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qu'il avait choisi, lorsqu'il s'est mis à le développer, et qu'il s'est plu bien davantage à l'étude des caractères et des milieux. L'idée de The Destroyer est exposée de façon incohérente. Entre l'instinct de ce primitif qu'est Sir Saul, entre la passion inassouvie, la folie amoureuse de la beauté, de Hubert, entre la passion élevée. quoique faite aussi d'instinct, de Violet, et l'amour un peu mystique d'Edgar, il n'y a pas le moindre rapport. M. Swift ne dit jamais quel est l'amour qui détruit. Si c'est la débauche qui tue. l'idée manque d'intérêt; si c'est l'amour. le plus intéressant eût été de le montrer dans les amours d'Edgar et de Violet. Le roman de M. Swift est écrit, avec plus de distinction que d'originalité, dans une langue manifestement inspirée de celle de George Meredith et de celle de John Oliver Hobbes.

LAURENCE BINYON: Porphyrion and other poems (Londres, Grant Richards).

Le volume de M. Binyon est d'un poète véritable. Le vers blanc y est manié avec une rare noblesse et avec de l'habileté. Par contre le vers lyrique de M. Binyon est assez maladroit et peu harmonicux. D'ailleurs Porphyrion est de beaucoup le meilleur poème du recueil et est écrit en vers blancs. C'est un chant à la gloire de Keats, dont M. Binyon se montre par plus d'un côté du reste le disciple. Porphyrion « jeune homme d'Antioche, dit l'argument, fuyant le monde, plein d'enthousiasme pour la vie ascétique qui attira quelquefois les premiers chrétiens, se retire pendant quelques années et vit en anachorète au désert de Syrie; dans la suite, unc apparition de surnaturelle beauté bouleverse sa vic, il retourne au monde, se mêle à tout son tumulte, dans l'espoir de reconquérir la vision perdue de beauté. » Le poème est rempli de vers superbes que l'on voudrait citer. Le volume comprend également London Visions, dont je citerai « Songs of the World unborn ».

LAURENCE HOUSMAN: Spikenard (Londres, Grant Richards).

C'est, dit le poète, un volume de poèmes d'amoureuse dévotion. La foi s'y exprime avec charme en vers d'un lyrisme et d'une musique exquis. Les vers intitulés « Spikenard » sont d'une poésie délicieuse. L'on y chercherait vainement toutefois la naïveté d'une foi simple. « Le nard répandu de ma parole », dont le poète demande à Dieu de laisser monter jusqu'à lui le parfum, est une odeur délicate et subtile. Quant au poème consacré à la lettre T, « Lettre du Christ - Fête de l'invention de la Croix », ce n'est plus là que de la pure habileté. Le talent de M. Housman, tel qu'il apparaît dans le reste du volume. a trop de valeur pour se dépenser ainsi en ingéniosités factices.

MÉMENTO BIBLIOGRAPHIQUE

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ROMANS ET CONTES. Simon Boubée : Mauricelle, Calmann Lévy, 3 fr. 50, Gerolamo Rovetta: L'Illustre Matteo (traduit de l'italien par Jean Le Pelle» tier). id., id, — J. de Tallenay : Le Réveil de l'âme, Visions à l'abbaye de Villers

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(préface de Charles Morice), Ollendorff, id. — Jules Renard : Bucoliques, id., id. A. Jarry L'Amour en visites, P. Fort, id. Camille Mauclair: Le Soleii des Morts, id. - Alphonse Allais : Amours, Délices et Orgues, id., id. M.-C. Poinsot: Les Dents de Georgette. id., id. - F.-C. Boutet: Contes dans la nuit. Chamuel, id. · Jehan d'Ivray : Le Prince Mourad, mœurs égyptiennes, Lemerre, id. Georges Rency: Madeleine, Bruxelles, Georges Balat, id. Bertol-Graivil: L'Affaire Machin, Soc. libre d'édit. des gens de lettres, id. POÉSIE. Francis Jammes: De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir (18851897), Mercure de France, 3 fr. 50. Jean-Arthur Raimbaud: Euvres (Poésies, les Illuminations, Autres Illuminations, Une Saison en enfer), avec un portrait par Fantin-Latour, id., id. Samedis populaires de poésie ancienne et moderne, Concours de poésie de l'Odéon (23 avril 1898), les douze poèmes retenus par le jury et les résultats du concours. id., 1 fr. Marthe Stiévenard (Mme Commenge) Chrysanthèmes, Lemerre, 3 fr. Jean Reboux Les Iris noirs, Lemerre, id. Jean Dayros: Les Solitaires (portrait-charge par Charly), Vanier, 3 fr. 50.

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THEATRE. Octave Mirbeau: L'Epidémie, Fasquelle, 1 fr.- Ernest Guinon: Le Partage, Ollendorff, id.

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CRITIQUE. Boleslas Matuszewski: Uue nouvelle source de l'Histoire (création d'un dépôt de cinématographie historique). — Jean Pérès : L'Art et le Réel, essai de métaphysique fondée sur l'esthétique, Alcan, 3 fr. 75. Edmond Sambuc: Les Soubret'es de Marivaux, Barcelonnette, A. Astoin. Léon Tolstoï : Qu'est-ce que l'Art? (traduit du russe et précédé d'une introduction par Teodor de Wyzewa), Perrin, 3 fr. 50. Léon Tolstoï: Qu'est-ce que l'Art ? (traduit du manuscrit original russe par E. Halpérine-Kaminsky), Ollendorff, id. Léon Bazalgette : L'Esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse Société d'éditions illustrées, id.— Paul Adam : Le Triomphe des Médiocres, Ollendorff, id. Georges Lafenestre: La Tradttion dans la Peinture française, L.-H. May, 3 fr. 50.- Albert Soubies: Almanach des spectacles, 1897, Flammarion, 5 fr. Arsène Alexandre : Le Balzac de Rodin, Floury, o fr. 60.

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SOCIÉTÉS, GOUVERNEMENTS. Edmond Demolins: Les Français d'aujourd'hui (les types sociaux du midi et du centre), Firmin-Didot, 3 fr. 50. — José Ingenicros Question argentino-chilena, La Mentira patriolica, il Militarismo y la Guerra, Buenos Aires, Libreria Obrera. Paul Deschanel: La République nouvelle, Calmann Lévy, 3 fr. 50. Garreau-Payen: Nouvelle loi-accidents promulguée le 10 avril 1898, Rentes aux ouvriers et employés, Responsabilité des patrons, Paris, L.-H. May, et Chartres, R. Selleret. Paul Bluysen: Félix Faure intime, Juven, 3 fr. 50. Armand Charpentier : L'Evangile du Bonheur, Ollendorff, id.

VOYAGES. Gustave Larrounet: Vers Athènes et Jérusalem, Hachette, 3 fr. 50. MÉMOIRES. Léon Bloy Le Mendiant ingrat (Journal de l'auteur, 18921895), Bruxelles, Deman.

ALBUMS. Eugène Grasset: Ornements lypographiques, lettres ornées, lėtes de pages et fins de chapitres dessinés et publiés en 1880 pour « les Fêtes chrétiennes » de M. l'abbé Drioux, Ed. Sagot. J. Meier-Graefe: Félix Vallotlon, biographie de cet artiste avec la partie la plus importante de son œuvre éditée et différentes gravures originales et nouvelles, Paris, Edmond Sagot, et Berlin, J. A. Stargardt, 20 fr.

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La Revue jeune, hebdomadaire, 12, place Morand, L'Aube méridionale, 9, rue de la Corderie, Béziers, 30 cent.

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Esthétique de la langue française

Le caractère est le style d'une langue, Chaque langue a son caractère qui se révèle par les sonorités, par les formes verbales; c'est dans les mots qu'il met d'abord son empreinte obscure et profonde.

GUILLAUME DE HUMBOLDT.

I

On ne s'est guère intéressé jusqu'ici aux mots du dictionnaire que pour en écrire l'histoire, sans prendre garde à leur beauté propre, de forme, de sonorité, d'écriture. C'est qu'on a eru sans doute que, dégagés de l'image ou de l'idée qu'ils contiennent, les mots n'existeraient plus qu'à l'état d'articulations vaines. La phonétique elle-même n'a pu rester complètement indifférente à la signification des mots dont elle analysait les éléments, et c'est ainsi qu'elle est arrivée à établir l'origine et la filiation de presque tous les vocables de la langue française. Mais on conçoit très bien, et il y a une phonétique pure qui, faisant abstraction de toute sémantique, constate simplement la généalogie des sons, leurs mutations, leurs influences réciproques. L'esthétique du mot, telle que j'essaierai de la formuler pour la première fois, aura d'abord ce point de contact avec la phonétique qu'elle ne s'occupera que par surcroît du sens verbal, tout à fait insignifiant dans une question de beauté physique; la signification d'un mot ni l'intelligence d'une femme n'ajoutent rien ni n'enlèvent rien à la pureté de leur forme. Pureté : voilà le déterminatif.

Il y a dans la langue française, et dans toutes les langues novolatines, trois sortes de mots : les mots de formation populaire, les mots de formation savante, les mots étrangers importés brutalement ; maison, habitation, home, sont les trois termes d'une même idée, ou de trois idées fort voisines; ils sont bien représentatifs des trois castes d'inégale valeur qui se partagent les pages du vocabulaire français. Notre langue serait pure si tous ses mots appartenaient au premier type, mais on peut supposer, sans prétendre à une exactitude bien rigoureuse, que plus de la moitié des mots usuels ont été surajoutés, barbares et intrus, à ce que nous avons conservé du dictionnaire primitif: la plupart de ces vocables conquérants, fils bâtards de la Grèce ou aventuriers étrangers, sont d'une laideur intolérable et demeureront la honte de notre langue si l'usure ou l'instinct popalaire ne parviennent pas à les franciser. Leur nombre croissant pourrait faire craindre que le français ait perdu son pouvoir d'assimilation. jadis si fort, si impérieux ; il n'en est rien, mais la demi-instruc

tion, si malheureusement répandue, oppose à cette vieille force l'inertie de plusieurs sophismes.

Cependant les mots du second et du troisième type peuvent avoir acquis, par le hasard des formations ou des déformations, une certaine beauté analogique; ils peuvent être tels qu'ils aient l'air d'être les frères véritables des véritables mots français; cette pureté extérieure qui ne fait point illusion au phonétiste, doit désarmer le littérateur; il nous est parfaitement indifférent, en vérité, que hélice, agonie, gamme soient des mots grecs; rien ne les différencie des plus purs mots français; ils se sont naturellement pliés aux lois de la race et leur fraternité est parfaite avec lice, dénie, flamme, véridiques témoins. Il y a aussi un grand nombre de termes abstraits qui, quoique d'une physionomic assez barbare, nous sont indispensables, tant que le vocabulaire n'aura pas subi une réforme radicale; dès qu'on touche aux abstractions, il faut écrire en gréco-français ; cet essai sera, et est déjà plein de mots que je répudie comme écrivain, mais sans lesquels je ne puis penser. On ne peut les supprimer, mais on peut tenter de les rendre moins laids : cela sera l'objet d'un des chapitres que j'ai le dessein d'écrire.

Pareillement et avec moins d'hésitation encore, il faut respecter la plupart des mots latins qui sont entrés dans la langue sans passer par le gosier populaire, ce terrible laminoir. Ils sont mal formés; on n'a pas tenu compte, en les transposant, des modifications spontanées que la prononciation leur aurait fait subir si le peuple les avait connus et parlés; on les jeta brutalement dans la langue, sans écouter aucun des conseils de l'analogie et on infesta ainsi le français de la finale ation, qui peu à peu a détruit le pouvoir de aison, finale normale, moins lourde et plus définitive. De potionem le peuple a fait poison et les savants potion; le peuple fut plus ingénieux et plus personnel, étant ignorant. Mais potion était utile, l'idée générale contenue dans potionem ayant disparu du mot populaire (1). La nécessité qui a fait doubler émoi par émotion est beaucoup moins évidente, et l'on ne voit pas bien que la langue qui avait émouvoir ait fait, en acceptant émotionner, unc acquisition très importante ni très belle.

Nous ne comprenons plus, sans études préalables, le vieux français; la tradition a été rompue le jour où les deux littératures, française et latine, se trouvèrent réunies aux mains des lettrés; les hommes qui savent deux langues empruntent nécessairement, quand ils écrivent la plus pauvre, les termes qui lui manquent et que l'autre possède en abondance. Or à ce moment le français paraissait aussi pauvre en termes abstraits que le latin classique, tandis que le latin du moyen àge, enrichi de toute la terminologic scolastique, était devenu apte à exprimer, avec la dernière subtilité, toutes les idées; ce latin médiéval a versé dans le français toutes ses abstractions; la philosophic et toutes les sciences adjacentes s'écrivent toujours dans la

(1) Elle a également disparu de potion pour se partager entre breuvage et boisson.

langue de Raymond Lulle. Identité, priorité, actualité sont des mots scolastiques. Cet apport, continué par les siècles, a presque submergé le vieux français. On en était arrivé à croire, avant la création de la linguistique rationnelle, que ces mots latins étaient les seuls légitimes et que les autres représentaient le résidu d'une corruption extravagante; mais la corruption elle-même a des lois et c'est pour ne pas les avoir observées qu'on a si fort gâté la langue française.

Il n'est pas bien certain en effet que le vieux français fût aussi dénué qu'on l'a cru; si les innovateurs avaient connu leur propre langue aussi bien qu'ils connaissaient le latin, auraient-ils négligé afaiture pour construction, ou semblance pour représentation? La nécessité n'explique pas tous ces emprunts; la vanité en explique quelques autres : il a toujours paru aux savants de tous les temps qu'ils se différenciaient mieux de la foule en parlant une langue fermée à la foule. Dans l'histoire du français il faut tenir compte du pédantisme. Sur près de deux mille mots purement latins en sion et tion, il n'y en a pas vingt qui puissent entrer dans une belle page de prose littéraire; il y en a moins encore qu'un poète osât insérer dans un vers. Ces mots, et une quantité d'autres, appartiennent moins à la langue française qu'à des langues particulières qui ne se haussent que fort rarement jusqu'à la littérature, et si on ne peut traiter certaines questions sans leur secours on peut se passer de la plupart d'entre eux dans l'art essentiel, qui est la peinture idéale de la vie.

D'ailleurs les mots les plus servilement latins sont les moins illégi times parmi les intrus du dictionnaire. Il était naturel que le français empruntât au latin dont il est le fils les ressources dont il se jugeait dépourvu et, d'autre part, quelques-uns de ces emprunts sont si anciens qu'il serait fort ridicule de les vouloir réprouver. Il y a des mots savants dans la Chanson de Roland. Au point de vuc esthétique, si imperméabilisation et prestidigitateur, par exemple, manquent vraiment de beauté verbale, il y a moins d'objections contre beaucoup de leurs frères latins, et d'autres, fort nombreux, sont très beaux et très innocents (1). Tout en regrettant que le français se scrve de moins en moins de ses richesses originales, je ne le verrais pas sans plaisir se tourner exclusivement du côté du vocabulaire latin chaque fois qu'il se croit le besoin d'un mot nouveau, s'il voulait bien, à ce prix, oublier qu'il existe des langues étrangères, oublier surtout le chemin du trop fameux Jardin des Racines grecques. Le mal que ce petit livre a fait depuis deux siècles aux langues novolatines est incalculable et peut-être irréparable.

II

Sans compter les dérivés, la langue française contient environ qua tre mille mots latins de formation populaire; il n'y a qu'à soupeser

(1) Innocent est un mot de formation savante qui remonte au xr siècle. Du latin innocentem le peuple aurait fait ennuisant.

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