc devant toutes ces figures repoussantes, devant cette Madeleine aux yeux avinés, devant cette vierge crucifiée, inanimée, plâtrée et défigurée; devant ce corps hideux, putréfié, affreux, qu'on ose nous présenter comme l'image du fils de Dieu !

« Il joue à la Morgue, aux pestiférés, au choléra morbus. C'est là son passetemps, son amusement. »

(Journal des Artistes, 20 octobre 1844.)

Si une municipalité avait l'audace de confier la décoration d'une de ses murailles à un néo-impressionniste ne lirait-on pas dans les feuilles, immédiatement, des protestations de ce genre:

« Et c'est un peintre aussi insoucicux de sa gloire, aussi peu sûr de son œuvre, que l'on choisit sur de telles ébauches, sur de simples indications de pensées, pour décorer une salle entière dans le palais de la Chambre des Députés! C'est à un tel peintre que l'on confie une des plus grandes commandes en peinture monumentale qui aient eu lieu de nos jours! En vérité la responsabilité est plus qu'engagée : elle pourrait bien être compromise! »

(Le Constitutionnel, 11 avril 1844.)

« Nous ne disons pas cet homme est un charlatan; mais nous disons : cet homme est l'équivalent d'un charlatan!

« Nous n'accuserons pas la direction des Beaux-Arts de la Ville du choix qu'elle a fait de M. Delacroix, en lui confiant une tâche si grave : nous connaissons trop les idées saines et élevées qui président généralement à ses délibérations, pour n'ètre pas convaincus que cette direction a eu dans cette affaire la main forcée. Mais, nous accusons les hommes placés dans les conseils ou dans nos assemblées législatives, intriguant ou sollicitant en faveur de gens qui doivent leur réputation non pas au talent, à la science, au savoir, mais aux coteries, mais aux camaraderies, à l'audace! » (Journal des Artistes, 1844.)

« N'est-il pas à craindre qu'un jour, en voyant les plafonds de nos palais et de nos musées couverts de ces enluminures informes, nos descendants ne soient saisis de l'étonnement que nous éprouvons nous-mêmes quand nous voyons nos ancêtres placer parmi les chefs-d'œuvre de la poésie la Pucelle de Chapelain. « Alfred NetгEMENT. » (Poètes et artistes contemporains, 1862.)

L'évolution coloriste.

III

APPORT DE DELACROIX

Delacroix influencé par Constable, Turner; guidé par la tradition orientale et la science. Du « Dante et Virgile » aux fresques de St-Sulpice. — Bénéfices de sa méthode scientifique. — Exemples. quête progressive de la lumière et de la couleur. laissait à faire.

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Ce qu'il a fait, ce qu'il

1. Delacroix connaissait donc une grande partie des avantages qu'assure au coloriste l'emploi du mélange optique et du contraste. Il pressentait même les bénéfices d'une technique, plus méthodique et plus précise que la sienne, permettant de donner encore plus de clarté à la lumière et plus d'éclat à la couleur.

A étudier les peintres qui, en ce siècle, furent les représentants de la tradition coloriste, on les voit, de génération en génération, éclaircir leur palette, obtenir plus de lumière et de couleur. Delacroix, s'aidera des études et des recherches de Constable et de Turner; puis Jongkind et les impressionnistes, profiteront de l'apport du maître romantique ; enfin la technique impressionniste évoluera vers le mode d'expression, du néo-impressionnisme: LA DIVISION.

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2. A peine sorti de l'atelier Guérin, en 1818, Delacroix sent combien est insuffisante la palette surchargée de couleurs sombres et terdont il avait usé jusqu'alors. Pour peindre le Massacre de Scio (1824), il ose bannir des ocres et des terres inutiles et les remplacer par ces belles couleurs, intenses et pures: bleu de cobalt, vert émeraude et laque de garance. Malgré cette audace, il se sentira bientôt de nouveau dépourvu. C'est en vain qu'il disposera sur sa palette une quantité de demi-tons et de demi-teintes, préparés soigneusement d'avance. Il éprouve encore le besoin de nouvelles ressources, et, pour sa décoration du Salon de la Paix, il enrichit sa palette (qui, selon Baudelaire, « ressemblait à un bouquet de fleurs, savamment assorties ») de la sonorité d'un cadmiun, de l'acuité d'un jaune de zinc et de l'énergic d'un vermillon, les plus intenses couleurs dont dispose un peintre.

En rehaussant de ces couleurs puissantes, le jaune, l'orangé, le rouge, le pourpre, le bleu, le vert et le jaune-vert, la monotonie des nombreuses mais ternes couleurs en usage avant son intervention, il aura créé la palette romantique à la fois sourde et tumultueuse.

Il convient de remarquer que ces couleurs, pures et franches, sont précisément celles qui composeront plus tard, à l'exclusion de toute

autre, la palette simplifiée des impressionnistes et des néo-impres

sionnistes.

3. Perpétuellement tourmenté du désir d'obtenir plus d'éclat et de luminosité, Delacroix ne se contentera pas d'avoir ainsi amélioré son instrument, il s'efforcera de perfectionner aussi la façon de s'en servir.

S'il surprend dans la nature une combinaison harmonieuse, si le hasard d'un mélange le met en face d'une belle teinte, vite, il les note sur un de ses nombreux carnets.

Il va dans les musées étudier le coloris du Titien, de Véronèse, de Velasquez, de Rubens. En la comparant à celle de ces maîtres, sa couleur lui semble toujours trop éteinte et trop sombre. Il fait de nombreuses copies de leurs œuvres, pour mieux surprendre les secrets de leur puissance. Il glane parmi leurs richesses et adapte à son profit tous les résultats de ses études sans rien sacrifier de sa personnalité.

4. Si la couleur du Massacre de Scio est déjà beaucoup plus somptueuse que celle du Dante et Virgile, c'est à l'influence du maître anglais Constable qu'est dû ce progrès.

En-1824, Delacroix achevait la Scène du Massacre de Scio, qu'il destinait au Salon, lorsque, quelques jours avant l'ouverture, il put voir des tableaux de Constable, qu'un amateur français venait d'acquérir et qui devaient figurer à cette exposition. Il fut frappé de leur coloration et de leur luminosité qui lui semblèrent tenir du prodige. Il étudia leur facture et vit qu'au lieu d'être peints à teintes plates, ils étaient composés d'une quantité de petites touches juxtaposées, se reconstituant, à une certaine distance, en teintes d'une intensité bien supérieure à celle de ses propres tableaux. Ce fut pour Delacroix une révélation : en quelques jours il repeignit complètement sa toile, martelant la couleur, qu'il avait étaléc à plat jusqu'alors, de touches non fondues, et la faisant vibrer à l'aide de glacis transparents. Aussitôt il vit sa toile s'unifier, s'aérer, s'illuminer, gagner en puissance et aussi en vérité.

«Il avait surpris, dit E. Chesneau, un des grands secrets de la puissance de Constable, secret qui ne s'enseigne pas dans les écoles et que trop de professeurs ignorent eux-mêmes : c'est que, dans la nature, unc teinte qui semble uniforme est formée de la réunion d'une foule de teintes diverses perceptibles seulement pour l'œil qui sait voir. Cette leçon, Delacroix s'en était trouvé trop bien pour l'oublier jamais; c'est d'elle qu'il conclut, soyons-en sûrs, à son procédé de modelé par hachures. >>

Du reste, Delacroix, en génie sûr de soi, reconnaît hautement avoir subi l'influence du maître anglais.

En 1824, à l'époque où il peignait le Massacre de Scio, il écrit dans son Journal :

<< Ai vu les Constable. Ce Constable me fait grand bien. »

Puis plus loin:

« Revu une esquisse de Constable : admirable chose et incroyable. »

Et en 1847. l'année où, pour la troisième fois, il retouche son Massacre, il écrit cette note que nous avons déjà citée, mais que nous ne craignons pas de répéter, car elle le montre préoccupé, dès cette époque, d'une des parties les plus importantes de la future technique des néo-impressionnistes: la dégradation infinie des éléments.

<< Constable dit que la supériorité des verts de ses prairies tient à ce qu'il était composé d'une multitude de verts différents. Ce qui donne le défaut d'intensité et de vie à la verdure du conimun des paysagistes, c'est qu'ils la font ordinairement d'unc teinte uniforme. Ce qu'il dit ici du vert des prairies pent s'appliquer à tous les autres tons. »

Et, au déclin de sa vie, Delacroix ne renie pas l'enthousiasme de sa jeunesse.

En 1858, il écrit à Th. Sylvestre :

<<< Constable, homme admirable, est une des gloires anglaises. Je vous en ai déjà parlé et de l'impression qu'il m'avait produite au moment où je peignais le Massacre de Scio. Lui et Turner sont de véritables réformateurs. Notre école qui abonde maintenant en hommes de talent dans ce genre a grandement profité de leur exemple Géricault était revenu tout étourdi de l'un des grands paysages qu'il nous avait envoyés. »

Il est donc bien certain que c'est par Constable que Delacroix fut initié aux bénéfices de la dégradation. Il vit tout de suite les avantages considérables qu'il pouvait en tirer. Dès ce moment, il bannira toute teinte plate et s'efforcera, par des glacis et des hachures, de faire vibrer sa couleur.

Mais bientôt, l'initié, mieux renseigné sur les ressources que la science offre aux coloristes, dépassera l'initiateur.

écœuré par

5. En 1825, encore tout ému de cette révélation, la peinture insignifiante et veule des peintres alors à la mode en France, Regnault, Girodet, Gérard, Guérin, Lethière, tristes élèves de David, que l'on préférait à Prud'hon et à Gros, Delacroix se décide à aller à Londres, étudier les maîtres coloristes anglais dont ses amis, les frères Fielding et Bonington, lui ont fait tant d'enthousiastes éloges. Il revient émerveillé de la splendeur, par lui insoupçonnée, de Turner, de Wilkie, de Lawrence, de Constable et met immédiatement à profit leur enseignement.

A Constable, nous l'avons dit, il devra de haïr la teinte plate et de peindre par hachures; son amour de la couleur in ense ct pure sera surexcité par les tableaux de Turner, déjà libre de toute entrave. L'inoubliable souvenir de ces étranges et féeriques colorations l'aiguillonnera jusqu'à son dernier jour.

Théophile Sylvestre (les Artistes français) signale l'analogie de ces deux génies frères et leur commun essor :

« Nous trouvions en les regardant un grand rapport, à certains égards, entre la dernière manière de Delacroix, rose clair, argentine et délicieuse dans le

gris, et les dernières ébauches de Turner. Il n'y a pas là pourtant la moindre imitation du maître anglais par le maître français; notons seulement chez ces deux grands peintres, au déclin de la vie, des inspirations de couleurs à peu près analogues. Ils s'élèvent de plus en plus dans la lumière, et la nature, perdant pour eux, de jour en jour, sa réalité, devient une féerie.

« Il (Turner) s'était mis en tête que les artistes les plus illustres de toutes les écoles, sans excepter les Vénitiens, étaient restés bien au-dessous de l'éclat pur et joyeux de la nature, d'un côté en assombrissant les ombres par convention et d'un autre côté en n'osant pas attaquer franchement toutes les lumières que leur montrait la création dans sa virginité. Aussi essaya-t-il les colorations les plus brillantes et les plus étranges.

« Delacroix, homme plus ardent encore et plus positif que Turner, n'a pas poussé si loin l'aventure, mais, comme l'artiste anglais, il est insensiblement monté d'une harmonie grave comme les sons du violoncelle à une harmonie claire comme les accents du hautbois... >>

6. Son voyage au Maroc (1832) lui sera plus profitable encore que son voyage en Angleterre. Il en revient ébloui de lumière, grisé par l'éclat harmonieux et puissant de la couleur orientale.

Il a étudié les colorations des tapis, des étoffes, des faïences. Il a compris que les éléments dont ils se composent, séparément intenses et presque criards, se reconstituent en teintes d'une délicatesse extrême et sont juxtaposés suivant des règles immuables qui en assurent l'harmonie. Il a constaté qu'une surface colorée n'est agréable et brillante qu'autant qu'elle n'est ni lisse ni uniforme; qu'une couleur n'est belle que si elle vibre d'un lustre papillottant qui la vivifie. Bien vite, il a surpris les secrets et les règles de la tradition orientale. Cette connaissance lui permettra de risquer plus tard les plus audacieux assemblages de teintes, les contrastes les plus opposés, tout en restant harmonieux et doux. Et depuis, dans son œuvre, on retrouvera toujours un peu de cet Orient flamboyant, sonore et mélodieux. Ses impérissables impressions du Maroc, fourniront à son chromatisme si varié les accords les plus tendres et les plus fulgurants contrastes.

Charles Baudelaire, en sa critique impeccable, n'a point manqué de signaler l'influence que le voyage au Maroc eut sur la couleur de Delacroix :

« Observez que la couleur générale des tableaux de Delacroix participe aussi de la couleur propre aux paysages et intérieurs orientaux.

« CH. BAUDELAIRE » (Art Romantique).

De retour en France, averti des travaux de Bourgeois et de Chevreul, il constate que les préceptes de la tradition orientale, sont en parfait accord avec la science moderne. Et, lorsqu'il va au Louvre étudier Véronèse, il s'aperçoit que le maître vénitien dont il dit : « Tout ce que je sais, je le tiens de lui », avait aussi été initié aux secrets et aux magies de la couleur orientale, probablement par les Asiatiques et les Africains qui, de son temps, apportaient à Venise les richesses de leur art et de leur industrie.

7. Il se rend compte que la connaissance des règles précises qui

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