Imágenes de página
PDF
ePub

morosité n'avait résisté à quelques kilomètres de pas accéléré. Aujourd'hui encore, elle semait dans la promenade toute pensée sombre et lourde, et son allure semblait se faire plus légère et plus vive à mesure que s'allégeait son humeur.

Le soleil disparaissait dans toute sa gloire. Des bois longeant la route, une fraicheur débordait.

Valrose prit une allée couverte. Une sorte d'ivresse l'envahit des senteurs de toutes ces jeunes verdures, de la solitude chuchotante des taillis. Rejetant la tête en arrière, d'un geste qui lui était familier, pour mieux respirer l'air autour d'elle, elle semblait, tant elle était frémissante et allègre, se diriger vers un bonheur. se guidant à son parfum subtil.

Dirons-nous ce que fit Valrose?

Elle repiqua les épingles de son chapeau qu'elle avança solidement sur ses sourcils, prit sa robe à deux mains, et elle courut! courut comme la Syrinx, courut comme une folle, pour la joie de vivre. pour le plaisir!

Lorsqu'elle s'arrêta dans une clairière, le soir était descendu entre les branches, il glissait sur la prairie devant elle.

« C'est beau, la forêt! C'est beau le soir! » pensa-t-elle. « Qu'il fait bon vivre? >>>

Pourquoi, en revenant encore un peu frémissante, ne s'étonna-t-elle pas de rencontrer Chaudieu?

Elle se répéta seulement avec plus de ferveur : « Qu'il fait bon vivre! » et il y avait dans sa voix quelque chose de plus vibrant que ne le comportait leur conversation gaie et presque banale.

Il la ramena jusqu'à sa porte, et elle ne fut pas surprise non plus quand, près du rosier d'or tout pâli sous la lune, tout à coup il lui parla d'amour.

XII

Les grands seigles, les blés souples se courbaient à perte de vue en larges remous, pleins de mollesse. A perte de vue s'étendaient les champs de luzerne aux fleurs roses et les zones d'or des colzas.

Appuyée à une barrière, Valrose regardait l'horizon onduleux, aspirait l'air libre et odorant. Jean de Chaudieu était auprès d'elle. Tout ce qui pour elle était un tableau étincelant de lumière, était pour lui un cadre à celle qui rayonnait.

Quelques jours s'étaient écoulés depuis qu'il lui avait dit son amour d'une façon si imprévue. Ce soir-là, ils s'étaient quittés souriants, dans toute la joie épanouie d'un bonheur gai et sans arrière-pensée.

Mais Valrose, une fois de plus, avait éprouvé la valeur des mots : la force de cet aveu parlé avait comme abaissé une barrière entre eux, comme enlevé un des voiles du tabernacle intime.

Maintenant, ils connaissaient les silences sans cause, car à côté de ces mots « Je vous aime ». quel monde de paroles devenait fade et

inutile! tandis que leur moindre geste, leur regard, leur attitude même, prenait l'un pour l'autre une signification intense. connue d'eux seuls.

Pourtant, Valrose n'avait jamais encore abandonné son regard à celui de son ami. Il restait direct et droit comme celui d'un honnête homme. Aucun alanguissement n'avait attardé sa main à la main. aux lèvres de Jean.

Elle veillait comme elle se l'était promis.

Mais parfois, les fortes et troublantes odeurs de son verger fleuri lui semblaient complices, et complices les frais bois silencieux.

Voilà pourquoi, lorsqu'elle se sentait dangereusement envahie d'amour, elle emmenait Jean en promenade devant les champs verts et les champs roses et or, tout enflammés du soleil de cinq heures.

Elle regardait au loin, s'appuyant à la barrière, un peu lassée par la chaleur, et sa main tenait quelques bleuets d'un bleu ardent que distraitement elle venait de cueillir.

Comme elle était pleinement heureuse en sa présence! Comme on avait raison de dire que l'amour était éternel, puisqu'un de ces moments contenait une éternité de divine joie!

Jean, tendrement, avec une douceur câline, avec les infinies précautions de qui vole un trésor, lui prit des mains ces fleurs qu'elle laissa glisser de ses doigts entr'ouverts.

Madone, c'est demain votre jour de naissance, n'est-il pas vrai? Elle sourit.

— Oui, oui, et j'atteins un àge respectable. Trente et un ans! cela va marcher vite maintenant...

Et lui, avec une comique, mais sincère indignation:

Vraiment, vous voudricz avoir vingt ans? Et moi, je ne puis vous concevoir qu'ainsi, si jeunement maternelle!

Mais demain je serai vieille.

Je ne sais pas, madone! Je ne sais pas, et c'est bien indifférent! Vous qu'on aimerait laide, on vous aimera vieille, si les madones peuvent vieillir!

Comme c'est réconfortant ce que vous dites là! dit Valrose. Elle rit de gaîté et de bonheur, mais au fond de sa joie d'être, en ce moment, aimée au-delà du temps, son cœur tressaille et sait.

Et moi, dit Jean, plus bas, ému, et il prend la main de Valrose dans une étreinte palpitante, et moi, est-ce que je puis espérer être aimé un peu?

Mais oui, elle l'aime! Si elle le regardait en ce moment, comme son regard scrait débordé par la tendresse, par l'amour! Pour se donner le temps de se reprendre, elle fronce les yeux, regarde au loin un vol criard d'hirondelles, puis ramenant son regard raffermi sur Jear, elle lui répond avec une bonne voix toute cordiale, en lui serrant vigoureusement la main :

Beaucoup.

Cette nuit-là, après un de ces sommeils pleins et sans rêve dont jouissait la belle santé de Valrose, elle se réveilla en sursaut: n'avaitelle pas entendu un bruit insolite?

Elle écouta. Un passant s'en allait sur la route.

Valrose, qui habitait le premier étage, dormait toujours la fenêtre ouverte. Par le rideau entrebâillé, un mince rideau de lune s'était déroulé dans la chambre. Elle se leva, tira les rideaux, ouvrit toute grande la croisée. La nuit pure entra et la lune, et elle aperçut, attachée à son balcon, une gerbe de fleurs.

C'était donc cela! C'était Jean qui, s'aidant des saillies du mur et des corniches extérieures, avait grimpé jusqu'à sa fenêtre. Quelle jeune folie! Quelle chère, douce, adorable folie!

Valrose prit le bouquet et enfouit sa figure troublée dans sa fraî

cheur.

Il était venu; il avait été si près......., et elle n'avait pas su... Son sang battait dans ses tempes, elle serra les fleurs plus fort, puis, se penchant vivement, elle regarda sur la route.

Il était loin déjà, marchant sous la lune d'un pas allègre. Puis, sans doute se croyant assez loin du sommeil de la bien-aimée, joyeusement, dans la nuit pure, il se mit à siffler un air de chasse.

XIII

Les blés penchaient leurs épis mùrs; les arbres étaient uniformément verts et Jean était encore à ***.

Ses parents le croyaient à la campagne, non loin de là, chez un oncle sûr. Il y allait parfois passer quelques heures et en profitait pour leur écrire quelques lignes de bonne santé.

Un jour, il arriva chez Valrose avec un air un peu préoccupé.

Il avoua avoir reçu une sévère réprimande de son père, à qui un hasard avait fait découvrir la fraude filiale, et qui lui enjoignait de venir le rejoindre aux eaux, en Allemagne, où il faisait une saison avec madame de Chaudieu.

[ocr errors]

Quand partez-vous? demanda Valrose.

-Je ne pars pas! répondit Jean; mais sous son air de bravade, elle le sentit très petit garçon.

Vous savez bien que vous devez partir, dit-elle avec un peu de tristesse. Votre père vous demande-t-il tout de suite?

Jean hésita.

[ocr errors]

étiez?

Tout de suite, non.... c'est-à-dire, d'ici une huitaine de jours.
Pourquoi ne lui avez-vous pas dit tout simplement où vous

- C'est qu'il se serait demandé pourquoi j'y étais.

[blocks in formation]

C'est vrai, c'était un enfant encore; il était soumis à des parents;

ses liens de famille, sa vie l'appelaient ailleurs; il n'était pas libre dans sa vie extérieurc, comme elle, Valrose.

Ce jour-là, il ne fut plus question de départ, mais il était tacitement entendu que dans huit jours il serait parti.

Valrose attristée restait pourtant extérieurement sereine et brave, résolue à jouir pleinement des derniers jours.

« Nous irons ensemble dans tous les endroits qui me sont chers et la force de ma sensation de sa présence y fixera à jamais son souvenir. »

Le destin en décida autrement. Le lendemain matin, Jean faisait en se promenant à cheval une chute sur la tête. Ramassé sans connaissance et rapporté à l'hôtel où il s'était installé, il eut un léger délire et ne revint à lui complètement que le jour d'après.

Valrose, sans une hésitation, était accourue, s'instituant sa gardemalade, en attendant les parents du jeune homme qu'amènerait sans doute le télégramme qu'elle leur avait envoyé.

Elle avait passé la nuit à son chevet dans cette intimité si étroite. pourtant si chaste, qui unit un malade à celui ou celle qui le soigne...

Il était de très bonne heure. Valrose ouvrit doucement la fenêtre, derrière les rideaux clos. La fraîche matinée s'infiltra par leur entrebâillement et des odeurs exquises montèrent, de chèvrefeuille et d'œillets. Elle les aspira avec force et détendit ses bras vers le soleil qui se levait.

Puis, à pas de loup, elle retourna près du lit et resta debout, absorbée.

Pauvre amour! Une partie des joues, tout le front, étaient pris dans des bandes de toile sous l'ombre desquelles les yeux disparaissaient.

La bouche seule restait intacte, et c'est elle qui attirait les yeux de Valrose. Ils suivaient son contour jeune, tandis que la sienne tremblait et qu'un trouble profond la gagnait. Quoi, il partirait, et elle n'aurait pas baisé la fraîcheur de ses lèvres?

Du fond de son cœur, de ses sens, une voix montait, criait : « J'ai soif! >>>

Elle poussa un de ces soupirs qui ont quelque chose du sanglot, tant ils viennent des profondeurs de la vie et se répercutent dans toute la poitrine.

A ce bruit, Jean ouvrit les yeux.

Il vit Valrose, il vit l'expression concentrée de son visage, ses yeux un peu fiévreux, ses lèvres encore entr'ouvertes par ce soupir, ses joues comme fondues dans l'excès de son émotion. Il semblait qu'un second visage se fut sculpté dans celui de Valrose, affiné par l'acuité de ses sensations.

Une ivresse gagna Jean et il lui sourit, d'un si joli sourire, si tendre, si tendre, si ému, si adorablement enfantin, que Valrose, bouleversée jusqu'à l'âme, se pencha sur la main du malade et la baisa.

D'un geste suppliant, il voulut l'attirer. l'étreindre : « Bien-aimée. bien aimée... » Sa voix s'étranglait.

Valrose frissonnait une seule fois! une seule fois baiser cette bouche! Elle était pâle; elle avait froid.

Brusquement, elle se ressaisit. Ce fut sans doute l'habitude de se dominer qui opéra en elle, machinalement d'abord, et l'arracha à la suggestion. D'un geste de volonté qui renaît, elle passa la main sur son front, sur ses yeux, et se détourna.

Elle alla à la fenêtre, tira les rideaux. Un grand soleil brutal, à flots inonda la pièce.

Dehors, une voix désespérément sentimentale chanta une romance bête.

Jean de Chandieu poussa un grognement de dégoût et tous deux se mirent à rire.

L'instant si psychologique ne se retrouva plus aussi tentateur, ou plutôt, les dispositions d'esprit de Jean et de Valrose se retrouvèrent légèrement modifiées.

Après la visite du médecin qui promit une guérison rapide, il y eut bien encore une heure de dangeureuses délices, mais, en proie à une langueur physique pleine de charme, Jean ne sentait le désir que d'avoir Valrose auprès de lui. De temps à autre, ses paupières se soulevaient pour laisser couler jusqu'à elle un regard délassé et tendre.

Il lui demanda sa main, prétextant la fatigue d'ouvrir les yeux, et que, dans le noir, il se sentait trop seul. Valrose la lui donna. Un silence ému régna. Cette longue étreinte muette, les regards que, sans contrainte, elle posait, appuyait sur cette bouche close que faisait tressaillir parfois un frémissement heureux, firent vivre à Valrose un monde de silencieuses et profondes voluptés. Pourtant, il leur eût été impossible, à l'un comme à l'autre, de les préciser par un mot ou par un geste.

Puis, une garde vint, envoyée par le médecin. et Valrose rentra chez elle.

Lorsqu'elle revint après deux heures d'absence, à la place de la garde, elle trouva un étranger. Il était assis près de la fenêtre. Jean dormait.

L'étranger se leva, alla à Valrose :

-L'enfant dort! dit-il à voix basse, en souriant. Vous avait-il parlé de son cousin Robert? C'est moi.

Dans son somineil, Jean fit un mouvement, avec un geste enjoignant le silence. Valrose s'assit auprès de son lit et le nouveau venu reprit sa place.

C'était un homme d'une taille très au-dessus de la moyenne et d'une forte carrure. Il avait un menton volontaire, la mâchoire en avant quasi-brutale, mais le haut de son visage était d'une expression presqué céleste, tant s'y épanouissait d'intelligence et de bonté. Telle

« AnteriorContinuar »